
Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Senegal. Le Sénégal a réussi à présenter un modèle unique de transfert pacifique du pouvoir dans une région politiquement turbulente, à établir les caractéristiques d’une transformation démocratique et à survivre à un certain nombre de tempêtes qui ont presque ravagé la scène politique du pays.
Lorsque l’ancien président Macky Sall, qui a quitté ses hautes charges à la tête de l’Etat, le 2 avril courant, avait décidé de reporter les élections à la fin de l’année en février dernier, le Sénégal a rejeté à l’unanimité la décision de report. Les Sénégalais devaient voter le 25 février, mais un report de dernière minute a déclenché violences et troubles qui ont fait quatre morts et ont duré plusieurs semaines comme test de la démocratie au Sénégal, jusqu’à ce que la date du 24 mars fût adoptée, après que le Conseil constitutionnel ait rejeté la décision du président de reporter et de fixer une date pour le vote. C’était également l’un des éléments les plus importants de la protection de la démocratie par l’intermédiaire de l’institution constitutionnelle.
C’est ainsi que le Sénégal a achevé ses élections présidentielles le 24 mars, dans le calme avec une large participation des jeunes électeurs, en présence des observateurs de l’Union africaine, de la CEDEAO et de l’Union européenne.
Il n’échappe donc à personne que le jeune opposant « Bassirou Diomaye Faye », vainqueur le dimanche 24 mars dernier les élections présidentielles, dès le premier tour, et que tous les candidats, y compris le candidat de la majorité Amadou Ba, n’ont pas tardé à reconnaître les résultats du vote en félicitant le président élu, tout comme le président sortant Macky Sall, pour l’achèvement de son second mandat.
Ainsi, on peut dire que ces élections ont été organisées avec la participation de 17 candidats représentant les tendances politiques les plus marquantes, même si la scène a été dominée dès le début par une confrontation entre le candidat de la majorité, à savoir l’ancien Premier ministre Amadou Ba, et le candidat de l’opposition, Bassirou Diomaye Faye. Bien que la campagne électorale ait été réduite à deux semaines afin de respecter les délais légaux fixés par la Constitution, elle s’est déroulée tout de même sous tension et a eu une intense influence populaire.
On peut également avouer qu’avec l’unanimité des forces politiques et des observateurs internationaux, les élections se sont déroulées dans des conditions idéales et ont conduit au succès du candidat de l’opposition, Bassirou Diomaye Faye, le bras droit d’Ousman Sonko, au sein du parti « Festif ».
• Retour sur les raisons du succès du candidat de l’opposition
Un tête-à-tête quelques heures avant l’adieu à Macky Sall
Cette victoire nous conduit à ces raisons qui peuvent être résumées comme suit:
1) Insatisfaction généralisée parmi de larges tranches populaires, en particulier parmi les jeunes, face aux tendances économiques du président Macky Sall, qui reposaient sur des investissements massifs dans les infrastructures, telles que les routes, les aéroports et les chemins de fer, au détriment des politiques sociales, ce qui est évident dans le coût de la vie élevé, le chômage croissant et les pots-de-vin et la corruption généralisés, selon les accusations portées contre lui par l’opposition.
2) La mauvaise gestion gouvernementale du processus électoral, qui s’est manifestée par l’annonce tardive par le Président Macky Sall de sa réticence à se présenter à ces élections, la répression de l’opposition contestataire et l’arrestation de ses dirigeants dans le cadre de dossiers judiciaires que certains ont jugé suspects, ainsi que le report des élections sans raisons juridiques évidentes. Toutes ces mesures ont renforcé les chances du candidat de l’opposition à remporter la course au palais.
3) La faiblesse du candidat de la majorité présidentielle, Amadou Ba, qui réellement n’a pas de réelle expérience politique connue, mais qui est plutôt une figure technocratique qui a exercé des responsabilités purement administratives et techniques sous la présidence de Macky Sall. Plusieurs personnalités du régime se sont opposées à sa candidature, et le président Sall, lui-même, ne lui a pas montré de réel soutien, au point que certaines informations ont confirmé qu’il l’avait abandonné dans les dernières semaines, et qu’il aurait permis de facto la libération du leader de l’opposition « Ousman Sonko » de prison, sachant que le succès du deuxième personnage de son parti (Bassirou Diomaye Fay) résulterait d’arrangements « secrets », dit-on, conclus sous la supervision du Calife de la secte soufie Mourides de la ville de Tuba.
4) Le discours qualifié de populiste de Bassirou Diomaye Faye, dans lequel il n’a pas eu froid aux yeux en appelant à une rupture complète avec les époques précédentes et à la reconstruction du système politique au Sénégal, en mettant l’accent sur les politiques sociales et les plans en faveur de la jeunesse et les groupes marginalisés et vulnérables.
• Quel sera l’avenir de la situation politique au Sénégal après les élections présidentielles ?
Ousman Sonko nommé Premier ministre
A ce propos, il est trop tôt pour parler de tendances claires dans la nature du nouveau champ politique sénégalais, mais certains indicateurs sont apparus comme suite:
1) L’échec de la classe politique traditionnelle:
Cette classe politique représentée par les trois grandes figures candidates à la présidentielle, notamment l’ancien Premier ministre Amadou Ba, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, et l’ancien maire de Dakar et leader socialiste, Khalifa Sall, a essuyé un « échec » qui a donné un « élan » positif et directoire à l’opposition.
2) La montée des forces populistes:
Il s’agirait ici d’un mélange large et diversifié de mouvements civiques et de défense des droits de l’homme, d’organisations de la société civile et de réseaux d’étudiants et de jeunes, et il semble être difficile pour le nouveau président de représenter ce large spectre dans les prises de décision et dans les postes de responsabilité, d’autant plus qu’il doit s’appuyer sur certaines personnalités ayant une expérience administrative et exécutive parmi les hommes politiques qui l’ont rejoint dans les derniers jours de la campagne, comme l’ancien premier ministre Aminata Touré et l’ancien ministre Habib Sy.
3) Le déclin de l’influence des grands groupes soufis dans les équilibres électoraux:
Même s’il est clair que le puissant courant « Mouridite » a voté pour le président vainqueur, ce qui a accru ses chances de succès, il est certain que l’approche de Doumaye Faye différera de celle des présidents précédents en termes de relations étroites avec les « Cheikhs soufis » et de leur dépendance dans la politique locale.
Pour beaucoup d’observateurs, Bassirou Diomaye Faye appartiendrait à la nouvelle génération d’hommes politiques ouest-africains qui auraient des « tendances salafistes », non pas au sens oriental du terme, mais avec la logique de l’Islam africain, qui n’entre pas fondamentalement en conflit avec les institutions soufies indigènes, ni avec une sorte de laïcité constitutionnelle. La majorité de ce nouveau type d’hommes politiques est d’adopter un discours de protestation contre l’hégémonie occidentale, et contre le contrôle de la culture et des intérêts français, tout en rétablissant le respect des valeurs locales et des traditions socioreligieuses.
• Aperçu des premiers objectifs du président élu
Selon le programme adopté lors de la campagne électorale de Bassirou Diomaye Faye, ses premières actions résideraient dans les éléments suivants:
A. Reconstruire le système politique sur lequel repose la République du Sénégal depuis son indépendance, en limitant les pouvoirs du Président de la République, et en créant le poste de Vice-président qui sera élu avec le Président de la République et aura d’importants pouvoirs exécutifs, tout en renforçant l’indépendance des autorités judiciaires et législatives.
B. Revoir les accords économiques avec les partenaires du Sénégal, dans des domaines vitaux tels que la pêche, le pétrole et le gaz, ainsi que la gestion des ports et aéroports.
C. Lutter contre la corruption et l’évasion fiscale, en consacrant une partie essentielle du bilan à l’exploitation et en réduisant la hausse des prix des produits de base.
D. Parvenir à la souveraineté monétaire en établissant une monnaie nationale, ce qui signifie laisser le système monétaire ouest-africain lié à la France, que ce soit dans un cadre régional ou local.
E. Enfin rassurer les partenaires étrangers du Sénégal, méfiants à l’égard de sa politique économique et diplomatique. Cependant, tout indique que l’approche du nouveau président sénégalais sera plutôt révolutionnaire, et constituera une rupture majeure avec six décennies de système politique dans ce pays charnière du continent africain.
• Projets à moyens et long terme
La prestation du serment constitutionnel
Il est attendu que le Président élu entende diversifier les partenariats militaires et sécuritaires de son pays, évoquant la possibilité d’un rapprochement avec Moscou, si l’intérêt l’exige.
Selon une lecture du Centre d’études et de consultations du Sahara, il est probable que Faye changera l’angle d’approche de la politique étrangère par rapport à ce qu’il était auparavant, mais il ne fera pas partie de l’alliance fidèle à Moscou.
Beaucoup estiment que l’organisation des élections et le succès remporté par Bassirou Diomaye Faye représentent la chute de la France dans la région, et une partie de son emprise qui s’estompe. Pour eux, Paris a perdu l’État du Sénégal parce que celui qui le dirigera adopte une idéologie opposée à l’impérialisme occidental.
Par ailleurs, l’un des points et promesses électorales du programme de Diomaye Faye, auquel les Sénégalais ont répondu, était la lutte contre l’hégémonie culturelle française, en s’engageant à revoir les politiques culturelles dépendantes de la langue de Molière et en promettant une plus grande ouverture à la langue anglaise.
Pour rappel, le Sénégal compte 39 langues locales et le français est la langue officielle du pays, comme on l’a connu ces dernières années, ce qui donne de l’importance à l’arabe et ouvre la voie à ses locuteurs pour entrer dans les ministères, et le savoir est devenu une valeur ajoutée pour les fonctionnaires.
Parmi les priorités économiques du nouveau président figure entre-autres la sortie de la monnaie française unifiée, qu’il considère comme une cause de la détérioration de l’économie sénégalaise et qui représente un aspect de l’occupation française de l’économie des pays de la région ouest-africaine. Il a promis que si la CEDEAO ne parvenait pas à créer une nouvelle monnaie ouest-africaine, le Sénégal créerait la sienne.
• A propos des « Relations régionales »
Dans son programme électoral, Diomaye Faye s’est engagé à renforcer la coopération avec la côte atlantique (Mauritanie, Gambie et Guinée Bissau) et il aspire également à trouver un mécanisme d’action commune entre ces pays pour mener à bien des tâches de surveillance et de renseignement.
Concernant la relation avec l’État du Mali, il estime que son pays est préoccupé par les transformations qui s’y déroulent, et que toute perturbation sécuritaire se répercutera nécessairement sur le Sénégal.
Quant au voisin du nord, la Mauritanie, son compagnon et chef de son parti, Ousman Sonko, en a parlé à plusieurs reprises au cours des cinq dernières années, estimant que les présidents qui l’ont précédé n’ont pas pris en compte les intérêts du Sénégal dans leurs relations décisionnelles avec Nouakchott.
• A propos de la « Réconciliation »
Tout laisse croire que la croissance démographique rapide au Sénégal pose un défi majeur au gouvernement, car 20 % des jeunes sont au chômage et la pauvreté représente 36,6 %.
Bien que le pays dispose de vastes terres agricoles, il importe 70 % de ses besoins alimentaires et l’agriculture dépend encore de méthodes primitives. Selon les Nations Unies, le Sénégal est classé parmi les pays les moins avancés, malgré les mesures prises pour parvenir à un développement économique.
En 2020, le volume de la dette extérieure a atteint 13,5 milliards de dollars, et 36 % des exportations du pays servent au remboursement des dettes.
En tant que pays dépendant des prêts et des subventions, il restera soumis à de fortes pressions de la part de partenaires extérieurs et pourrait avoir des difficultés à mettre en œuvre des politiques internes qui servent les intérêts nationaux.
On s’attend également à ce que le nouveau président soit confronté à de grandes difficultés représentées par l’enracinement de la corruption dans la génération qui dirige le pays depuis de nombreuses décennies, d’autant plus que Faye a montré que l’une de ses priorités était l’élimination des corrupteurs et qu’il est apparu dans des cérémonies et festivals politiques portant un « balai traditionnel » symbolisant son effort pour nettoyer l’administration des corrupteurs.
Malgré les tensions qu’a connues Dakar ces trois dernières années et l’éloignement du nouveau président et de son équipe de l’arène d’influence politique, Faye a annoncé lors de sa première sortie après son succès qu’il orienterait ses efforts vers la réconciliation nationale et la reconstruction des institutions. Il a assuré s’engager dans des consultations approfondies pour parvenir à une politique générale qui pourrait contribuer au succès des aspirations positives du Sénégal.
Enfin, Bassirou Diomaye Faye a exprimé sa volonté de sortir du passé et de tourner la page des événements politiques dont le pays a été témoin, et qui ont fait de nombreux morts et blessés parmi les innocents citoyens.
• Le mot de la fin
En organisant les élections présidentielles, le Sénégal a donné une nouvelle leçon aux pays du continent africain, comme quoi: « les peuples sont capables de changement politique et de transfert pacifique du pouvoir grâce à des outils pacifiques et à la démocratie interne, et non par les tanks, les coups d’État et le recours à des interventions extérieures ».
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Senegal, suivez Africa-Press