Au Sénégal, Amadou Ba candidat malgré tout

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Au Sénégal, Amadou Ba candidat malgré tout
Au Sénégal, Amadou Ba candidat malgré tout

Marième Soumaré
et Mawunyo Hermann Boko

Africa-Press – Senegal. Il était donné hors-jeu de la course électorale. En dépit des attaques de ses détracteurs, l’ex-Premier ministre portera les couleurs de la majorité lors de la présidentielle, ce 24 mars. Retour sur la campagne mouvementée du candidat de Macky Sall.

Le temps d’une courte prière dans une petite mosquée, et le cortège d’une vingtaine de femmes et d’hommes s’élance dans les ruelles sablonneuses du quartier Unité 15 des Parcelles assainies. Casquette à l’effigie d’Amadou Ba, le candidat du pouvoir, vissée sur la tête, Moussa Sy, l’ancien maire de cette vaste commune de la banlieue de Dakar – c’est aussi la plus peuplée (200 000 habitants, dont 100 000 électeurs) – prend la tête de la colonne.

Il est presque 18 heures ce mercredi 20 mars. La campagne de proximité des militants de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (BBY) a commencé. Le but: convaincre les habitants de voter pour « l’enfant de la commune » ce dimanche 24 mars, lors du premier tour de l’élection présidentielle. L’ancien Premier ministre a grandi ici. Il y est très populaire. « Depuis l’indépendance, aucun président originaire de Dakar ou de sa banlieue n’a été élu. C’est une grande opportunité. Nous avons donc intérêt à nous mobiliser derrière Amadou Ba », affirme Mamoudou Wane, secrétaire national adjoint chargé de la vie politique du Parti socialiste (PS).

Un pour tous et tous pour un… candidat

Bientôt une heure que la cohorte de militants marche à travers les rangées de maisons. L’ambiance est bon enfant, ponctuée de slogans à la gloire d’Amadou Ba. Des dizaines de sympathisants ont rejoint le cortège. À trois jours du scrutin, les responsables jouent la carte affective. Et les populations semblent réceptives.

Démonstration d’abord chez le délégué du quartier, Mbacké Sall, dont la maison est l’une des premières visitées. « Vous êtes ici chez vous », annonce-t-il tandis qu’une habitante de son domicile scande le nom d’Amadou Ba. Un peu plus tard, un vendeur de charbon lance à la cantonade: « Cette fois-ci nous n’allons pas commettre une seconde erreur. Nous allons voter pour notre fils ! » Il répète ainsi des mots prononcés par Cheikh Ibrahim Niass, un marabout influent de la ville chez qui la procession a également fait une halte.

Le dignitaire religieux se plaint de l’interruption des aides municipales, un choix du nouveau maire Djamil Sané. Le membre du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), la formation dissoute de l’opposant Ousmane Sonko, a remporté la mairie en janvier 2022, mettant fin aux treize ans de règne de Moussa Sy. La tête de liste de la majorité présidentielle avait été fragilisée par la division au sein de BBY et la multiplication des listes dissidentes. « Nous étions divisés, chacun de nous avait ses propres ambitions. Aujourd’hui, nous sommes tous ensemble pour nous battre pour un seul candidat », défend Moussa Sy. « Notre autre avantage, c’est que l’opposition n’a rien fait pour les populations en deux ans, ajoute Amy Collé Diagne, une responsable de son parti, l’Appel national pour la citoyenneté (ANC). Le maire a préféré manipuler les jeunes et les inciter à la violence. »

Les Parcelles assainies ont été un point chaud des tensions politiques qui ont secoué le Sénégal entre mars 2021 et février 2024. Arrêté en août 2023 pour appel à l’insurrection, Djamil Sané n’a été libéré que récemment. Lors du scrutin du 24 mars, Amadou Ba aura à son tour à affronter un membre du Pastef: le bras droit d’Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye. Les deux hommes ont été libérés de prison le 14 mars et se sont lancés immédiatement dans une tournée à travers le pays.

Le candidat de la majorité lui, a pu commencer sa campagne dès le 9 mars. Il lui avait fallu la débuter seul, ou presque. Il ne pouvait alors compter que sur une poignée de fidèles qui s’étaient, sans succès, opposés au report de la présidentielle du 25 février dont tout le monde pressentait qu’il servait de prétexte à Macky Sall pour changer de candidat. Le manque de soutien est tel qu’Amadou Ba prend lui-même la décision de convoquer un entretien avec son chef, mardi 12 mars, pour lui demander de remobiliser ses troupes. Il parviendra à le convaincre. Dès le lendemain, le mot d’ordre est donné: tous les responsables régionaux et départementaux sont sommés de mettre la main à la pâte pour œuvrer à sa victoire.

Amadou Ba, le choix de l’expérience

« Ces histoires sont désormais derrière nous », tranche l’ancienne ministre Zahra Iyane Thiam, qui a accompagné Amadou Ba sur toute sa campagne. « Les responsables locaux nous ont accueilli partout où nous sommes passés et la coalition a resserré les rangs. » La machine grippée de BBY s’est-elle mise en marche à temps ? Zahra Iyane Thiam n’en doute pas. « La politique a ses réalités. Pour gagner une élection, il faut avoir une machine électorale. Même dans les contrées les plus reculées du Sénégal, nos militants se sont organisés et ils étaient déjà sur le terrain », poursuit la responsable. « Nous sommes un peu plus confiants, et les prises de parole sont plus affirmées », abonde Mamoudou Wane aux Parcelles.

L’équipe d’Amadou Ba mise aussi, et surtout, sur le bilan du président sortant. À 62 ans, le commis de l’État, qui a débuté sa carrière aux Impôts et Domaines avant d’intégrer le gouvernement de Macky Sall, a bâti son programme de campagne dans la continuité de deux mandats de son mentor. Il n’hésite pas à mettre son expérience en avant face à ses adversaires, en premier lieu le favori de l’opposition Bassirou Diomaye Faye. Cela suffira-t-il pour convaincre les Sénégalais ? À quelques semaines du vote, un membre de la majorité, qui a œuvré à l’élection du chef de l’État sortant en 2012, estimait qu’Amadou Ba n’en faisait pas assez. « Il s’est trompé de campagne, en abordant cette élection comme Macky Sall en 2019. Il n’est pas allé assez loin dans la construction de ses mesures », confiait ce responsable.

« Il n’a pas su s’entourer des personnes qui auraient pu lui donner de la légitimité », poursuivait notre interlocuteur. Une mise en retrait qui aurait donné la liberté à ses détracteurs de lui mettre des bâtons dans les roues. « Il pensait qu’il fallait faire le dos rond, justifie l’un de ses proches. Il n’a pas donné l’impression d’avoir pris son indépendance. » Dans les rangs de la majorité, beaucoup reprochent à l’ancien Premier ministre de n’avoir pas su tendre la main aux responsables de BBY – des mois plus tard, certains n’avaient toujours pas digéré de ne pas avoir été invités à sa cérémonie d’investiture, en décembre. « La décision de Macky Sall de ne pas être candidat à sa propre succession était inédite. Cela en a déstabilisé certains, et il a fallu nous réadapter », euphémise Zahra Yane Thiam.

Au sein de la coalition, ceux qui voyaient d’un mauvais œil la candidature de l’ancien patron des Impôts et Domaines sont nombreux. « Lorsqu’il a été choisi, il estimait que puisque Macky Sall l’avait désigné, il n’avait plus rien à faire. C’était pourtant à lui de rassurer. Il aurait pu utiliser sa position de Premier ministre et ses tournées économiques pour remobiliser. Il ne l’a pas fait », regrette un cadre de BBY. Là où ses proches le disent serein, discret, ses adversaires le voient sournois, calculateur. « Il veut donner l’impression d’être l’ami de tout le monde, tacle notre interlocuteur. Pour celui qui ne le connaît pas, il a l’air calme, mais ce n’est qu’un jeu. »

En pleine tempête, le Premier ministre maintient le cap, refuse de quitter son poste, dont il est persuadé qu’il représente un atout pour sa candidature. Jusqu’au bout, il y a cru et n’a pas lâché. En 2020 déjà, lorsqu’il avait été débarqué de son poste de ministre des Affaires étrangères, certains proches lui murmuraient de quitter l’attelage présidentiel. Il était resté fidèle à Macky Sall.

Pas question désormais de renoncer à cette position qu’il a tant convoitée. Dans la tourmente, il répète à qui veut l’entendre que la confiance de Macky Sall n’a pas flanché. « Désormais, le président est obligé de soutenir Amadou Ba », lâchait un conseiller présidentiel quelques jours après l’annonce du report. « Alors qu’il y a deux semaines, il n’en voulait plus. »

Victoire au premier tour ?

En février, tandis que tout le Sénégal se demande si Macky Sall ne va pas lui préférer un autre candidat, Amadou Ba continue de prophétiser une victoire au premier tour, ce qui rend perplexe certains responsables, qui jugent son assurance « contre-productive ». « Le grand paradoxe, c’est que cet épisode l’a révélé. Lors de son entrevue avec le président, il lui a fait comprendre qu’il n’avait pas le choix [de ne pas le soutenir], et qu’il avait du monde derrière lui, observe un conseiller ministériel. Il a une grande intelligence des rapports de force. » Sitôt l’assurance de Macky Sall regagnée, Amadou Ba est reparti en campagne. Sans Macky Sall, qui avait un temps envisagé de le rejoindre à hauteur de son fief de Fatick.

Peu à peu, Amadou Ba a su se détacher de la figure de son mentor – désormais présenté comme son « ex-patron » par ses proches. « Macky Sall participe à sa manière et c’est aussi bien, glisse Zahra Yane Thiam. Il reste le premier directeur de campagne d’Amadou Ba. » « Ses équipes lui ont conseillé de ne pas se présenter avec le président », glisse un cadre de la coalition qui a battu campagne avec lui. « Cela pourrait le desservir. »

Bien que vexé par « l’humiliation » que le président lui a fait subir, et dont il se plaint auprès de certains proches, Amadou Ba a profité ces derniers jours de l’exaltation de la campagne électorale et a pris goût aux acclamations des partisans. « Mon heure est venue », a annoncé le candidat, le 20 mars au soir à Thiès, deux jours avant la fin de la campagne dont il pense qu’elle le mènera à la victoire dès le premier tour. « L’idée est simple: Macky Sall, c’est le passé. Ce qui compte désormais, c’est le Sénégal », glisse un communiquant.

Aux Parcelles assainies, la caravane du fils du quartier n’a fait face le 20 mars à aucune résistance de militants de l’opposition. À peine a-t-elle été troublée par quelques passants isolés, qui lançaient des « Diomaye mooy Sonko ». « Nous avons un accueil très favorable des populations. Voyez vous même l’engouement pour notre candidat ! Nous sommes confiants, mais nous allons intensifier la cadence jusqu’à vendredi [22 mars], pour maximiser nos chances », se réjouit Moussa Sy.

Source: jeuneafrique

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