Africa-Press – Senegal. Les dettes souveraines peuvent être un levier puissant pour le développement économique, à condition qu’elles soient utilisées à bon escient. Comment les pays africains parviennent-ils à convaincre les créanciers ? Explications.
D’après le dernier rapport annuel de la Banque mondiale, la dette publique des pays d’Afrique subsaharienne s’élevait à 1 140 milliards de dollars à la fin de 2022. Ce qui correspond à une hausse de plus de 200 % par rapport à 2010. La proportion moyenne de cette dette par rapport au PIB est passée de 32 % en 2010 à 57 % en 2022.
L’augmentation des taux d’intérêt rend la situation d’autant plus délicate que les aides internationales se tarissent. La dette est aujourd’hui le principal outil de financement des pays du continent mais pas le seul.
À quoi servent les dettes souveraines ?
La dette souveraine, aussi appelée dette publique, recouvre l’ensemble des emprunts contractés par un État. Ces derniers peuvent servir à financer des infrastructures, à soutenir l’économie en période de ralentissement, à refinancer d’anciennes dettes ou à stimuler l’activité économique et améliorer le bien-être des habitants par le biais d’investissements.
Cependant, un niveau excessif d’endettement peut entraîner des risques de crise financière et d’instabilité économique si les remboursements deviennent insoutenables. En Afrique subsaharienne, la dette publique atteignait 57 % du PIB fin 2022, un niveau inédit depuis le début des années 2000. Selon le FMI, vingt-deux pays africains sont considérés comme surendettés ou sur le point de l’être : le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, le Tchad, les Comores, Djibouti, l’Éthiopie, la Gambie, le Ghana, la Guinée-Bissau, le Kenya, la Sierra Leone et le Soudan du Sud.
Qui prête de l’argent aux États africains ?
Les nations africaines contractent des emprunts auprès d’une mosaïque d’acteurs économiques. Les institutions financières internationales figurent parmi les principaux créanciers, détenant environ 28,8 % de la dette selon la Banque mondiale. Parmi elles, la Banque mondiale elle-même, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque africaine de développement (BAD), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).
Outre ces entités multilatérales, d’autres nations détiennent une part significative de la dette africaine. La Chine occupe une position prééminente, détenant à elle seule environ 20 % de la dette extérieure totale de l’Afrique, selon la Banque mondiale. D’autres pays tels que la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les États-Unis, ainsi que certains pays du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, sont également des créanciers importants.
Certaines nations structurent leur créance autour d’organisations spécifiques, telle que le Club de Paris. Ce consortium, composé de 22 pays et d’institutions comme l’Union européenne et le FMI, a pour mission de coordonner les efforts des créanciers afin d’alléger le fardeau de la dette des pays emprunteurs. Par exemple, après deux années de pourparlers au sein du Cadre commun établi par le G20 et le Club de Paris, en novembre 2022, le Tchad a obtenu un accord pour la restructuration de sa dette extérieure s’élevant à près de 3 milliards de dollars.
Enfin, une tendance récente est à souligner : de nombreux pays africains se sont tournés vers les marchés internationaux de la dette, émettant des obligations pour attirer les investissements privés du monde entier. D’ailleurs, d’après la Banque mondiale, ce sont justement les institutions privées, fonds d’investissement et banques, qui détiennent la part la plus importante de la dette africaine, avec 41,8 % du total.
Qui protège les créanciers ?
Il existe plusieurs systèmes de sécurité qui protègent les créanciers de la dette souveraine africaine. D’abord, il y a les Clauses d’action collective (CACs), qui sont une sorte de règle majoritaire intégrée aux contrats de dette : si la majorité des créanciers approuve une décision, celle-ci s’applique à tous, rendant ainsi la restructuration et/ou le remboursement de la dette plus aisée.
Ensuite, les Garanties de crédit à l’exportation (GCE) jouent un rôle crucial. Elles sont proposées par les Agences de crédit à l’exportation (ACE) de plusieurs pays et couvrent le risque de non-paiement des emprunteurs souverains.
Par exemple, ce système a été utilisé dans le cadre de la construction du Grand barrage de la renaissance en Éthiopie, d’un coût total estimé à 5 milliards de dollars. L’infrastructure hydroélectrique a été largement financée par des prêts de la Chine. Cependant, étant donné l’ampleur de l’investissement et le risque associé à un tel projet, ces prêts ont été garantis par Sinosure, l’Agence de crédit à l’exportation chinoise. En couvrant le risque de non-paiement de l’emprunteur souverain (dans ce cas, le gouvernement éthiopien), Sinosure a facilité la réalisation de ce projet d’infrastructure essentiel pour le développement de l’Éthiopie.
Pour rappel, les groupes de créanciers (à l’image du Club de Paris et du Club de Londres), travaillent également de concert pour restructurer la dette souveraine en servant d’intermédiaires entre créanciers et débiteurs et en facilitant les négociations.
Enfin, l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) du G20 est un autre mécanisme d’intérêt. Initialement conçue pour aider les pays endettés durant la pandémie de COVID-19, elle assure également aux créanciers que le remboursement des prêts sera simplement suspendu, et non annulé.
Malgré ces dispositifs, un risque pour les créanciers subsiste, d’autant plus que les mécanismes internationaux pour gérer les défauts de paiement souverains manquent de cohérence et de clarté, ce qui peut donner lieu à des situations incertaines.
Quels sont les risques liés à la dette souveraine ?
Le principal risque est le défaut de paiement. Lorsqu’un pays ne peut pas rembourser ses dettes, il peut entrer en défaut, ce qui peut avoir des conséquences délétères pour son économie. Par ricochet, le défaut de paiement peut entraîner une baisse de la confiance des investisseurs, une hausse des taux d’intérêt et une récession économique. De plus, certaines dettes souveraines sont détenues par des « fonds vautours », qui rachètent à bas prix les dettes des pays en difficulté pour ensuite exiger un remboursement intégral. C’était par exemple le cas de la Zambie au début des années 2000. Le pays avait été poursuivi par la société Donegal International, qui avait acheté l’équivalent de 15 millions de dollars de dette pour 4 millions de dollars. La société a ensuite poursuivi la Zambie pour récupérer l’intégralité de la dette plus les intérêts, soit un total de 55 millions de dollars. Après une longue bataille judiciaire, un tribunal britannique avait fini par accorder à Donegal une somme de 15 millions de dollars, soit bien plus que ce qu’ils avaient initialement payé pour la dette. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts de Lusaka. Le 22 juin, après de longues négociations, la Zambie a conclu avec ses créanciers institutionnels un accord de restructuration de sa dette.
Quels sont les autres leviers dont disposent les pays africains pour financer leur économie ?
La fiscalité interne est la principale source de revenus pour la plupart des États. Une amélioration de l’efficacité de l’administration fiscale et un élargissement de l’assiette fiscale peuvent augmenter de manière significative les ressources domestiques. C’est ce qu’a fait par exemple le Ghana avec l’instauration de la taxe « e-levy », sur les transactions électroniques en 2022.
Par ailleurs, les aides au développement, bien qu’elles soient en baisse, demeurent significatives. Les partenariats public-privé (PPP) sont également souvent utilisés par les gouvernements pour éviter de recourir à l’emprunt, le partenaire privé étant en charge de financer le projet. En Côte d’Ivoire par exemple, un PPP a permis la construction du troisième pont d’Abidjan.
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