Par Mawunyo Hermann Boko
Africa-Press – Senegal. Les forces socialistes, qui cheminent aux côtés de Macky Sall, rêvent de constituer une alternative aux formations libérales qui dirigent le pays depuis 2000. Pourtant, elles ne présenteront pas de candidat à la présidentielle de février 2024.
Ce 1er août au palais présidentiel, c’est un chef de l’État embarrassé par les divisions au sein de son propre parti, l’Alliance pour la République (APR), qui reçoit les différents leaders qui composent l’aile gauche de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY).
Macky Sall a jusque-là réussi à tenir cette alliance hétéroclite. En presque douze années, le parti présidentiel, lui-même issu du Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade à la sensibilité libérale, a su s’affermir grâce à l’appui – ou plutôt sur le dos – de plusieurs dizaines de formations d’obédience socialiste parmi lesquelles le Parti socialiste (PS) et l’Alliance des forces de progrès (l’AFP) de Moustapha Niasse.
Une saveur inégale…
Mais selon que l’on soit d’un bord ou de l’autre, ce compagnonnage n’a pas toujours eu la même saveur. S’il a permis à l’APR, une formation relativement jeune, de renforcer son ancrage politique, il a contribué à réduire l’influence des forces de gauche qui lui avaient apporté leur soutien. Ce 1er août, Macky sall, qui a annoncé quelques semaines plus tôt qu’il ne briguerait pas de troisième mandat, veut donc s’assurer que la coalition avec laquelle il a gouverné restera unie derrière celui qu’il choisira pour porter ses couleurs.
En plus des membres du bureau politique du PS et de l’AFP sont présents des représentants de la Ligue démocratique (LD), de l’Union de la démocratie et du fédéralisme (UDF/Mboloo-mi), du Rassemblement national démocratique (RND) ou encore du Parti de l’indépendance et du travail (PIT). Des partis historiques créés au début des années 1980 dans la foulée de l’instauration du multipartisme.
Devant Macky Sall, les invités du jour affichent une cohésion de façade. Une dizaine d’orateurs – triés sur le volet – réitèrent leur soutien au chef de l’État à l’image du député socialiste Aly Mané proche d’Amadou Ba. Mais certains dans l’assistance rongent leur frein. « La décision d’accompagner le candidat de BBY n’a pas fait l’objet de consensus dans nos rangs. La base n’a pas été consultée. Notre accord était d’accompagner Macky Sall durant sa présidence. Maintenant qu’il a renoncé à se représenter, la direction du parti veut que l’on accompagne le candidat de l’APR sans poser nos conditions », peste un membre du bureau politique du PS qui était à la réunion. « L’alliance avec Benno Bokk Yakaar a été positive sur le plan des infrastructures, il y a eu beaucoup de réalisations, admet Nicolas Ndiaye, secrétaire général de la LD. Mais les partis de gauche ont été affaiblis électoralement, et même idéologiquement. »
La piste Khalifa Sall ?
Le malaise est en réalité plus profond. Si le PS était déjà divisé sur l’idée de continuer ou non le compagnonnage au sein de BBY, une aile plus radicale portée par l’Initiative réflexions et actions socialistes (Iras), un creuset dirigé par Boubacar Baldé, travaille à une réunification de toutes les forces de gauche autour du candidat le mieux positionné. En l’occurrence, à l’en croire, l’ancien maire de Dakar et dissident du PS, Khalifa Sall dont la formation politique, Taxawu Sénégal, a obtenu 14 députés lors des législatives de juillet 2022.
« La gauche sénégalaise peut se reconstruire si elle se regroupe derrière Khalifa Sall, pense Birahim Camara, membre du PS. À défaut, nous soutiendrons le candidat socialiste le mieux placé au second tour et non celui de Benno Bokk Yakaar. »
Les membres de l’Iras ont également apporté leur soutien à l’ancien ministre du Tourisme et membre de l’AFP, Alioune Sall, qui s’est porté candidat à la présidentielle contre l’avis de son mentor historique, Moustapha Niasse, qui a lui réaffirmé l’ancrage de son parti au sein de BBY.
L’idée d’une candidature socialiste unique a en revanche fait long feu, douchée lors des assises nationales des forces de la gauche organisées les 5 et 6 août. Invités à participer à cette rencontre qui regroupait uniquement les formations socialistes de la coalition au pouvoir, Aminata Mbengue Ndiaye, à la tête du PS, et Moustapha Niasse ont réaffirmé qu’il n’était pas question de soutenir un candidat autre que celui que choisirait Macky Sall – lequel a d’ailleurs rencontré de nouveau ses alliés de gauche le 18 août.
« Nous sommes en train de nous réunir en vue de désigner notre candidat à la prochaine élection présidentielle. Les discussions sont en cours. Si la gauche veut avoir un candidat maintenant, il faut bien qu’on dise que nous avons déjà pris d’autres engagements au niveau de Benno Bokk Yakaar », s’est empressée de rappeler la secrétaire générale par intérim du PS, sans exclure une candidature socialiste… après la présidentielle de 2024.
2029 dans le viseur
C’est cependant la première fois que les forces de gauche posent les jalons de leurs retrouvailles et concrétisent l’idée qu’elles peuvent être une alternative à la gouvernance libérale, 23 ans après la défaite en 2000 du Parti socialiste sous Abdou Diouf. « Originellement, la gauche sénégalaise regroupait les partis nés après la disparition du PAI [Parti africain de l’indépendance] en 1961 et opposés au PS, la formation dominante jusqu’en 2000, raconte Mamadou Diouf, historien sénégalais et professeur à l’université Columbia, à New York. Mais ils n’ont jamais eu le succès populaire qui devait être le leur. Jusqu’à présent, ces partis se sont toujours retrouvés dans des coalitions où la décision ne leur appartient pas. »
« Aujourd’hui, nous pensons que cela suffit d’être à la remorque des partis libéraux. Les partis de gauche peuvent mieux faire les transformations sociales », insiste Nicolas Ndiaye qui affirme que les pourparlers continueront au-delà de la présidentielle de février 2924.
Mais que pourrait bien peser politiquement une coalition faite uniquement de forces socialistes ? Si celles aujourd’hui attelées au parti présidentiel de Macky Sall ont perdu en influence, ce n’est pas le cas des partis de gauche qui cheminent aux côtés de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi (YAW), telles que Taxawu Sénégal de Khalifa Sall ou le Grand parti de Malick Gakou. « L’idée des retrouvailles a pris du temps à germer dans la tête de certains, conclut Nicolas Ndiaye. Mais nous sommes sûrs que si nous réussissons, la gauche prendra le pouvoir en 2029. »
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