Objectif : vivre 120 ans en bonne santé

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Objectif : vivre 120 ans en bonne santé
Objectif : vivre 120 ans en bonne santé

Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Cancers, maladies cardio-vasculaires ou neurodégénératives… Les pathologies les plus meurtrières aujourd’hui sont toutes liées à l’âge. À tel point que le vieillissement n’est plus simplement considéré comme un facteur de risque, mais comme la cause même de ces maladies. “Les recherches sur la biologie du vieillissement convergent vers ce nouveau concept: la vieillesse serait la mère des maladies et les pathologies liées à l’âge ne seraient que les conséquences de ce processus biologique “, lance Jean-Marc Lemaitre, directeur de recherche Inserm à l’Institut de médecine régénératrice et de biothérapie de Montpellier (IRMB). Une nouvelle approche dont découle cet objectif: bloquer le vieillissement pour éviter ces maladies causées par l’âge.

Une douzaine d’événements qui contribuent au vieillissement cellulaire

Mais pour stopper ce processus, il faut d’abord le comprendre. Les experts du domaine ont déjà identifié une douzaine d’événements qui contribuent au vieillissement cellulaire, détaillés dans un article publié dans le journal Cell. “Il s’agit d’un processus biologique qui nous atteint tous, caractérisé par des mécanismes moléculaires et cellulaires qui, ensemble, déterminent le phénotype du vieillissement “, résume Carlos López-Otín, auteur de l’article et professeur de biochimie et biologie moléculaire à l’Université d’Oviedo, en Espagne.

Certains de ces mécanismes déclenchent directement le processus du vieillissement en causant des dommages qui s’accumulent avec l’âge, tels que les cassures d’ADN, les altérations épigénétiques – marques régulant l’expression des gènes – et le raccourcissement des télomères, des morceaux d’ADN qui protègent l’extrémité des chromosomes. Autant de mécanismes qui, in fine, conduisent à une inflammation chronique des tissus et à l’épuisement des cellules souches.

De nombreuses recherches ont montré que ces événements, loin d’être indépendants, sont liés. Ainsi, des interventions ciblant l’un de ces mécanismes pourraient avoir une conséquence sur les autres, et donc sur tout le processus du vieillissement cellulaire. Encore faut-il identifier la cible la plus pertinente pour l’enrayer dans sa globalité. De ce point de vue, ce sont les altérations épigénétiques qui ont une longueur d’avance. “De nombreux mécanismes interviennent dans le vieillissement de la cellule, mais ils sont très variables d’un individu à l’autre, relève Steve Horvath, chercheur à l’Institut de science Altos Labs à Cambridge (Royaume-Uni). Tous sauf un: la méthylation de l’ADN. ” C’est-à-dire les modifications chimiques qui opèrent pour réguler l’expression des gènes.

“Ces méthylations sont très étonnantes, car on dirait qu’une partie de ces modifications suit un programme très précis: elles sont très similaires d’un individu à l’autre, à travers toutes les espèces de mammifères ! ” Cette “programmation” très précise que l’âge semble imposer à ces méthylations concerne principalement les cytosines (le “C” des quatre acides nucléiques, ou lettres, qui composent notre ADN: ATCG).

L’équipe de Steve Horvath à l’Université de Californie à Los Angeles (États-Unis) – où il était professeur avant de rejoindre Altos Labs – a mis en évidence un groupe de près de 12.000 cytosines très bien conservées chez les mammifères et dont la méthylation permet d’estimer l’âge de chaque espèce. Une véritable horloge biologique présentée en août 2023 dans le journal Nature Aging, dix ans après avoir montré sa grande précision chez les humains. “Je pense que l’existence de cette horloge épigénétique est due au fait que ces méthylations jouent aussi un rôle dans le développement de l’organisme. Lequel consiste en une programmation des cellules dont ferait partie le vieillissement, juge Steve Horvath. Ainsi, la dégradation liée à l’âge n’est pas seulement causée par l’entropie, comme une voiture qui rouille avec le temps. Une partie de ce processus est programmée. Ce qui veut dire qu’on peut la reprogrammer. ”

Les limites biologiques de la vie humaine

Le nombre de centenaires ne cesse d’augmenter: selon l’Ined, la France en aura plus de 30.000 en 2024, contre 8000 en 2000 et 100 en 1900. Pourtant, personne n’a encore dépassé le record des 122 ans de Jeanne Calment en 1997 et la longévité maximale semble stagner depuis. Une étude publiée dans Nature en 2016 estime que la vie humaine aurait une limite naturelle à environ 115 ans.

Conclusion confirmée par une étude de 2021 dans Nature Communications, qui a modélisé les dégâts causés par le vieillissement et leurs effets sur notre capacité de survie: “Quand on est jeune et en bonne santé, c’est très facile de gérer les stress, mais quand on vieillit, le même niveau de stress nécessitera de plus en plus d’efforts pour revenir à l’équilibre “, expliquait à Sciences et Avenir en 2021 l’auteur de l’étude et directeur du laboratoire de Simulation des systèmes biologiques à Moscou (Russie), Peter Fedichev, qui place la limite naturelle vers 120 ans.

Une étude publiée en 2018 dans Science suggère toutefois que cette limite dépend du nombre de centenaires… Plus ils sont nombreux, plus ils briseraient les records. Sans compter que les technologies anti-âge “pourraient améliorer notre capacité à ramener les paramètres physiologiques vers l’équilibre, s’enthousiasme Peter Fedichev. Avec un tel traitement (qui reste à trouver), la médecine actuelle pourrait être suffisante pour nous garder en vie indéfiniment ! ” Pas sûr que ce rêve soit vraiment désirable.

Reprogrammer les cellules pour les rajeunir

C’est précisément à cela que s’attachent nombre d’équipes: remettre à zéro le programme épigénétique de la cellule. Notamment en adaptant un procédé qui permet de transformer les cellules adultes en cellules souches pluripotentes pouvant se différencier en n’importe quel type cellulaire. Une technique extraordinaire qui avait valu le prix Nobel de médecine 2012 à ses concepteurs: le Japonais Shinya Yamanaka et le Britannique John Gurdon.

C’est ce que tente de faire Vittorio Sebastiano à l’Université Stanford (États-Unis): “Nous donnons aux cellules un cocktail d’ARN messagers codant des protéines qui reprogramment la cellule, mais on ne les traite que sur un laps de temps très court, pour que la cellule rajeunisse mais ne perde pas son identité. ” Avec cette technique, son équipe a rajeuni le muscle de souris de 24 mois (équivalent à un âge de 90 ans pour un humain), pour le rendre semblable à celui de souris de 6 mois (équivalent à 30 ans). L’objectif de son équipe est désormais d’utiliser ce cocktail pour rajeunir des tissus spécifiques du corps humain, en donnant un coup de jeune aux cellules souches fatiguées afin qu’elles régénèrent le tissu dégradé par l’âge ou la maladie. Avec sa start-up Turn Bio, il espère lancer son premier produit rajeunissant pour la peau en 2025.

Outre l’épigénétique, un autre aspect du vieillissement cellulaire semble étroitement lié à l’âge biologique: la longueur des télomères. Ces structures sont faites d’ADN non codant sur lequel se fixent des protéines qui, ensemble, forment comme un capuchon protégeant les extrémités des chromosomes. “Nos chromosomes sont linéaires, cela veut dire que leurs extrémités ressemblent beaucoup à une cassure de l’ADN, comme il en arrive tout le temps. Sans les télomères, celles-ci seraient reconnues comme des cassures accidentelles par les systèmes de réparation, qui essaieraient de les recoller. Cela entraînerait des instabilités chromosomiques, les cellules arrêteraient de se diviser et la vie serait impossible “, détaille le Pr Éric Gilson, de l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (Ircan) à Nice. Reste qu’à chaque division cellulaire, ces télomères raccourcissent. Jusqu’à devenir trop courts pour assurer leur fonction protectrice. C’est alors que la cellule arrête de se diviser et entre en sénescence.

Cibler les cellules sénescentes

Certaines équipes travaillent donc à rallonger ces télomères pour retarder l’arrivée de la sénescence cellulaire, étape clé du vieillissement. Par exemple, Maria Blasco, directrice du groupe Télomères et télomérase au Centre national de recherche sur le cancer en Espagne (CNIO), cherche à traiter les cellules avec de la télomérase, une enzyme naturellement produite durant le développement embryonnaire qui allonge la taille des télomères. Attention toutefois: “S’injecter de la télomérase, c’est typiquement ce qu’il ne faut pas faire “, prévient Éric Gilson. Car le raccourcissement des télomères joue un rôle important en nous protégeant notamment des cancers et autres stress cellulaires. “S’il y a un risque oncogénique, l’organisme sera plus vite alerté si les télomères sont courts, poursuit-il. Cela peut éviter une prolifération cancéreuse rapidement. Alors qu’avec des télomères longs, il y aura plus de divisions avant que l’alerte ne soit donnée. La cellule aura donc le temps d’accumuler plus de mutations cancéreuses. ”

Éric Gilson propose donc une nouvelle approche, ciblant les protéines du télomère sans toucher à leur longueur: “On peut imaginer des systèmes de ciblage pharmacologique pour s’attaquer seulement aux parties de ces protéines qui sont vraiment délétères, et garder ce qui est bon. Nous pourrions alors augmenter la durée de vie sans accroître les risques de cancer. Nous n’y sommes pas encore, mais c’est la direction qu’on prend. ” S’il est ainsi possible de retarder l’avènement de la sénescence cellulaire, celle-ci arrivera tôt ou tard. Or, ces cellules sénescentes sécrètent des facteurs pro-inflammatoires qui peuvent endommager les cellules avoisinantes, accélérant le processus de vieillissement.

“Le système immunitaire est normalement en charge de supprimer ces cellules. Ces facteurs pro-inflammatoires sont d’ailleurs le signal permettant de les repérer, précise Jean-Marc Lemaitre. Mais avec l’âge, le système immunitaire les reconnaît de moins en moins, donc elles s’accumulent et causent en permanence de l’inflammation. Et ces facteurs pro-inflammatoires débordent vers d’autres tissus, dans une sorte de phénomène de contagion qui vieillit tout l’organisme. ” Pour enrayer ce processus, on peut cibler les cellules sénescentes avec des sénolytiques, des molécules qui dégradent spécifiquement ces cellules. Sur des modèles animaux, elles ont déjà permis de rallonger significativement la durée de vie en bonne santé. “Ces molécules sénolytiques font déjà l’objet d’essais cliniques aux États-Unis sur des pathologies liées à l’âge “, révèle le chercheur.

La restriction calorique donne un coup de jeune aux cellules

En attendant, des interventions ont déjà montré qu’il était possible de rajeunir les humains. C’est le cas de la restriction calorique: un essai randomisé publié en février 2023 dans le journal Nature Aging a montré que diminuer d’environ 15 % l’apport calorique ralentit de 2 à 3 % le vieillissement cellulaire chez des adultes en bonne santé. “Lorsqu’on fait de la restriction calorique, le manque de nutriments pousse la cellule à en produire. Pour ce faire, elle dégrade les protéines et en fabrique de nouvelles. Cela donne un petit coup de jeune à la physiologie de nos cellules “, détaille Jean-Marc Lemaitre.

Et il est possible d’imiter cet effet en utilisant certains médicaments existants, tels que l’antidiabétique metformine: les patients qui en prennent ont moins de cancers, moins de maladies cardio-vasculaires, moins de maladies neurodégénératives et vivent plus longtemps que la majorité des gens qui ne sont pas diabétiques et ne prennent donc pas de metformine. “Mon collègue aux États-Unis, Nir Barzilai (directeur de l’Institut de recherche sur le vieillissement au collège de médecine Albert-Einstein à New York, aux États-Unis, ndlr), va tester l’efficacité de la metformine sur des non-diabétiques pour voir si, effectivement, ça retarde toutes les pathologies liées à l’âge. C’est dans les tuyaux, ça ne devrait pas tarder, révèle-t-il. Avec toutes les recherches en cours, je pense que vivre jusqu’à 120 ans en bonne santé n’est pas un objectif inatteignable. ”

L’offensive des milliardaires

Qu’est-ce que Jeff Bezos (patron d’Amazon), Sam Altman (OpenAI), Peter Thiel (cofondateur de PayPal), et Larry Page (cofondateur de Google) ont en commun, en plus de leurs milliards ? Leur volonté de tuer la mort. Depuis une décennie, les milliardaires investissent massivement dans la recherche contre le vieillissement, en utilisant leur fortune pour créer des instituts de recherche consacrés à ce seul but. Une tendance qui a commencé en 2013 avec Calico (financée par Google) et Unity Biotechnology en 2016 (financée par Thiel et Bezos), et qui prend de la vitesse depuis deux ans avec Retro Biosciences (financée par Sam Altman), et Altos Labs, qui, selon le quotidien britannique The Guardian, aurait un budget mirobolant de plus de 2 milliards d’euros grâce aux financements de plusieurs milliardaires, dont Jeff Bezos.

De quoi construire trois centres de recherche (deux en Californie et un à Cambridge, au Royaume-Uni) et y attirer les meilleurs chercheurs du domaine, dont Steve Horvath de l’Institut de science Altos Labs: “Je voulais dépasser le stade de recherche académique pour concevoir des traitements qui puissent vraiment aider les gens d’une façon très concrète, confie-t-il. Et pour faire cela, on a besoin de beaucoup de personnes avec une variété de compétences et d’expertises. ” Pour réunir ces équipes gigantesques, il faut de l’argent.

Malgré ces budgets sans précédent, la lutte contre la vieillesse ne va pas assez vite pour certains. Notamment à cause des agences régulatrices, telle l’agence américaine du médicament (FDA). Ne considérant pas le vieillissement comme une maladie, celle-ci refuse tout essai clinique qui puisse mettre en danger quelqu’un en bonne santé, sous prétexte de lui donner quelques années de vie en plus. Selon une enquête parue dans MIT Technology Review en mai 2023, un groupe de milliardaires tenterait même de créer un État indépendant sur les belles plages du Monténégro, pour libérer enfin la recherche anti-âge des barrières de la FDA.

Et d’autres décident de devenir eux-mêmes leur propre cobaye. C’est le cas de Bryan Johnson, milliardaire américain qui a dépensé une partie de sa fortune pour concevoir un protocole anti-vieillissement qu’il teste sur lui-même. Tous les jours, il avale une centaine de pilules et suit un régime alimentaire très strict, avec des heures de sport et de luminothérapie. Grâce à son protocole, il affirme avoir rajeuni d’environ une dizaine d’années… mais il refuse que des experts indépendants vérifient son âge biologique.

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