La crise politique sénégalaise et le plan alternatif du président sortant Macky Sall: Les scénarios envisageables !

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La crise politique sénégalaise et le plan alternatif du président sortant Macky Sall: Les scénarios envisageables !
La crise politique sénégalaise et le plan alternatif du président sortant Macky Sall: Les scénarios envisageables !

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Senegal. La République du Sénégal est entrée dans une grave crise politique interne suite à la tentative du président Macky Sall de reporter les élections présidentielles prévues le 25 février et de prolonger son mandat jusqu’au 15 décembre 2024.

Néanmoins, la décision de reporter les élections s’est heurtée à une opposition interne et externe et a été contestée devant le Conseil constitutionnel, lequel a annulé la décision de report, et le président Macky Sall a annoncé de son côté son attachement à la décision du Conseil, promettant d’organiser les élections dans les délais impartis.

Quand la polémique sur la participation et le report s’installe

Lorsque le Conseil constitutionnel a rendu publique, le 20 janvier 2024, la liste des candidats autorisés à se présenter à l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024, les candidatures de deux leaders de l’opposition ont été contestées, comme nous l’avions évoqué dans un dossier précédant:

• Ousmane Sonko: reconnu coupable d’une infraction pénale et détenu en prison,

• Karim Wade: qui au moment du dépôt de son dossier de candidature, possédait toujours la nationalité française.

Karim Wade a pris l’initiative de s’opposer à la décision du Conseil constitutionnel d’exiger la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les circonstances de la sélection des candidats, tout en accusant deux membres du Conseil constitutionnel d’avoir reçu des pots-de-vin pour l’exclure. Le Conseil a également été accusé d’être proche du candidat du parti au pouvoir, Amadou Bâ, l’actuel Premier ministre, ce qui les prive de leur neutralité et de leur indépendance.

Ce qui semble également intéressant, c’est que les représentants de la coalition au pouvoir, « l’Alliance pour la République », ont voté avec les représentants du « Parti démocratique sénégalais » en faveur de la demande de Karim Wade de créer ladite commission parlementaire.

C’est dans ce contexte, que lors de son discours du 3 février dernier, le président Macky Sall s’est appuyé sur ces données, annonçant l’annulation de son précédent décret organisant les élections présidentielles du 25 février, en raison de la crise institutionnelle résultant du conflit entre le Conseil constitutionnel et le Parlement, et appelant à un « Dialogue national global et inclusif » pour organiser des élections transparentes et équitables auxquelles participeront toutes les figures de la scène politique sénégalaise.

Deux jours après, précisément le 5 février, le Parlement sénégalais a adopté une loi constitutionnelle exigeant le report des élections au 15 décembre de cette année, en gardant le président Macky Sall au pouvoir jusqu’à l’organisation des élections. A noter que 105 élus ont voté cette loi, tandis que l’opposition radicale a boycotté le vote. Cette loi est le fruit d’une entente entre la majorité présidentielle et le Parti démocratique sénégalais soutenant Karim Wade.

Une semaine plus tard, soit le 11 février, les anciens présidents « Abdou Diouf » et « Abdoulaye Wade » ont publié une lettre commune dans laquelle ils soutenaient explicitement la décision de reporter les élections et le dialogue politique global qui se préparait. Cependant, le président Diouf a par la suite désavoué le contenu de la lettre, estimant que le Conseil constitutionnel était le seul arbitre sur la question des élections.

Or, les réactions de la classe politique sénégalaise dans son ensemble ont été vives et ont rejeté la décision de report, et ont donc rapidement fait appel de la décision devant le Conseil constitutionnel, et les positions internationales étaient généralement contre la décision de report, comme les États-Unis d’Amérique, les pays de l’Union européenne, en plus de la CEDEAO.

Ainsi, le 15 février, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision d’annuler la décision de report des élections et la loi parlementaire la soutenant, étant donné que la constitution a fixé avec précision la durée du mandat présidentiel tout en interdisant sa prolongation, ce qui signifie que les prochaines élections devraient se tenir avant la fin du mandat du président Macky Sall, le 2 avril prochain.

Un jour après, le 16 février, le président Macky Sall a annoncé son attachement à la décision du Conseil constitutionnel, en s’engageant à organiser des élections dans les délais impartis et en engageant en parallèle des consultations politiques afin de déterminer la nouvelle date.

Il a également entamé effectivement la libération de centaines de prisonniers politiques, et on s’attend à ce que la décision d’amnistie inclurait le leader de l’opposition radicale, Ousmane Sonko, et son assistant, Basserou Diomay Fay, dont la participation aux prochaines élections a été approuvée par le Conseil Constitutionnel.

Retour sur la crise politique sénégalaise ainsi que le plan alternatif du président Sall

Il ne fait aucun doute que la République du Sénégal soit entrée dans sa plus grave crise politique interne depuis l’intense lutte pour le pouvoir en 1963. Parmi les manifestations de cette crise figurent les données suivantes:

• Le conflit politique s’est répandu dans la rue à travers de violentes manifestations et l’arrestation de centaines de personnalités de l’opposition, dont un certain nombre de dirigeants bien connus.

• L’exclusion d’un certain nombre de personnalités politiques les plus marquantes des prochaines élections, et à leur tête l’opposant Ousmane Sonko, qui jouit d’une grande popularité dans la rue sénégalaise.

• Le projet du président Macky Sall de reporter les élections a échoué malgré la promulgation d’une loi parlementaire soutenant son projet.

• La majorité présidentielle au pouvoir a été fracturée par l’émergence d’un certain nombre de candidats issus de ses rangs, ce qui pourrait affaiblir la position du Premier ministre Amadou Bâ, candidat officiel de la coalition au pouvoir.

• L’image extérieure du Sénégal est déformée, à tel point que le pays n’est plus considéré au niveau international comme un modèle de démocratie stable en Afrique de l’Ouest.

De plus, il semble que le président sénégalais sortant soit devenu convaincu de la difficulté de son candidat, le Premier ministre Amadou Bâ, à remporter les prochaines élections, et c’est ce qui l’a initialement poussé à reporter les élections prévues le 25 février.

De facto, le plan alternatif que le président Macky Sall a adopté semble donc reposer sur les trois facteurs qui suivent:

• Initier un dialogue politique avec l’opposition radicale, en particulier avec Ousmane Sonko, qui devrait être libéré de prison suite à une grâce présidentielle et qui pourrait être autorisé à se présenter aux prochaines élections. Des informations ont fuité sur le rôle du cheikh de l’ordre Muridi, très influent au Sénégal, Cheikh Muhammad Al-Muntaqah Mbaki, dans la médiation entre le président Sall et son principal adversaire, Sonko, afin de calmer l’arène politique et de préparer une réconciliation nationale globale.

• Renforcer le partenariat avec certains partis d’opposition modérés pour assurer leur soutien au candidat de la majorité présidentielle, Amadou Bâ, au second tour des élections, notamment Karim Wade (qui pourrait être autorisé à se présenter), Idrissa Seck, l’ancien premier ministre, et Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar.

• Faire pression sur certains candidats de la majorité pour qu’ils cèdent en faveur du Premier ministre Amadou Bâ, augmentant ainsi ses chances d’accéder au second tour des élections.

Lever le voile sur les divers scénarios possibles

Il importe de se rendre à l’évidence que l’avenir de la crise politique sénégalaise peut être anticipé à travers les divers scénarios suivants:

1. Organiser des élections présidentielles entre le 3 et le 17 mars, dans le respect des délais constitutionnels, en veillant à ce que le Président Macky Sall quitte la présidence immédiatement après la fin de son mandat légitime.

Selon ce scénario, la campagne électorale reprendrait dans les mêmes conditions précédentes, sans l’ajout d’autres noms à la liste des candidats, et le président Macky Sall remettrait le pouvoir au président élu, le lendemain 3 avril 2024.

Les chances que ce scénario se produise semblent élevées, même si la situation politique au Sénégal est très volatile et ouverte à de multiples possibilités.

2. Reporter les élections à juin ou août, sur la base de l’article constitutionnel qui stipule que le président reste au pouvoir jusqu’à la date de passation du pouvoir à son successeur.

Tant que des conditions objectives empêchent la tenue des élections dans les délais initiaux, elles peuvent être retardées pour des raisons purement techniques, avec de nouveaux noms ajoutés à la liste des candidats, parmi lesquels pourraient figurer les dirigeants Sonko et Wade. Il est important ici de noter que la récente décision du Conseil constitutionnel n’a pas précisé de date exacte pour les élections, mais a simplement demandé au président de les organiser « au meilleur moment possible ».

3. La démission du Président de la République quelques semaines avant la fin de son mandat.

Ceci entraînera le transfert temporaire du pouvoir au Président du Parlement, qui doit organiser des élections dans un délai de trois mois sans modifier le nombre de candidats ni la liste électorale.

Autres réactions et suppositions

Le mandat de Sall se termine le 2 avril 2024 et la Constitution sénégalaise stipule, certes, que l’élection présidentielle doit avoir lieu avant qu’il ne quitte ses fonctions et qu’il ne doit pas rester en place après cette date.

On relève entre-autres que, la semaine qui vient de s’écouler, les candidats de l’opposition ont accusé les autorités de « traîner les pieds sur la fixation d’une nouvelle date », sachant que les s’unissent pour réclamer une nouvelle date pour le déroulement des élections.

Pourtant, la nouvelle date reste indécise et des milliers de Sénégalais ont promis de poursuivre leurs manifestations jusqu’à ce qu’un nouveau processus électoral soit mis en place, soulignant que la lente reprise des opérations électorales montrait la réticence de Macky Sall à lancer un processus qui mènerait à un changement de pouvoir.

Dans ce contexte, le collectif citoyen « Aar Sunu Election (Protégeons nos élections) », qui a annoncé l’organisation imminente d’un rassemblement dans la capitale Dakar, la veille du scrutin, a appelé les participants à venir munis de leur carte d’électeur, pour ce qu’il a qualifié de « fête d’adieu » de Sall, tout en exhortant également les électeurs à se rendre dimanche aux bureaux de vote dans un geste symbolique.

Human Rights Watch met en garde contre la répression au Sénégal à l’approche des élections

HRW n’a pas hésité de rappeler que l’année dernière fût marquée par une bataille juridique compliquée pour le maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, qui a fini en prison en juillet 2023 et a perdu son droit de se présenter comme candidat de l’opposition, sachant que le nouveau candidat de son ancien parti (Pastef, dissous par le pouvoir), Bassirou Diomaye Faye, est cependant toujours en prison.

Par ailleurs, selon l’analyste sénégalais René Lake, « en insistant sur le recours au dialogue » pour définir les meilleurs délais, « Macky Sall semble opter pour une tactique dilatoire, retardant potentiellement la date de l’élection pour manœuvrer selon ses intérêts politiques de le moment ».

Wait and See…

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