Mehdi Ba
Africa-Press – Senegal. Malgré le filtrage des parrainages et celui de la caution, la prolifération de candidatures à la présidentielle ne semble pas avoir fléchi, à cinq mois de l’échéance.
À l’heure où vous lirez ces lignes, le nombre de candidats déclarés à la présidentielle sénégalaise mentionné ci-dessous sera probablement déjà obsolète. Quelques jours avant l’ouverture officielle de la campagne de recueil des parrainages citoyens, prévue le 27 septembre, pas moins de 68 candidats se sont en effet déjà fait connaître. Combien seront-ils demain ?
Depuis février 2023, un décompte officieux de ces personnalités aussi ambitieuses que nombreuses qui se destinent à la magistrature suprême est mis à jour quotidiennement (notamment sur X, anciennement Twitter) par l’équipe du Divan citoyen, une plateforme créée en août 2021 pour vulgariser, via les réseaux sociaux, certaines grandes questions liées aux politiques publiques et aux enjeux de citoyenneté.
D’heure en heure
« Le chiffre que vous venez de voir aura encore augmenté dans une heure puisque que l’un de nos correspondants vient tout juste de nous signaler une nouvelle candidature, vue sur une affiche placardée à Pikine », précise d’emblée au téléphone Alaaji Abdulaay, coordonnateur du Divan citoyen.
Finalement, il n’en sera rien : cette nouvelle arrivée est compensée par un départ imprévu. « Mame Ngor Mboup, plus connu sous le surnom de Mame Gor Diazaka, a finalement retiré sa candidature au profit d’Amadou Ba, le candidat de la mouvance présidentielle. Ce chanteur, qui réside à Rufisque, est toujours l’un des premiers à déclarer sa candidature, mais il n’est jamais allé au terme de l’exercice », précise Alaaji Abdulaay.
Six anciens Premiers ministres
Parmi les candidats déjà déclarés, on compte tout de même six des huit derniers Premiers ministres qui ont eu à gouverner le Sénégal – d’Idrissa Seck (2002-2004) à Amadou Ba (depuis 2022). On y trouve aussi un ancien maire de Dakar (Khalifa Sall), une ancienne présidente du Conseil économique, social et environnemental (Aminata Touré) et une poignée d’ex-ministres.
En considérant que chacun de ces candidats se soumettra aux dispositions constitutionnelles relatives au parrainage citoyen, qui requiert que chacun recueille un minimum de 44 559 parrainages valides pour pouvoir se présenter, le calcul est vite fait. À raison de 68 candidats en lice, la campagne à venir devrait mobiliser 3,03 millions d’électeurs parrains sur un peu plus de 7 millions d’électeurs inscrits.
Ce chiffre considérable entraînerait inexorablement un nombre conséquent de doublons parmi les parrains, lesquels ne peuvent en principe accorder leur soutien qu’à un seul candidat, mais ont déjà montré par le passé que les parrainages multiples ne leur faisaient pas peur.
À ce petit jeu, les candidatures qui seront présentées en dernier risqueraient de payer un lourd tribut si des doublons étaient constatés avec les listes précédemment déposées. Quant au montant de la caution (30 millions de francs CFA, soit plus de 45 000 euros), il n’est pas dit que les 68 candidats déclarés à ce stade parviendront à la mobiliser.
Écrémage drastique
En 2019, plus de 20 candidatures avaient été écartées in fine par le Conseil constitutionnel, sous divers prétextes – en particulier les problèmes relatifs aux parrainages –, réduisant à seulement cinq le nombre de candidats aptes à concourir.
En 2024, l’écrémage risque d’être tout aussi drastique. « Certains d’entre eux sont attirés par le reflet que renvoie la fonction présidentielle, laquelle concentre tous les pouvoirs », analyse Alaaji Abdulaay.
Selon l’animateur du Divan citoyen, on verrait ainsi se précipiter dans la course vers le Palais de la République aussi bien des acteurs de la société civile que des prétendants aux dents longues venus de l’univers de la finance ou de l’entreprise, pour qui le financement d’une campagne présidentielle ne pose pas de problème particulier. « La politique est vue comme un moyen parmi d’autres de s’enrichir », résume-t-il.
« Le désamour entre les citoyens et la classe politique a favorisé l’éclosion de vocations présidentielles, elles-mêmes amplifiées par le miroir grossissant qu’offre Internet », estime encore notre interlocuteur. D’autant que si le dépôt final des candidatures est filtré, n’importe qui ou presque peut en revanche retirer une fiche de parrainage en tant que candidat indépendant ou représentant d’un parti officiellement enregistré auprès du ministère de l’Intérieur.
« Nobodysme » électoral
Reste à savoir à qui profite cette hyperinflation en matière de candidatures dont une immense majorité apparaît d’ores et déjà vouée à l’échec. En principe, au camp au pouvoir puisque Amadou Ba, aujourd’hui, tout comme avant lui Macky Sall, bénéficie du soutien d’une solide coalition composée de trois des principaux partis du pays : l’Alliance pour la République (APR, parti présidentiel), le Parti socialiste (PS) et l’Alliance des forces de progrès (AFP).
En face, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) se retrouvent orphelins de leur candidat, Ousmane Sonko, déjà condamné à une peine de prison ferme et placé en détention provisoire pour de nouvelles charges.
Quant aux candidats des principaux partis de l’opposition – au premier rang desquels Karim Wade, Khalifa Sall et Idrissa Seck –, ils verront leur électorat se morceler, d’autant que les suffrages qui n’iront pas à Amadou Ba menacent de s’éparpiller à travers cette constellation de candidats quasi inconnus qui se sont, un beau matin, senti pousser des ailes.
Ce « nobodysme » électoral avait été l’une des raisons ayant poussé les autorités, à l’initiative du président Macky Sall, à instaurer le filtre des parrainages afin de rationaliser le nombre de candidatures dans un pays qui les enfante compulsivement. Force est de constater que si ce nouveau système a montré certaines limites, le mal, lui, reste profond.
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