Africa-Press – Senegal. Après des débuts agités à Dakar, le dirigeant sénégalais, décrit par tous comme un « gros bosseur » et un « chic type », est parvenu à s’épanouir dans l’un des plus grands groupes du continent. Jusqu’à en devenir l’une des pièces maîtresses.
Les côtes rocailleuses et venteuses du Cap lui rappellent-elles celle de la Bretagne française où il a étudié ? Depuis 2013, le Sénégalais Serigne Dioum est installé à 10 000 kilomètres de Brest, en Afrique du Sud, où il a grimpé les échelons de l’une des plus importantes entreprises panafricaines. Créée en 1994, MTN est désormais un groupe qui compte 20 filiales sur le continent – le Yémen a été cédé mi-novembre à un actionnaire local – servant 278 millions de clients.
L’ex-collaborateur de Sonatel, qui siège au comité de direction du géant de Johannesburg y dirige depuis janvier 2021 les services digitaux et la fintech, une entité en croissance qui pèse près de 10 % du chiffre d’affaires total (11 milliards de dollars en 2020), devenue en quelques années, éminemment stratégique pour l’opérateur qui se rêve en plateforme incontournable du continent.
Au centre du jeu digital
Avec plus de 51 millions d’utilisateurs actifs à ce jour, MTN MoMo, le service mobile money de l’opérateur au logo jaune et bleu fait partie des principales applications du secteur (Orange Money revendique 60 millions d’utilisateurs, M-Pesa 50 millions et 24 millions pour Airtel Money) et dispose d’un potentiel très lucratif.
Quelques mois après son arrivée, Ralph Mupita, qui a pris la direction de l’opérateur en août 2020, a indiqué que l’application qui permet d’effectuer diverses opérations financières plus ou moins sophistiquée pourrait être valorisée à 6 milliards de dollars.
Sur le plan technique, il était très bon. Mais il avait besoin de s’améliorer sur les aspects managériaux
De surcroît, MTN veut faire de sa messagerie instantanée Ayoba un WeChat à l’Africaine, c’est-à-dire une application connectée avec le reste des services développés par MTN ou des partenaires. Serigne Dioum tient un rôle central dans l’unification de ces différents services. Pour preuve, en août 2021, c’est lui qui a choisi Burak Akinci, ex-patron de la messagerie turque, Bip, pour piloter Ayoba.
Des débuts agités
Depuis Dakar, Cheikh Tidiane Mbaye aurait-il pu imaginer que son protégé dirigerait un jour une entité aussi prometteuse ? L’ex-patron du groupe Sonatel est en effet celui qui a convaincu Serigne Dioum – et toute une cohorte de sa génération – de revenir au Sénégal au début des années 2000. « On se parlait depuis le début de ma préparation aux écoles d’ingénieurs que je faisais à Paris. Il m’avait incité à effectuer une première expérience en France pour disposer d’une expérience européenne avant de rentrer au Sénégal », se remémore le diplômé de Télécoms Bretagne qui sera rappelé trois ans plus tard pour intégrer la Sonatel.
À ce moment, Serigne ne sait pas encore que son expérience parisienne a effectivement été déterminante pour sa carrière. Le jeune diplômé roule en BMW de fonction dans Dakar et s’applique à développer commercialement la nouvelle branche multimédia de l’opérateur sénégalais. Propulsé directeur du développement commercial très jeune, avec une dizaine de personnes sous sa responsabilité, il se confronte rapidement à certaines difficultés organisationnelles et managériales. « Sur le plan technique, il était très bon,. Mais il avait besoin de s’affirmer et de s’améliorer sur les aspects managériaux », se souvient un ancien collègue.
« Je faisais tout mais je n’étais pas le directeur », rétorque de son côté Serigne Dioum, un brun amer. Ce sentiment d’inconfort découle sur des tensions « personnelles » avec son supérieur hiérarchique, qui lui valent d’être redéployé au Mali vers 2005 sur décision de Cheikh Tidiane Mbaye.
À Bamako, dans ces années-là, l’air est à la réplication d’une innovation qui a déjà convaincu en Côte d’Ivoire : Orange Money. Par chance, Serigne Dioum connaît la personne chargée de ce projet piloté depuis Paris. Il a travaillé avec elle chez Siticom, sa fameuse première expérience dans un cabinet de conseil parisien – racheté depuis par Devoteam. « J’étais en séminaire à Paris lorsque nous nous sommes croisés par hasard. C’est là qu’il m’a demandé si j’étais intéressé par le projet », raconte-t-il.
La machine est lancée, mais elle ne durera qu’un an. La position hiérarchique de Serigne Dioum au sein de Sonatel, ainsi que certains de ses privilèges obtenus de la maison mère France Telecom – habituellement accordés aux seuls français expatriés – attisent les jalousies chez ses compatriotes sénégalais, expatriés eux aussi au Mali.
L’idée de quitter la Sonatel commence à faire du chemin. Un concours de circonstances veut qu’un de ses amis au sein des services mobiles money de MTN quitte au même moment son poste pour créer son entreprise. « Il m’a contacté, convaincu que j’étais la bonne personne. J’ai passé des entretiens à Abidjan, ça a bien fonctionné donc je suis parti », résume celui qui, malgré cinq ans d’une relation houleuse avec Sonatel, garde le souvenir d’un groupe formateur et de haut niveau.
« Serigne est quelqu’un de correct et d’un abord facile », se souvient l’ancien collègue de Sonatel. Propulsé directeur général du mobile money pour la région Afrique de l’Ouest chez MTN, celui qui est décrit comme un bûcheur semble avoir enfin trouvé sa place et ne tarde pas à évoluer dans la hiérarchie. « La fintech chez MTN, c’est Serigne. Il y a toujours cru, même quand tout le monde s’en fichait », indique Cédric N’Guessan, directeur du développement commercial des services digitaux et financiers du groupe et fidèle parmi les fidèles.
En 2013, deux ans avant que le groupe soit assommé par une amende record au Nigeria, le jeune dirigeant sénégalais est promu directeur des services financiers sur mobile et déménage à Accra. Avec une équipe très réduite, il fait du Ghana son laboratoire d’expérimentation sans se soucier des agitations au sein de sa hiérarchie : « En sept ans, on est passé de 3 millions d’abonnés à 50 millions. C’était le seul profil senior assez courageux pour croire à ce poste », poursuit son collègue ivoiro-français, diplômé en économie de la Sorbonne à Paris.
On pourrait le décrire comme un leader africain de nouvelle génération
Résultat, MTN contrôle à ce jour près de 70 % du marché de la data mobile dans un pays où, selon le cabinet Boston Consulting Group, les transactions via les portefeuilles mobiles représentent 82 % du produit intérieur brut (PIB).
Désormais, le dirigeant sénégalais échange au quotidien et d’égal à égal avec Ralph Mupita, arrivé chez MTN en 2017 au côté de son prédécesseur, Rob Shuter. « Serigne ne doit pas son ascension à un quelconque sens politique mais parce que c’est un vrai bosseur. Entre Christian de Faria, Wim Vanhelleputte, Stephen Van Coller, Herman Singh, il a eu de nombreux patrons mais a toujours progressé grâce à son travail et la confiance des différents DG », défend Cédric N’Guessan, également membre du conseil d’administration de Mowali, la coentreprise créée par Orange et MTN pour booster l’interopérabilité des services financiers sur mobile.
Le « chic type » – une description qui revient dans la bouche de plusieurs de nos interlocuteurs – de Johannesburg a donc su se rendre incontournable à la stratégie de la marque jaune et bleue. « On pourrait le décrire comme un leader africain de nouvelle génération, c’est-à-dire très proche des gens, humble et qui ne cherche pas à ressembler aux dirigeants occidentaux », abonde Cédric N’Guessan. La preuve selon lui : l’homme de 47 ans possède plusieurs numéros de simples employés de MTN dans son téléphone et ne serait pas avare d’appels impromptus pour obtenir des remontées d’informations et, toujours, garder le contact avec le terrain.
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