Dépression : des traitements de plus en plus ciblés

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Dépression : des traitements de plus en plus ciblés
Dépression : des traitements de plus en plus ciblés

Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Nous parlons aujourd’hui de troubles du spectre de l’humeur”, déclare le Pr Marion Leboyer, psychiatre à l’Université Paris-Est Créteil et directrice générale de la fondation FondaMental. Cette appellation n’est pas une coquetterie de spécialistes. La maladie, qui touche une personne sur cinq, se décline maintenant au pluriel car la recherche en santé mentale a montré qu’elle se présente sous des formes très hétérogènes. L’époque où l’on pensait traiter tous les dépressifs avec une seule classe de médicaments, les antidépresseurs, est donc révolue.

Comment reconnaître la dépression
Diagnostiquer un épisode dépressif, c’est la première étape pour s’en sortir. Afin de faire la différence avec une déprime passagère, une liste de neuf symptômes a été établie. Une dépression est caractérisée lorsque cinq d’entre eux sont ressentis pendant au moins deux semaines:

Tristesse inhabituelle présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours.

Diminution du plaisir pour presque toutes les activités et incapacité d’accomplir les actions de la vie quotidienne.

Perte ou gain de poids significatif en l’absence de régime.

Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.

Agitation ou ralentissement psychomoteur.

Réduction de l’énergie ou fatigue anormale.

Diminution importante de l’estime de soi.

Difficultés d’attention et de concentration

Pensées suicidaires récurrentes.

À l’instar d’autres disciplines telles que la cancérologie et la cardiologie, la psychiatrie développe une médecine de précision, visant à “mettre fin à une approche uniformisée des soins “, indique Marion Leboyer. Cette approche est encore balbutiante. Pour preuve, le pourcentage de malades qui ne voient pas leur état s’améliorer malgré au moins deux traitements antidépresseurs successifs bien suivis, stagne autour de 20 %. “Dans la pratique, nous avons l’impression que nous parvenons à mieux prendre en charge les personnes souffrant de dépression résistante, mais cela ne se traduit pas encore dans les études épidémiologiques”, reconnaît le Pr Pierre-Michel Llorca, spécialiste de la dépression résistante et directeur des soins de la Fondation FondaMental.

Le premier obstacle consiste sans doute à lever le mystère persistant autour de l’étiologie de la dépression. Que se passe-t-il précisément dans le cerveau d’un dépressif ? Un mécanisme biologique a bel et bien été identifié: un dysfonctionnement au niveau des neurotransmetteurs engendre un faible taux de sérotonine, très impliquée dans la régulation de l’humeur, de l’appétit, de l’alternance veille-sommeil, de la libido… Un manque de noradrénaline est lui aussi en partie responsable d’une dépression. Quand cet autre neurotransmetteur, qui participe à la régulation des émotions, vient à manquer, les émotions négatives dominent.

Fort de ces constats, une classe d’antidépresseurs, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS), suivie dans les années 1990 par les inhibiteurs de recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRN), caracolent en tête des médicaments les plus prescrits dans le cadre de la dépression. Mais tout mettre sur le dos des monoamines – et plus particulièrement de la sérotonine – serait trop simple pour un cerveau humain ! En août 2022, une étude publiée par des chercheurs britanniques dans la revue Molecular Psychiatry a d’ailleurs fait grand bruit.

Après avoir compilé plusieurs méta-analyses, leurs auteurs concluaient qu’il n’existait “aucune preuve cohérente de l’existence d’un lien entre la sérotonine et la dépression ” et “l’hypothèse selon laquelle la dépression est causée par une baisse de l’activité ou des concentrations de sérotonine ” ne tenait pas. L’utilisation à long terme d’antidépresseurs pourrait même réduire la concentration de sérotonine. Aurions-nous tout faux dans la dépression depuis des années ? La réaction de la communauté scientifique ne s’est pas fait attendre. Au-delà des critiques sur la méthodologie de l’étude, des voix se sont élevées pour dénoncer des conclusions aussi radicales.

“Aucun spécialiste de santé mentale n’irait actuellement soutenir l’idée qu’une pathologie aussi complexe que la dépression s’explique par le déficit d’un seul neurotransmetteur “, a alors tempéré le psychiatre britannique Phil Cowen, dans une réaction au Science Media Center. En outre, “le système sérotoninergique est très dispersé, indique Pierre-Michel Llorca. Agir dessus s’avère donc particulièrement complexe. ” En revanche, cette étude prouve une nouvelle fois que les ISRN ne peuvent être l’alpha et l’oméga du traitement de la dépression. D’autant que d’autres neurotransmetteurs, l’acide gammaaminobutyrique (Gaba) et le glutamate, figurent aussi sur le banc des accusés. C’est pourquoi est arrivé en 2020 un nouvel antidépresseur à base d’eskétamine, le Spravato, indiqué dans la dépression résistante.

Non seulement c’est le tout premier à agir sur les récepteurs du glutamate, mais son mode d’administration sous forme de spray nasal le rend aussi efficace très rapidement. “Au lieu d’un délai de cinq semaines avec les antidépresseurs traditionnels, l’eskétamine agit dans les 24 heures. En cas d’idées suicidaires, l’eskétamine représente un vrai progrès “, estime le Dr Charles Laïdi, psychiatre à l’hôpital Henri-Mondor (Créteil). En raison de son statut de stupéfiant, le Spravato ne peut être délivré qu’à l’hôpital et sous surveillance. La revue Prescrire le classe même dans les “médicaments à éviter ” en raison notamment de “ses effets indésirables neuropsychiques fréquents, dont les syndromes de dissociation”, ainsi qu’un “surcroît de risque suicidaire dans les semaines qui suivent le traitement et des détournements d’usage “.

Néanmoins, l’eskétamine n’est pas le seul psychédélique à faire son entrée dans l’arsenal thérapeutique des troubles du spectre de l’humeur. Ils font même un retour en force ! Un retour car dans les années 1950, le LSD, un dérivé d’un champignon parasite du seigle, ainsi que la psilocybine, la substance psychoactive des champignons hallucinogènes, faisaient déjà l’objet de nombreuses recherches, suscitant de grands espoirs dans le traitement de la dépression mais aussi de l’anxiété, ou encore des troubles obsessionnels compulsifs. Mais, à partir du milieu des années 1960, ces substances vont peu à peu être interdites et classées comme psychotropes, à cause de leurs propriétés hallucinatoires.

La psilocybine autorisée aux États-Unis depuis 2020

Ce classement signe la fin de toutes les recherches pendant plus de trente ans. Il faudra en effet attendre le milieu des années 1990 pour que des chercheurs se penchent à nouveau sur les psychédéliques. Si le vent a tourné, ce n’est pas parce que ces drogues ont perdu leur pouvoir hallucinogène, mais parce que les limites de la pharmacopée psychiatrique apparaissaient au grand jour. Et ce malgré l’arrivée sur le marché des fameux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine dans les années 1980 et 1990. Ces nouvelles recherches mettent en évidence que le LSD et la psilocybine agissent principalement sur les récepteurs de… la sérotonine, comme les ISRN. Cependant, comme le déclarait en 2022 le Pr Bruno Aouizerate, psychiatre à Bordeaux Neurocampus, dans nos colonnes (lire Sciences et Avenir n° 900), “il s’agit de produits qui peuvent avoir une action rapide avec des mécanismes différents de ceux qu’on a explorés jusqu’à présent. ” Et en cela, “ce sont des pistes extrêmement intéressantes et prometteuses”, ajoutait ce dernier.

Reste malgré tout à élucider les mécanismes d’action de ces substances. Des examens d’imagerie cérébrale ont révélé qu’elles entraîneraient une hyperconnectivité des réseaux de neurones et une modulation de la neuroplasticité pouvant influencer positivement les schémas de pensée et les comportements. En 2020, l’agence du médicament américaine (FDA) a accordé le statut de traitement à la psilocybine dans le cas de la dépression résistante. La Suisse, le Canada et tout récemment l’Australie ont d’ailleurs déjà autorisé, dans des cadres expérimentaux, l’utilisation des champignons hallucinogènes ainsi que l’ecstasy pour le traitement des états de stress post-traumatique et de certains types de dépressions sévères. En France, aucune prescription de psilocybine n’est autorisée mais le Pr Philippe Fossati, chef du département de psychiatrie adulte à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, va piloter un essai dans la dépression sévère.

Les promesses de la neuromodulation

Les pays pionniers se sont appuyés sur des études qui ont déjà attesté de l’efficacité de ces drogues. Le plus grand essai clinique (de phase 2), publié en 2022 dans le New England Journal of Medicine , incluant 233 patients dans dix pays, a ainsi révélé que près de 30 % des malades ayant reçu une dose unique de 25 mg de psilocybine étaient en rémission de leur dépression résistante trois semaines après le traitement. En 2025, des essais de phase 3 devraient permettre de comparer les champignons hallucinogènes aux traitements existants et de faire toute la lumière sur les effets secondaires. En effet, 77 % des participants ont souffert d’effets secondaires tels que des maux de tête, des nausées et des vertiges. Et des effets indésirables graves, notamment des pensées suicidaires, ont été observés chez 3 % des participants. L’administration de psychédéliques reste d’ailleurs très encadrée.

Aux hôpitaux universitaires de Genève (Suisse), qui proposent depuis plusieurs années la psychothérapie assistée par psychédélique, une infirmière assure une surveillance constante tout au long de la séance pendant laquelle la psilocybine ou le LSD sont délivrés par voie orale. Un rendez-vous le lendemain et un mois après sont également prévus. Qualifiés par bon nombre de psychiatres de “révolution”, les psychédéliques doivent malgré tout faire l’objet de davantage de recherche avant de rentrer dans la pratique.

Cette ébullition autour des psychédéliques ne doit pas masquer un autre grand pan de recherche, celui de la neuromodulation. Dans la lignée de l’électroconvulsivothérapie, la forme la plus ancienne de stimulation électrique du cerveau réalisée sous anesthésie générale, d’autres formes moins invasives ont vu le jour. “L’une des plus prometteuses est la stimulation magnétique transcrânienne (rTMS) “, déclare Charles Laïdi. Concrètement, une bobine électromagnétique placée au contact de la tête envoie un champ magnétique sur une zone bien précise du cortex préfrontal dorsolatéral afin de moduler l’activité des neurones. Grâce à une IRM de repos, le ciblage de la zone et l’intensité sont personnalisés.

En juillet 2022, la Haute Autorité de santé (HAS) concluait dans son rapport qu’”en phase aiguë de dépression, les résultats des méta-analyses comparant les deux stratégies de traitement, l’une intégrant la rTMS et l’autre, la procédure factice, montrent qu’il n’existe pas de preuve formelle de l’efficacité spécifique de la rTMS comparée à la procédure factice “. Mais “la HAS n’a évalué que le protocole conventionnel (une séance quotidienne pendant 4 à 6 semaines, ndlr), indique Charles Laïdi. Or, en 2021, une équipe de Stanford (États-Unis) a montré qu’un protocole intensif de 10 séances par jour pendant 5 jours était plus efficace. ” Un mois après le traitement, 79 % des participants avaient obtenu une rémission de leurs épisodes dépressifs. En France, beaucoup de centres pratiquent déjà la rTMS mais ce traitement n’est pas remboursé par la Sécurité sociale.

L’éventail thérapeutique s’est donc élargi ces dix dernières années. Sans compter que les psychothérapies restent des stratégies valides dans le traitement de la dépression. Mais quel traitement prescrire à tel patient ? La question reste hélas pour le moment sans réponse, même si l’identification de sous-groupes homogènes de patients progresse. Nous savons déjà qu’”au moins 40 % des patients déprimés ont une inflammation de bas grade et que cet état entraîne une plus grande résistance aux antidépresseurs “, déclare Marion Leboyer. Or, le biomarqueur de l’inflammation, la CRP, est très facile à mesurer. L’association d’anti-inflammatoires au traitement antidépresseur donne pour le moment des résultats contradictoires, suggérant la nécessité de resserrer les mailles du filet pour cibler des sous-groupes encore plus précis. Pourquoi pas ceux dont le microbiote intestinal est perturbé ? Les preuves d’une association entre dépression et dysbiose intestinale existent.

Un cocktail thérapeutique de 14 souches de bactéries

Deux études publiées dans Nature Communications en décembre 2022 ont même permis d’identifier une composition microbienne bien précise pouvant favoriser l’apparition de symptômes dépressifs. Et de nouvelles stratégies thérapeutiques à base de probiotiques commencent à porter leurs fruits. Avec la prise quotidienne d’un cocktail de 14 souches de bactéries pendant huit semaines, des personnes souffrant d’un trouble dépressif majeur ont vu leurs symptômes s’améliorer beaucoup plus que ceux ayant reçu un placebo. Cet essai pilote portant sur 49 personnes, publié en juillet 2023 dans Jama Psychiatry, doit bien sûr être répliqué sur de plus grands échantillons.

Plusieurs équipes de recherche parient donc sur une restauration du microbiote ainsi que sur le nerf vague, l’axe cerveau-intestin. Dans une étude Inserm-Institut Pasteur-CNRS parue en mai 2023 dans Molecular Psychiatry, toutes les souris saines dont le nerf vague avait été sectionné au niveau de l’abdomen, et à qui on avait transféré le microbiote de souris dépressives, ont été protégées de la maladie. La stimulation du nerf vague par neurostimulation, approuvée dès 2005 par la FDA dans la dépression résistante, se développe quant à elle tout doucement. Une autre piste pourrait ouvrir la voie à la personnalisation des traitements: les anomalies au niveau des mitochondries.

Ces dernières sont essentielles pour maintenir un niveau d’énergie suffisant permettant de libérer des neurotransmetteurs et ainsi favoriser la communication entre les neurones. Si notre métabolisme ne fonctionne pas correctement et produit trop peu de neurotransmetteurs, cela pourrait entraîner une dépression. Mais il n’existe pas à ce jour de biomarqueur facilement mesurable de ce type d’anomalie.

“Malgré le manque de moyens, la recherche en psychiatrie avance. Nous sommes même à un tournant capital “, lance Marion Leboyer. La validation des biomarqueurs est en bonne voie et dans son sillon, la quantification du nombre de formes de dépression devrait être possible. Et même si les origines de la maladie restent obscures, Pierre-Michel Llorca se veut optimiste. “N’oublions pas qu’il y a quinze ans, nous ne parvenions à guérir qu’un petit quart des dépressions résistantes. Avec les stratégies actuelles, on atteint les 40 %. ”

Les psychédéliques en microdose à l’étude

Se procurer sur Internet des petites quantités de psilocybine, la substance active des champignons magiques, n’a rien de compliqué. Bien qu’illégal, ce commerce est florissant. De quoi s’agit-il précisément ? La définition du microdosage est encore un peu floue, mais d’après une étude parue en 2019 dans le Journal of Psychopharmacology, “le microdosage psychédélique correspondrait à 5-10 % d’une dose psychoactive habituelle et se situerait entre une dose pharmacologique complète (100 %) et une ‘microdose pharmacologique’ “. Si le risque d’hallucinations est très faible avec une telle dose, ces capsules de champignons magiques en poudre sont-elles pour autant sans danger ? Ont-elles des effets bénéfiques ?

Impossible de répondre dans la mesure où aucune étude n’a été menée, notamment sur des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Rotem Petranker, directeur du Centre canadien des sciences psychédéliques, a commencé en juillet 2023 la toute première visant à évaluer les effets du microdosage de psilocybine sur les troubles dépressifs majeurs. Quelque 100 participants vont recevoir une microdose une fois par semaine pendant neuf semaines dans un environnement contrôlé par des professionnels de la santé. Tout au long de cet essai, les participants seront invités à passer des évaluations cognitives et diagnostiques afin de suivre les effets de la psilocybine.

La même équipe avait mené une étude en 2020 en interrogeant 6753 personnes ayant pratiqué le microdosage au moins une fois au cours des 12 derniers mois. Ils rapportaient une amélioration de l’humeur, de la créativité, de la concentration et de la sociabilité. Selon les chercheurs, “les avantages associés au microdosage l’emportent largement sur les difficultés ” mais il était urgent de mener des études en double aveugle, contrôlées par placebo… Les premiers résultats sont attendus pour ce mois de février.

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