Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Il existe un bleu vert si saturé que vous ne pouvez qu’essayer de l’imaginer, mais pas le voir… Sauf en passant sous l’étonnante machine de l’université de Berkeley (Etats-unis). Basée sur une cartographie précise de la localisation de chacun des trois types de cônes d’une rétine, ce dispositif a pu sélectivement en stimuler certains d’une façon impossible à obtenir en conditions naturelles. Cette nouvelle stratégie nommée Oz pourrait permettre aux daltoniens de retrouver la perception de certaines couleurs.
Les cônes S, M et L de la rétine permettent au cerveau de percevoir les couleurs
« Nous avons pu montrer une couleur en dehors de la gamme humaine naturelle », se félicite James Fong, premier auteur de ces travaux publiés dans la revue Science Advances. Chacun leur tour, cinq adultes s’asseyent et mordent dans un morceau de plastique représentant un moule négatif de leurs dents. « Cette barre de morsure est physiquement attachée à la machine et nous permet de positionner la tête du patient dans les trois dimensions », explique le chercheur.
Face à leurs rétines, le rayon est si précis qu’il peut cibler un type spécifique de cônes. Ces derniers sont au nombre de trois, nommés S, M et L. Ils réagissent respectivement préférentiellement aux longueurs d’ondes basses (se traduisant dans le cerveau par la perception des couleurs violet, bleu), moyennes (vert, jaune) et hautes (orange, rouge).
« Par exemple, une lumière de courte longueur d’onde activera les cellules S plus que les cellules L ou M. Le cerveau reçoit ce signal et, dans votre esprit, vous percevez la couleur bleue. La lumière de grande longueur d’onde activera les cellules L plus que les cellules M ou S, et votre cerveau percevra la couleur rouge », illustre James Fong. Impossible cependant de les activer sélectivement, car les niveaux de longueurs d’ondes auxquels ces cônes sont sensibles se chevauchent largement, et seule la proportion des cellules S, M et L activées par la lumière reçue permet au cerveau d’en déduire une couleur.
Une cartographie détaillée de la rétine qui permet de suivre chaque cellule en temps réel
C’est là que le dispositif Oz est particulier. Il délivre des microdoses d’un laser à une longueur d’onde précise quasiment uniquement aux cônes de type M de chaque patient. Pour cela, le système se base sur une cartographie détaillée de l’emplacement de chaque type de cônes sur la rétine du sujet, un travail colossal. « C’est un peu comme la carte d’une ville capturée par satellite dans le monde réel, à laquelle on ajoute des métadonnées telles que l’emplacement des différents bâtiments et le nom des rues », explique James Fong.
Pour cela, les scientifiques se servent d’une technique appelée « tomographie par cohérence optique adaptative ». « L’idée principale est que si vous éclairez les cellules, elles changeront de forme de différentes manières en fonction de la sensibilité de la cellule à la lumière », détaille le chercheur. Pendant l’expérience en elle-même, le système Oz se fonde sur le flux vidéo en direct de la rétine pour en déduire, grâce à la cartographie précédemment établie, l’emplacement exact des cellules auxquelles administrer des microdoses de laser. C’est la rapidité et la précision que nécessite ce système qui ont donné le plus de fil à retordre à l’équipe.
Un laser vert qui devient ultra bleu-vert
543 nm, c’est la longueur d’onde exacte du laser envoyé sur les cellules M et qui correspond si on le regardait en conditions normales à une couleur verte. Mais si Oz active tout de même quelques cônes S et L au passage, ses impulsions ciblant quasi uniquement les cônes M crée une nouvelle couleur, d’après ce que décrivent les sujets en s’appuyant sur des couleurs de référence. Ils la décrivent comme un bleu-vert d’une saturation sans précédent, et dont la couleur la plus proche qu’ils aient pu pointer est aux limites de la perception naturelle humaine.
« Nous avons créé une couleur dans laquelle l’activation de M par rapport à L ou S est beaucoup plus importante qu’elle ne devrait l’être, et il n’est donc pas surprenant que la couleur soit saturée », interprète James Fong. « Ce qui est intéressant, c’est que cette saturation peut en fait être ressentie par les sujets comme plus saturée que ce qui devrait être possible. » Les cinq participants ont d’ailleurs évalué la saturation de la couleur existante la plus proche à 2,9 sur une échelle de 4… Contre 4 pour la toute nouvelle couleur induite par Oz.
Mieux comprendre les maladies rétiniennes et le daltonisme
« L’objectif ultime est de fournir un contrôle programmable sur chaque photorécepteur de la rétine à tout moment », anticipe James Fang, qui souhaite mettre au point un outil de laboratoire permettant de mieux comprendre la rétine. « Cette meilleure compréhension pourrait alors déboucher sur d’éventuels traitements du daltonisme ou des tests de maladies rétiniennes par exemple. » En ré-étiquetant une fraction des cônes pour qu’ils correspondent au type de cône manquant d’une personne daltonienne, il espère pouvoir lui apprendre à voir une nouvelle dimension de la couleur, malgré le fait que leur cerveau ne s’est par définition pas développé avec la possibilité de voir ces nuances.
Si cela fonctionnait, cela prouverait que l’ajout d’un nouveau type de cône dans leur rétine, par thérapie génique par exemple, est un remède suffisant. « Et plus encore, que le cerveau est encore suffisamment plastique à l’âge adulte pour que ce remède fonctionne », conclut James Fang.
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