Mawunyo Hermann Boko
Africa-Press – Senegal. Patron de la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS), premier employeur privé du Sénégal, le milliardaire français installé en Suisse n’a pas hésité à remettre en question la politique économique du président sénégalais.
1. Monopole
La Compagnie sucrière sénégalaise (CSS), pièce maîtresse du groupe dirigé par Jean-Claude Mimran, est le seul producteur de sucre au Sénégal. Chaque année, environ 146 000 tonnes sortent de ses usines installées dans la commune de Richard-Toll dans le nord du Sénégal. Mais l’entreprise peine cependant à satisfaire la demande nationale, évaluée à 240 000 tonnes par le ministère du Commerce. Pour pallier ce déficit de production, le Sénégal a donc recours au sucre importé, principalement depuis le Brésil.
Le 6 avril dernier, Jean-Claude Mimran a affirmé, dans un entretien accordé à trois journaux sénégalais, vouloir augmenter sa production, pour passer à 220 000 tonnes annuelles, mais en édictant une condition : que l’État sénégalais lui facilite l’accès à 4 000 hectares supplémentaires de terres irrigables. En 2016, déjà, l’entreprise dont les plantations de canne à sucre s’étendent sur 12 000 hectares dans la vallée du fleuve Sénégal, envisageait d’atteindre une capacité de production de 200 000 tonnes à l’horizon 2020, l’objectif « KT200 ».
2. Conflit avec les importateurs
Autre condition posée par le magnat du sucre : que l’État limite les droits d’importation de sucre octroyés aux importateurs pour couvrir les besoins nationaux. En 2020, le Sénégal a en effet importé plus de 180 000 tonnes de sucre, selon l’Agence nationale de statistique et de démographie (ANSD). Bien au-delà des 60 000 tonnes théoriquement autorisées par le ministère du Commerce. Cet énorme volume d’importation a déstabilisé le marché, provoqué l’effondrement des prix du sucre… Et directement menacé la CSS.
« Les commerçants [doivent] arrêter d’importer du sucre » au profit des industriels, a martelé l’industriel français. Des propos et un ton qui ont suscité l’ire de l’Union nationale des commerçants et des industriels (Unacois Jappo). « Ce qui est clair, c’est que Jean-Claude Mimran ne veut plus que l’on distribue des droits d’importation de produits alimentaires. Il veut avoir le monopole de l’importation, la production et la distribution du sucre au Sénégal. Et cela, nous ne laisserons jamais faire », a rétorqué Moustapha Lo, le vice-président de l’organisation, qui accuse le patron de la CSS de volonté d’hégémonie sur l’ensemble de la filière.
Et pour cause, l’entreprise domine déjà le marché local et importe, elle aussi, du sucre. En 2020, la CSS avait ainsi importé 20 000 tonnes des 60 000 tonnes autorisées par le ministère du Commerce. Et en 2019, elle avait importé 10 000 tonnes, soit un tiers du quota théoriquement autorisé.
3. Critique de Macky Sall
Sujet sensible entre l’État et le mastodonte, les importations de sucre ont également envenimé les relations entre le patron français et le président sénégalais. Jean-Claude Mimran n’a pas hésité à attaquer à mots à peine couverts la politique économique de Macky Sall. « Tant qu’il y a des jeunes Sénégalais qui risquent leur vie en Europe, c’est que quelque chose ne marche pas. Je ne suis pas un grand économiste, mais on n’a pas besoin d’être un grand économiste pour s’en apercevoir », a-t-il notamment attaqué, affirmant que seuls « les investisseurs et les entreprises » étaient à même de créer de l’emploi.
Quelques semaines après que Macky Sall a annoncé des subventions destinées à tenter d’endiguer l’inflation galopante sur les produits de première nécessité – dont le sucre – , qui pèse sur le pouvoir d’achat des plus modestes, le magnat du sucre a également remis en cause la cohérence de ces mesures. « On augmente les prix aujourd’hui, on les baisse demain, il n’y a pas de niveau de vraisemblance », a-t-il lâché. Une première menace à destination du pouvoir sénégalais ? En 2013, lorsque le gouvernement avait relevé les autorisations d’importation de sucre, pour faire face à une demande croissante, il avait menacé de fermer son usine.
4. Héritier
« Nous sommes d’origine juive algérienne par mon père et corse par ma mère, nous nous sentions assez éloignés de la mentalité française », affirmait à Jeune Afrique Jean-Claude Mimran, né en 1945. Il est l’héritier de Jacques Mimran, fondateur du groupe de négoce Mimran – une société suisse – , qui est décédé en 1975. L’entreprise familiale se spécialise d’abord dans la transformation du blé. Elle compte plusieurs minoteries au Maroc, ainsi qu’en Afrique subsaharienne, avec la création des Grands Moulins de Dakar et d’Abidjan, respectivement en 1947 et 1963. Ces deux sociétés ont été rachetées en 2017 par l’américain Seaboard Corp.
5. Léopold Sédar Senghor
La CSS a été créée en 1970, sous l’impulsion de Léopold Sédar Senghor. Le premier président du Sénégal indépendant, grand ami de Jacques Mimran, voulait un « champion national ». Un demi-siècle plus tard, la CSS est incontournable. En 2021, elle a généré 90 milliards de F CFA (environ 136 millions d’euros) de chiffres d’affaires, dont 21 milliards de F CFA (32 millions d’euros) de bénéfice. La CSS, forte de ses 8 500 employés, est en outre le premier employeur privé du Sénégal.
6. Canton de Berne
Si l’essentiel des activités du groupe se situe au Sénégal, c’est depuis la Suisse, et plus particulièrement à Gstaad, la très chic station de ski courue par les stars du monde entier, que Jean-Claude Mimran pilote son empire. Le patron de 77 ans y réside et y gère les actifs du groupe avec l’appui de ses fils Nashson et David Mimran, deux de ces cinq enfants. La famille est propriétaire du Gstaad Alpina, un hôtel de luxe cinq étoiles où l’on peut croiser Madonna ou David Guetta.
7. Fortune
Avec une fortune estimée à 1,7 milliards d’euros en 2021, Jean-Claude Mimran et sa famille se positionne à la 65e place des plus grandes fortunes de France, selon le magazine français Challenges. Un classement dans lequel il figure depuis 2008.
8. Mamadou Diagna Ndiaye
À la croisée des chemins de l’économie et de la politique, Mamadou Diagna Ndiaye, 73 ans, est le bras droit de l’industriel français en Afrique. Jean-Claude Mimran considère le Sénégalais comme un « frère ». Les deux hommes se connaissent depuis plus d’une quarantaine d’années.
Très introduit dans les milieux économiques, politiques et sportifs, Mamadou Diagna Ndiaye a plusieurs casquettes. Conseiller des présidents Abdou Diouf et de Macky Sall, il est le représentant au Sénégal du Comité international olympique. Il préside en outre le conseil d’administration de la filiale locale de Canal+. Et au sein du groupe Mimran, il est aux manettes des dossiers portant sur les aspects financiers.
Jean-Claude Mimran s’appuie aussi sur Louis Lamotte, Sénégalais également, qui est en charge des négociations dans les dossiers fiscaux et douaniers de la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS). Les deux hommes ont été à la manœuvre pour organiser la récente sortie médiatique du milliardaire français.
9. Steve Jobs et Elon Musk
Jean-Claude Mimran dit avoir de l’admiration pour Steve Jobs, le fondateur de Apple décédé en 2011, et pour le milliardaire sud-africain Elon Musk, PDG de Tesla. Il affirme avoir lui-même, au lendemain de l’élection de François Mitterrand, investi en France dans une société d’ingénierie spécialisée dans des systèmes d’informations.
10. Mines
Le groupe Mimran intervient en effet dans de très nombreux domaines. Outre l’agroalimentaire et l’hôtellerie, l’entreprise a aussi investi les secteurs de l’import-export, du transport et de la logistique et a également des intérêts dans les mines. En 2016, Mimran a acquis 13 % du minier canadien Teranga Gold Corporation, qui a été racheté en 2021 par Endeavour Mining. L’entreprise britannique exploite désormais le complexe minier de Sabodala, dans le sud-est du Sénégal. Le groupe agro-industriel est également présent dans la production de phosphate, et détient 20 % du projet Baobab Mining.
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