Africa-Press – Senegal. Quand on évoque l’émigration libanaise, on pense souvent à l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) ou à l’Amérique latine, où les descendants des Phéniciens ont connu des réussites économiques, politiques et littéraires notables.
Mais un examen approfondi de cette diaspora met en lumière d’autres destinations majeures comme l’Afrique, l’Australie, l’Europe, et les pays du Golfe, qui ont accueilli des milliers de Libanais dès le milieu du XIXe siècle.
La migration vers l’Afrique fut influencée par des événements majeurs comme les deux guerres mondiales, le mandat français sur le Liban, et la guerre civile libanaise de 1975 à 1990.
À l’origine, l’arrivée des Libanais en Afrique résultait de circonstances imprévues: leurs trajets vers l’Amérique s’achevaient souvent sur les côtes africaines en raison de divers facteurs, dont la tromperie. Des récits affirment que des Libanais, croyant se rendre en Amérique, furent débarqués au Sénégal ou en Guinée par des passeurs.
D’autres explications évoquent le coût moindre du voyage vers l’Afrique, ou l’absence de besoin de passeport avant 1923 pour y entrer, facilitant le départ de populations pauvres, peu éduquées et sans qualifications professionnelles.
Ces Libanais ont d’abord exercé comme vendeurs ambulants avant de se lancer dans le petit commerce, puis dans le négoce structuré de produits comme le cacao et le café en Côte d’Ivoire, ou le bois au Gabon.
Communautés et statistiques
La première vague était majoritairement maronite, avant que de nombreux chiites du sud du Liban n’émigrent à leur tour, fuyant la persécution politique et religieuse ainsi que la misère.
Les données libanaises estiment que 70 % des Libanais d’Afrique sont chiites, principalement issus du sud, et que leur nombre a fortement augmenté entre 1975 et 1990.
Les premières arrivées recensées datent de 1860, au Sénégal. Au début du XXe siècle, la présence libanaise s’intensifia, notamment à cause du mandat français au Liban et de la colonisation du Sénégal.
Sous la colonisation française en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée, et britannique au Nigeria, Ghana, Sierra Leone et Gambie, les migrations libanaises se sont accélérées.
Cette migration se caractérise souvent par une logique familiale et communautaire, avec un fort esprit de solidarité. Les estimations actuelles varient entre 300 000 et 500 000 Libanais en Afrique, concentrés en Afrique de l’Ouest et centrale: environ 100 000 en Côte d’Ivoire, 30 000 au Sénégal, entre 30 000 et 100 000 au Nigeria, plus de 15 000 au Gabon.
D’autres vivent par milliers au Ghana, en Guinée, au Liberia, en Sierra Leone, au Burkina Faso, au Mali, au Bénin, au Togo, en Angola, en RDC et au Congo-Brazzaville.
Pauvres ou riches?
L’histoire libanaise en Afrique suscite de nombreuses interrogations sur leur richesse, leurs rôles et les stéréotypes associés à leur présence.
Leur transformation, de vendeurs ambulants à grands hommes d’affaires, alimente les mythes de réussite. L’anthropologue libanaise Marwa Chab a mené des recherches à ce sujet et estime que seuls 10 % sont riches, 70 à 80 % appartiennent à la classe moyenne, et le reste vit dans la pauvreté relative.
Certains continuent le petit commerce dans des conditions précaires, bénéficiant souvent du soutien d’associations religieuses.
La perception des Libanais oscille: tantôt contributeurs économiques et sociaux, tantôt accusés de pratiques comme la spéculation, l’économie informelle, la fraude fiscale, ou encore le trafic de drogues, d’armes ou de diamants.
Ces images contradictoires dépendent du contexte politique et économique local, bien que les entrepreneurs libanais soient généralement respectés, surtout dans les pays stables.
Poids économique
La communauté libanaise de Côte d’Ivoire est la plus nombreuse et la plus influente économiquement. En 2018, on y recensait plus de 3 000 entreprises libanaises dans l’immobilier, le transport, l’industrie et la distribution, représentant environ 8 % du PIB.
Le Nigeria est devenu, au cours de la dernière décennie, un pôle d’attraction majeur pour les entrepreneurs libanais cherchant à diversifier leurs investissements.
En 2018, la chambre de commerce franco-libanaise indiquait que les Libanais contribuaient à hauteur de 50 % à l’économie du Liberia, et de 25 % à celle du Ghana.
Influence politique
Leur rôle économique s’étend parfois à l’influence politique, bien que, contrairement à leurs compatriotes d’Amérique latine, leur implication politique reste limitée à des relations avec certains ministres ou chefs d’État pour défendre leurs intérêts.
Socialement, les Libanais ne se sont pas totalement intégrés aux sociétés africaines, souvent en raison de facteurs culturels et familiaux, vivant dans des réseaux communautaires propres.
Avec le temps, des barrières ont commencé à tomber, surtout là où l’obtention de la nationalité leur a été permise.
Une nouvelle génération commence à se sentir pleinement appartenir à ces terres d’accueil, tout en gardant un lien profond avec le Liban, comme c’est souvent le cas chez les diasporas du monde entier.
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