Mawunyo Hermann Boko
Marième Soumaré
et Mehdi Ba
Africa-Press – Senegal. Le parti de Macky Sall a renouvelé officiellement sa confiance à son candidat. Mais depuis le début de la campagne, l’ancien Premier ministre apparaît fragilisé au sein même de BBY. Coulisses.
Le secrétariat exécutif de l’Alliance pour la République (APR, le parti présidentiel) a renouvelé, le mercredi 13 mars, son soutien à Amadou Ba. Le candidat de la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar (BBY), avait brièvement interrompu sa campagne, la veille, en plein meeting à Tivaouane, pour « gérer une urgence » avec le président Macky Sall.
Le soir même, à sa demande, il a rencontré à Dakar le chef de l’État, alors que plusieurs responsables de la majorité qui étaient censés se mobiliser pour porter sa candidature n’avaient pas levé le petit doigt, depuis le 9 mars, pour lui manifester leur soutien. Lors du meeting marquant le lancement de sa campagne, à Mbacké, le 11 mars, seuls les ex-ministres Cheikh Oumar Anne, Zahra Iyane Thiam, Fatou Diané, Mbaye Ndiaye et Cheikh Abdou Bali Mbacké étaient présents pour le soutenir.
Mot d’ordre occulte
Selon nos informations, le candidat Amadou Ba – relevé de son poste de Premier ministre le 6 mars afin de « s’occuper à plein temps de sa campagne » – tentait depuis quelques jours d’obtenir une audience auprès du chef de l’État. « Il s’était entretenu avec lui le vendredi 8 mars ; mais dès le lendemain, en constatant que plusieurs membres importants de son directoire de campagne élargi avaient fait défection lors d’une réunion de cette instance, il a éprouvé le sentiment qu’un mot d’ordre occulte avait été lancé », témoigne l’un de ses proches.
Le député Farba Ngom, chargé de la propagande et de la mobilisation, est en effet absent, tout comme le doyen Moustapha Niasse (de l’Alliance des forces de progrès – AFP), pourtant nommé à la tête du « comité stratégique » du directoire de campagne. L’ancien ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération Doudou Ka, responsable de la rédaction du programme d’Amadou Ba, fait lui aussi défaut.
Seuls deux ministres proches du candidat et de Macky Sall, Abdou Karim Fofana et Pape Malick Ndour, assistent à la réunion. Au cours du week-end, le chef de l’État se trouve quant à lui au Maroc. Lundi 11 mars, espérant une audience afin d’éclaircir la situation avec son mentor, Amadou Ba décide de retarder à 21 heures le début de son meeting à Mbacké, au cœur du pays mouride, qui devait initialement débuter à 17 heures.
Une résolution ferme: parler à Macky Sall
Ce n’est que durant la journée du 12 mars, par l’intermédiaire du fils de Macky Sall, Amadou Sall, que le candidat de BBY obtiendra la promesse d’une entrevue à Dakar, le soir même. Aussitôt, il décide d’abréger le programme qui doit le conduire dans le nord-ouest du pays afin d’effectuer un rapide aller-retour dans la capitale. « Il avait une résolution ferme: demander à Macky Sall de lui dire clairement s’il lui tenait grief de quelque chose », indique à JA une source qui s’est entretenue avec lui dans ce moment de doute.
« Il est vrai que cette campagne est atypique dans la mesure où l’on a l’impression de voir un candidat qui n’est pas vraiment soutenu par son propre camp », déplore l’ancienne ministre de la Microfinance et de l’Économie sociale et solidaire Zahra Iyane Thiam, hostile depuis le début à tout report de la présidentielle et qui soutient ouvertement la candidature d’Amadou Ba. « Nous sommes en crise. Au sein de la coalition présidentielle, les “faucons” sont en train de lui faire des croche-pieds, voire des coups bas, mais le président a sifflé la fin de la récréation », reconnaît le député-maire de Mbacké, Matar Diop.
« Une partie de l’argent [nécessaire à la campagne] avait été bloqué, c’est vrai. Mais tout sera réglé rapidement à présent que le président a confirmé son choix« , affirme un membre de l’équipe de campagne. Selon plusieurs sources, Macky Sall se serait également engagé à venir en personne soutenir Amadou Ba. Ce dernier a d’ailleurs pris dès le 13 mars la direction de Saint-Louis et devrait poursuivre sa tournée dans l’intérieur du pays en faisant étape dans la ville de Dagana, où il est prévu que le ministre des Mines, Oumar Sarr, le rejoigne.
Un plan B déjà prêt ?
Cette normalisation apparente suffira-t-elle à lever les doutes pesant sur la campagne d’Amadou Ba ? De fait, certains ministres qui devaient s’engager à ses côtés ont par la suite reçu des instructions contraires. « Jusqu’ici, aucun acte n’a été posé pour gagner cette élection », lâchait un conseiller ministériel quelques heures avant l’entretien du candidat avec Macky Sall. « La machine électorale tarde à démarrer, car le message n’est pas très clair », renchérissait un cadre de l’APR, le parti présidentiel. « Les gens ne sont pas sûrs de la personne qu’ils sont censés soutenir », admet un cadre de BBY.
Certains ténors de la majorité semblent pourtant avoir fait leur choix, à l’instar du ministre de la Culture, Aliou Sow. Le président du Mouvement des patriotes pour le développement ne fait pas mystère de son ralliement à l’ancien Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne. « Nous n’allons pas tarder à l’officialiser. Nous aurons un accord de gouvernement et nous serons avec lui sur le terrain », confiait le ministre à Jeune Afrique mardi 12 mars.
Et tant pis pour le candidat de la majorité, Amadou Ba. « Je ne soutiens pas sa candidature parce que je ne suis pas convaincu de ce qu’il fait et de comment il le fait », tacle Aliou Sow. « Je me battrai pour que le maximum de responsables me suivent », ajoute-t-il. Difficile de comprendre comment un ministre tout juste nommé (le 8 mars, à quelques jours du scrutin), peut ainsi s’affranchir des consignes officielles du président Macky Sall – auquel Aliou Sow dit par ailleurs être « totalement fidèle ».
Léger remaniement ministériel
Le léger remaniement gouvernemental opéré le 8 mars par le chef de l’État faisait suite à sa décision de libérer son Premier ministre afin qu’il se consacre à plein temps à la campagne électorale. Officiellement désigné comme candidat de la majorité en septembre 2023, Amadou Ba avait jusqu’ici refusé de démissionner, car il estimait que conserver son poste bénéficierait à sa campagne.
Le récent remaniement a été l’occasion pour Macky Sall de se séparer de certains ministres qui s’étaient exprimés publiquement contre le report de la présidentielle au-delà du 2 avril, date officielle de la fin de son mandat, à l’instar du ministre du Travail, Samba Sy, ou de Doudou Ka. Exit également le ministre de l’Éducation nationale, Cheikh Oumar Anne. Ce proche d’Amadou Ba fait partie d’un groupe de responsables qui s’étaient inquiétés du report du scrutin au moment de la première annonce de Macky Sall, le 3 février. En font également partie le propre frère du président, Aliou Sall, ainsi que le ministre de l’Urbanisme, Abdoulaye Saydou Sow – qui a toutefois conservé sa place au sein du gouvernement.
Menaces de démission
Selon nos informations, ce dernier, réputé très proche de Macky Sall, s’est activé ces derniers jours aux côtés de plusieurs autres cadres importants de la majorité, comme le ministre Abdou Karim Fofana, porte-parole du gouvernement, ou le député Farba Ngom, pour convaincre Macky Sall de s’impliquer davantage dans la campagne électorale. À l’inverse, plusieurs autres pontes du régime ont tenté de dissuader le chef de l’État de s’associer aux meetings de son candidat. Parmi eux, les ministres Mame Mbaye Niang et Thérèse Faye Diouf, ou encore le président du Conseil économique, social et environnemental, Abdoulaye Daouda Diallo.
Avant même la rencontre qui s’est tenue dans la soirée du 12 mars entre Macky Sall et Amadou Ba, qui semble marquer une décrispation au sein de la mouvance présidentielle, le candidat de la majorité avait déjà fait un premier pas vers Abdoulaye Daouda Diallo. Lors d’un entretien organisé le 10 mars entre les anciens rivaux – qui briguaient tous deux la succession de Macky Sall –, l’ancien Premier ministre avait invité son camarade de parti à œuvrer à ses côtés.
« Macky Sall s’expose à la fronde de plusieurs de ses collaborateurs, lesquels lui ont fait savoir qu’ils sont opposés à la perspective d’un nouveau report du scrutin », témoigne une source qui a elle-même mis en garde le chef de l’État. À l’AFP et au Parti socialiste, ses alliés historiques au sein de BBY, « Moustapha Niasse et Aminata Mbengue Ndiaye tiennent également au président un discours très ferme sur le fait qu’Amadou Ba restera leur candidat », assure notre interlocuteur. Une position partagée par certains poids lourds de l’entourage présidentiel, prêts à mettre leur démission dans la balance si l’ostracisme à l’encontre d’Amadou Ba devait se perpétuer alors que le premier tour se rapproche dangereusement.
Un ancien ministre, qui a quitté il y a peu le gouvernement, se montre toutefois pessimiste quant aux intentions inavouées au sein de son propre camp. « Leur objectif est de repousser l’élection autant que possible. Mais ils finissent par se rendre compte que de sérieux obstacles se dressent sur cette route et que les scénarios actuellement sur la table auront toutes les difficultés du monde à se concrétiser », confie-t-il, amer.
Le 13 mars, le secrétariat exécutif national (SEN) de l’Alliance pour la République s’est efforcé de clarifier le malaise autour de la candidature d’Amadou Ba. Dans le communiqué publié au terme de sa réunion, le SEN « exhorte les responsables militants et sympathisants [à] reprendre le travail politique et électoral, dans un élan unitaire et solidaire, autour du candidat […] Amadou Ba pour une victoire éclatante au soir du 24 mars 2024 ».
La haute instance du parti présidentiel reconnaît toutefois, et dans le même temps, que le choix du candidat, « accepté par la majorité des responsables de l’APR, n’en demeur[e] pas moins contesté par une frange importante de la direction et [par] de nombreux militants du parti ».
Source: JeuneAfrique.com
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