Mehdi Ba
Africa-Press – Senegal. Suppression des parrainages citoyens, transformation du Conseil constitutionnel, retour surprise de Macky Sall… Plusieurs scénarios, pour le moment hypothétiques, pourraient venir rebattre les cartes de l’élection.
Si l’élection présidentielle au Sénégal a d’ores et déjà été reportée au 15 décembre 2024, provoquant des réactions inquiètes chez nombre de partenaires – du département d’État américain à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), en passant par l’Union européenne –, de nouvelles surprises ne sont pas à exclure au cours des dix prochains mois.
Instillé par le Parti démocratique sénégalais (PDS) de Karim Wade, dont le rôle clé dans les événements survenus au cours des deux dernières semaines est désormais aussi patent que le soutien insistant apporté à ses initiatives successives par le groupe parlementaire de la majorité présidentielle, le scénario d’une transformation en profondeur du Conseil constitutionnel, juge suprême de l’élection, est maintenant agité avec insistance par les nouveaux alliés. Les sept Sages sont en effet manifestement dans le viseur.
Manquements graves
Violemment décriée par le PDS et son candidat depuis plus de quinze jours, la haute juridiction fait l’objet d’une offensive en règle implicitement appuyée par les ténors de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel. Comment ses membres pourraient-ils arbitrer la prochaine élection présidentielle dans un tel climat de défiance, certains d’entre eux faisant l’objet d’accusations gravissimes ? « Le report de la présidentielle annonce la fin du Conseil constitutionnel au Sénégal. La raison en est à la fois structurelle et liée aux personnes qui le composent », confie une source bien informée des manœuvres en cours.
« Nous exigeons l’instauration d’une Cour constitutionnelle véritablement indépendante, avec des juges impartiaux, honnêtes et dévoués aux intérêts de notre nation, à l’image des grandes démocraties de ce monde », avertissait sur ses réseaux sociaux, dès le 31 janvier, Karim Wade. Si cette Cour constitutionnelle devait voir le jour, celle-ci serait manifestement composée de magistrats en exercice, ce que certains interprètent comme une volonté de reprise en main par le pouvoir exécutif de l’instance en charge de superviser l’élection.
Au nombre des réformes majeures qui semblent devoir se concrétiser au cours du prochain dialogue politique, ouvertement appelé de ses vœux par le président Macky Sall, la possible révision du système des parrainages n’est pas la moindre. Dans le rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale au sujet du projet de résolution, déposé par le PDS et adopté par une large majorité des députés, « visant la constitution d’une commission d’enquête parlementaire en vue d’éclaircir les conditions de l’élimination de M. Karim Meïssa Wade et autres de la liste des candidats », ses auteurs reviennent avec insistance sur les nombreux « dysfonctionnements », voire les « manquements graves », ayant affecté la phase de sélection des candidats.
Colère froide
« Le 28 janvier, en Conseil des ministres, Macky Sall s’est mis dans une colère froide contre les parrainages citoyens », témoigne l’un des participants. « Il a fait savoir qu’il ne voulait plus de ce système, qui a donné lieu à des dérives inadmissibles, et qu’il comptait s’en tenir désormais aux deux autres voies que sont le parrainage par des députés ou par des présidents d’exécutif territorial », ajoute notre source. « Le président a effectivement exprimé des critiques sur le système des parrainages citoyens ; il a préconisé que celui-ci soit revu, voire supprimé, pour la prochaine échéance électorale », confirme un autre membre du gouvernement.
Selon nos informations, une telle réforme pourrait donc être mise en œuvre après le nouveau dialogue transpartisan que le chef de l’État a annoncé ce 3 février – le dernier en date s’était tenu en juin. « J’engagerai un dialogue national ouvert afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive dans un Sénégal apaisé et réconcilié », a-t-il fait savoir.
Si le système des parrainages citoyens devait être supprimé, tout en ne conservant que celui des députés et des élus locaux, la liste des candidats à la présidentielle du 15 décembre prochain s’en trouverait profondément reconfigurée. En effet, seuls quatre partis ou coalitions peuvent actuellement prétendre réunir le nombre de parrainages requis: la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (majorité présidentielle) de Macky Sall et de son Premier ministre-candidat, Amadou Ba ; le Parti démocratique sénégalais (PDS) de Karim Wade ; les Patriotes africains pour le travail, l’éthique et la fraternité (ex-Pastef, parti dissous) d’Ousmane Sonko et de son candidat, Bassirou Diomaye Faye ; et Taxawu Sénégal, de Khalifa Sall.
Idrissa Seck (Rewmi), en revanche, ne serait pas en mesure de concourir à sa quatrième présidentielle consécutive, sauf à bénéficier de la générosité d’un autre parti disposant d’un nombre d’élus suffisant. Aliou Mamadou Dia, le candidat du Parti de l’unité et du rassemblement (PUR), aurait, lui aussi, besoin de la solidarité d’un autre groupe parlementaire pour compléter le stock – insuffisant – de ses huit députés, afin d’atteindre les treize requis. « Le chiffre souhaité par le président Macky Sall tourne autour de cinq candidats », confirme notre source gouvernementale.
Une autre incertitude plane autour de la candidature de Bassirou Diomaye Faye, le « plan B » de l’ex-Pastef en prévision d’une possible invalidation d’Ousmane Sonko – laquelle a effectivement eu lieu. Actuellement inculpé pour, entre autres, « outrage à magistrat », « diffamation à l’encontre d’un corps constitué », « atteinte à la sûreté de l’État », « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste », il est toujours présumé innocent et, malgré son placement en détention provisoire, le Conseil constitutionnel avait estimé en janvier qu’il était apte à concourir. Qu’en sera-t-il en décembre 2024 ? Entre février 2023 et janvier 2024, il avait fallu moins d’un an pour voir condamner définitivement Ousmane Sonko pour diffamation publique envers le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang.
Le processus repris à zéro
Si aucun texte adopté récemment ne le mentionne encore explicitement, il semble d’ores et déjà acquis que l’ensemble du processus de sélection des candidats sera repris à zéro. « Le report de l’élection aboutit automatiquement à une réinitialisation de l’ensemble du processus électoral depuis le début, y compris la convocation du corps électoral. Nul besoin du dialogue national, ni d’une modification constitutionnelle pour cela », assure une source proche du dossier.
Si les règles du jeu devaient changer quant au système des parrainages, cela nécessiterait en revanche une réforme de la Constitution, dont le dialogue national pourrait poser les bases. D’ores et déjà, l’alliance entre BBY et le PDS leur garantit de disposer à l’Assemblée nationale d’une majorité des 3/5e nécessaire à une révision constitutionnelle par la voie parlementaire.
Dans un tel scénario, outre la fonte prévisible du nombre de candidats (93 dossiers examinés pour 20 retenus in fine en janvier 2024), Karim Wade devrait être réintégré sur la liste des prétendant aptes à concourir. En vertu de la même alliance, le PDS pourrait donc se positionner comme un réservoir de voix susceptible de garantir au candidat de BBY une victoire au second tour contre son ennemi juré: Pastef. « Selon moi, Karim Wade pourrait souhaiter obtenir une place de choix dans les institutions de la République, comme à l’époque où son père était président », anticipe un ministre.
Scénario alternatif
Dans cette nouvelle donne, Amadou Ba restera-t-il le candidat en question ? Si Macky Sall, lors du Conseil des ministres tenu le 7 février, a « renouvelé sa confiance au Premier ministre Amadou Ba et à l’ensemble des ministres », le scénario inédit qui se déroule actuellement au sommet de l’État laisse peu d’espoir à l’actuel dauphin de conserver ce rôle dans la nouvelle pré-campagne électorale qui s’ouvrira sous peu. D’autant qu’à en croire un ministre, la commission d’enquête parlementaire chargée d’enquêter sur les faits de corruption dans lesquels le PDS affirme qu’il serait impliqué devrait rendre son rapport avant l’échéance.
Se refusant jusqu’ici à démissionner de son poste de Premier ministre, parviendra-t-il à conserver l’investiture de la coalition présidentielle alors qu’un scénario alternatif semble se dessiner ? Dans l’immédiat, l’intéressé – qui a soutenu docilement le report de l’élection – fait le dos rond.
Le 7 février, dans un entretien à France 24, le ministre des Affaires étrangères, Ismaïla Madior Fall, interrogé sur l’hypothèse que Macky Sall puisse prétexter une crise institutionnelle entre les pouvoirs législatif et judiciaire pour invoquer l’article 52 de la Constitution, qui prévoit que « le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels » lorsque les institutions de la République sont « menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu », a semblé l’écarter. « Pour l’instant, les institutions fonctionnent normalement », a-t-il éludé.
Conflit institutionnel
Dans son allocution du 3 février, Macky Sall évoquait pourtant bien un « conflit opposant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ». Les députés pourraient chercher très prochainement à entendre l’un ou l’autre des sept Sages dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire tout juste instituée. Un scénario qui ne pourrait qu’alimenter ce conflit, manifestement initié à dessein, entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale. Tension qui pourrait bien donner naissance, selon plusieurs sources de la mouvance présidentielle, à une crise de nature à entraver « le fonctionnement régulier » de la haute juridiction.
Dans le communiqué du Conseil des ministres publié le 7 février dans la soirée, un passage peu explicite est d’ailleurs venu alimenter les conjectures: « Le président de la République, garant de l’unité nationale et du fonctionnement régulier des institutions, a demandé au gouvernement, notamment au garde des Sceaux, ministre de la Justice, de prendre les dispositions nécessaires pour matérialiser sa volonté de pacifier l’espace public dans la perspective du dialogue national et de l’organisation de la prochaine élection présidentielle. »
« Menace sérieuse pour la stabilité du pays »
Au sein du premier cercle du chef de l’État, quelques voix se font entendre, off-the-record, pour envisager par ailleurs un scénario que tout, jusqu’ici, semblait exclure: celui d’une troisième candidature du président Macky Sall, qui a affirmé à plusieurs reprises, depuis qu’il y a officiellement renoncé, qu’une décision du Conseil constitutionnel lui en donne le droit.
« Mon engagement solennel à ne pas me présenter à l’élection présidentielle reste inchangé », a toutefois réitéré Macky Sall, le 3 février, dans son adresse à la nation. Certains observateurs font tout de même remarquer que cet engagement, affirmé par le chef de l’État le 3 juillet dernier, était assorti d’un avertissement qui, dans le contexte de crise actuel, pourrait bien changer la donne. « La seule raison pour laquelle j’aurais pu me représenter, c’est si le pays avait été confronté à une menace sérieuse pour sa stabilité », déclarait-il ainsi au Monde le 8 juillet. « Seule une grave menace de déstabilisation du pays […] aurait pu me faire changer d’avis », confiait-il en écho à Jeune Afrique à la même période.
Source: jeuneafrique
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