Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Senegal. Ces derniers mois ont été marqués par des actions importantes du gouvernement sénégalais en direction des pays de la région du Sahel et du Sahara, notamment les récentes initiatives du Sénégal en faveur d’un rapprochement avec la nouvelle « Alliance des Etats du Sahel », composée par le Mali, le Burkina Faso, et le Niger, qui avaient quitté la CEDEAO en janvier 2025 pour tracer l’avenir de leurs pays d’une manière autre que celle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Cette décision s’explique par plusieurs raisons stratégiques, sécuritaires et économiques, reflétant une approche pragmatique face aux défis régionaux.
Face à cette situation, Dakar a misé sur une approche plutôt constructive, en multipliant les contacts diplomatiques avec ces nations voisines, tout en multipliant les visites officielles avec l’idée de développer avec ces trois pays des accords concrets et d’intérêts mutuels.
A noter que la stratégie adoptée par le Sénégal, n’a fait que viser le maintien de liens forts malgré les tensions régionales qui planent sur la région.
Les nouvelles autorités sénégalaises, s’appuyant sur les efforts déjà consentis par des États de la région, sont bien placées pour apporter une contribution utile, au regard du sentiment favorable dont elles jouissent auprès des dirigeants des pays de l’AES.
• Consolidation des relations bilatérales avec les trois pays de l’Alliance
Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, s’est rendu la semaine dernière dans la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, où il a été reçu par le Premier ministre burkinabè, Jean-Emmanuel Ouédraogo, précisément dans la journée du 16 mai, dans le cadre d’une visite d’amitié et de travail de deux jours.
Sonko conduisait une importante délégation comprenant la ministre de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères, Yassine Fall, le ministre des Forces armées, le général Birame Diop, et la ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, Khady Diène Gaye.
Les deux premiers ministres et les délégations qui les accompagnaient ont tenu « une séance de travail portant sur des thématiques d’intérêt commun, notamment la diplomatie, la défense, la sécurité, la culture et le sport, le commerce, l’économie et les finances ».
Ils ont souligné « l’importance de la mutualisation des efforts et du renforcement du partage d’informations » afin de lutter efficacement contre le terrorisme et la circulation des armes légères et de petit calibre. Les questions de la criminalité transfrontalière et des trafics en tout genre qui sévissent dans la sous-région ont également été abordées.
Dans cette même perspective, « les deux délégations ont appelé à une coordination des actions et à une mobilisation accrue de la communauté internationale en soutien aux efforts endogènes » dans la lutte contre le terrorisme et de l’extrémisme violent, perçus « comme des menaces majeures pour la stabilité et le développement durable ».
Dans le même ordre d’idées, les deux parties se sont félicitées pour la convergence de vues des présidents burkinabè, Ibrahim Traoré, et sénégalais, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, « sur le respect de la souveraineté des États et de la maîtrise de leur destin sans ingérence étrangère ».
Pour rappel, le Sénégal et le Burkina Faso ont déjà ratifié 20 accords, tandis que 23 autres sont actuellement en cours de discussion.
De son côté, le général Birame Diop, ministre sénégalais des Forces armées, s’est rendu à Bamako, Capitale du Mali, le 19 mai 2025, où il a rencontré le président de la Transition malienne, le général Assimi Goïta.
Leur discussion a porté sur la sécurité transfrontalière, une préoccupation qui est d’autant plus importante que des violences se multiplient dans l’ouest du Mali, à moins de 300 km du Sénégal.
Le ministre sénégalais de la Défense Birame Diop reçu par le président nigérien Abdourahmane Tiani à Niamey
La diplomatie sénégalaise s’est également manifestée au Niger, où le général Birame Diop a rencontré le président Abdourahmane Tiani, à Niamey. Les entretiens qu’ils ont eus ont porté sur la défense, la sécurité, le commerce et les transports, sachant que les deux pays envisagent d’établir une liaison aérienne directe via Air Sénégal. Ils souhaitent aussi renforcer leur partage d’informations sécuritaires.
• Pourquoi donc le Sénégal cherche-t-il un rapprochement avec les pays de l’AES?
Il faut savoir que le Sénégal partage des préoccupations communes avec les pays de l’AES concernant la menace terroriste dans le Sahel, qui risque de s’étendre vers les pays sahéliens.
Dans ce contexte, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a souligné que la collaboration entre la CEDEAO et l’AES est devenue essentielle pour contrer les groupes jihadistes comme le « JNIM », qui exploitent les frontières poreuses de la région. A ce propos, des patrouilles conjointes entre le Sénégal et le Mali en particulier ont déjà été lancées dans la région de Kayes, illustrant cette coopération bilatérale pragmatique.
D’ailleurs, cela a soulevé plusieurs questions sur les implications de l’ouverture actuelle de Dakar envers la nouvelle alliance sahélo-saharienne, d’où les répercussions potentielles que ce rapprochement pourrait avoir sur le paysage géostratégique au Sahel et en Afrique de l’Ouest, surtout avec les actions importantes entreprises par le gouvernement sénégalais en direction des pays de la région du Sahel et du Sahara.
Il importe de noter également que le président Faye fût mandaté par la CEDEAO pour mener des efforts de médiation avec les trois pays de l’AES (dans le but de leur réintégration au sein de la Communauté), mais il agit également de son propre gré pour rétablir la confiance, et son engagement, salué lors du sommet de la CEDEAO à Abuja, vise à combler le vide diplomatique laissé par la rigidité initiale de l’organisation. Le Ghana, sous John Dramani Mahama, adopte une approche similaire, montrant que certains États préfèrent des solutions bilatérales.
Il va sans rappeler que l’AES, soutenue par des partenaires comme la Russie, représente une nouvelle réalité géopolitique que le Sénégal ne peut ignorer. En choisissant de coopérer directement, Dakar évite l’isolement diplomatique et se positionne comme un trait d’union entre la CEDEAO et l’AES, tout en protégeant ses intérêts nationaux. Cette approche est renforcée par les récentes tensions entre le Bénin et le Niger, qui montrent les limites des mécanismes régionaux existants.
• Autres Implications importantes
La visite surprise effectuée au Mali par le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko, le 12 août 2024, n’avait pas été annoncée auparavant. Sonko avait rencontré ce jour-là son homologue civil malien, Choguel Kokalla Maiga, et avait également tenu une réunion avec le chef de la junte militaire au pouvoir à Bamako, Assimi Goïta.
Le Premier ministre sénégalais avait souligné que les pays d’Afrique de l’Ouest doivent surmonter leurs divergences afin de reconstruire leur propre empire financier, promettant également que son pays ne permettrait pas que le Mali soit déstabilisé ou que de nouvelles sanctions lui soient imposées, critiquant l’imposition de sanctions par la CEDEAO à Bamako.
Par ailleurs, les récentes démarches du Sénégal pour se rapprocher de la Nouvelle Alliance pour le Sahel, en particulier du Mali, reflètent un certain nombre d’implications importantes, dont:
-/- La tendance du Sénégal à se désengager de la France
Certaines estimations ont lié le rapprochement actuel du Sénégal avec la nouvelle Alliance des Etats du Sahel à l’idéologie adoptée par le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, qui est complètement différente de celle de son prédécesseur, l’ancien président Macky Sall, car l’idéologie de Faye vise à saper l’hégémonie française au Sénégal, une doctrine politique adoptée qui estime que le Sénégal est toujours considéré comme une colonie française, et que cette dernière exploite les ressources de Dakar.
Cet argument est cohérent avec les rapports qui considèrent l’arrivée au pouvoir de Faye au Sénégal comme une nouvelle perte de l’influence française en Afrique de l’Ouest, étant donné l’opposition du nouveau président sénégalais à l’hégémonie politique et culturelle française dans son pays. Il en va de même pour l’aspect économique: Faye cherche à rompre avec la monnaie unique française (le franc ouest-africain pour un certain nombre de pays qui étaient sous occupation française) et à pousser à l’émission d’une nouvelle monnaie spécifique au groupe CEDEAO, ou à la création d’une monnaie sénégalaise indépendante.
C’est dans ce contexte qu’intervient le rapprochement actuel entre le Sénégal et les pays de l’Alliance des Etats du Sahel, notamment le Mali. Cela reflète une dimension de l’orientation actuelle des nouvelles autorités de Dakar vers un désengagement de la France et l’adoption d’une nouvelle approche visant à diversifier les alliés extérieurs du pays et à s’ouvrir à tous les acteurs régionaux du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.
-/- L’adoption d’une approche équilibrée de la politique étrangère du Sénégal
La situation sécuritaire dans la région du Sahel et du Sahara revêt une importance particulière pour le Sénégal, qui partage avec le Mali une longue frontière d’environ 500 kilomètres, en plus l’escalade des tensions sécuritaires dans les pays du Sahel a un impact significatif sur le Sénégal, qui entretient des liens économiques étroits avec Bamako.
Cela s’inscrit entre-autres dans la politique étrangère équilibrée du Sénégal, notamment sous l’actuel président Bassirou Dioumaye Faye, qui cherche à diversifier les partenariats et les relations régionales et internationales de son pays. Bien que Dakar soit l’un des principaux partenaires de l’Occident dans la région ouest-africaine, Faye cherche actuellement à adopter une approche plus ouverte à l’égard de diverses puissances régionales, notamment les pays du Sahel proches de la Russie, ainsi que d’autres puissances internationales actives en Afrique, comme la Chine.
Le Sénégal agit ainsi par pragmatisme pour répondre à l’urgence sécuritaire, préserver ses intérêts économiques, et contourner les blocages institutionnels de la CEDEAO. Cette stratégie reflète une tendance plus large en Afrique de l’Ouest, où les États privilégient des coopérations flexibles et ciblées face aux défis transnationaux
• Vers un nouveau bloc économique comme alternative à la CEDEAO
Les nouvelles autorités sénégalaises aspirent depuis peu à créer une nouvelle monnaie indépendante pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce qui mettrait fin à la domination de Paris sur le « Franc ouest-africain ». Si ces efforts échouent, Dakar pourrait être poussé à former un nouveau bloc régional comme alternative à la CEDEAO, cherchant de facto à éliminer la domination économique de la France, sachant que cette proposition pourrait être renforcée par la présence de certains pays membres de la CEDEAO qui soutiennent les politiques sénégalaises.
• Ne pas négliger les répercussions possibles
La visite du Premier ministre sénégalais au Mali et les démarches actuelles de Dakar en faveur d’un rapprochement avec l’Alliance des Etats du Sahel (AES), pourraient avoir un certain nombre de répercussions potentielles, dont on peut citer:
A- Le rapprochement croissant du Sénégal avec la Nouvelle Alliance pour le Sahel
Certains rapports suggèrent que la période à venir verra davantage de mouvements sénégalais vers un rapprochement avec le nouveau bloc AES au Sahel. Certes, les autorités actuelles de Dakar aspirent à maintenir des relations amicales avec leurs partenaires régionaux, et leur rapprochement avec la nouvelle Alliance pourrait être bénéfique pour la stabilité de la région dans son ensemble en Afrique de l’Ouest.
Il s’agit d’une proposition qui semble être cohérente avec les déclarations du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko, suite à sa récente visite au Mali, où il a souligné que les relations entre les deux parties connaîtront une coopération accrue dans la période à venir.
B- Les doutes planant sur l’adhésion du Sénégal à l’Alliance des Etats du Sahel
Certaines estimations n’excluent pas la possibilité d’une adhésion du Sénégal à cette Alliance, d’autant plus que ce nouveau bloc vise à « former une union économique avec une nouvelle monnaie commune, en créant un fonds de stabilisation et une banque d’investissement pour stimuler le développement régional entre les pays de l’alliance ».
Ce modèle est actuellement soutenu par le Sénégal et d’autres pays comme le Togo et le Tchad. Certaines estimations suggèrent que le Sénégal, le Tchad et le Togo pourraient rejoindre la nouvelle alliance du Sahel, pour bénéficier des gains économiques potentiels de cette nouvelle intégration économique.
D’autres estimations excluent toutefois la possibilité d’une adhésion du Sénégal à la nouvelle alliance du Sahel, compte tenu de la volonté de Dakar de maintenir ses relations avec les puissances occidentales, notamment les États-Unis. Rejoindre cette alliance représenterait un revers majeur dans les relations du Sénégal avec les puissances occidentales, et cela contredit l’approche équilibrée adoptée par l’actuel président sénégalais, lequel cherche à maintenir les relations de son pays avec diverses puissances régionales et internationales.
De tout ce qui précède, on peut déduire que le nouveau gouvernement sénégalais semble vouloir renforcer ses liens avec les pays du Sahel, notamment le Mali. De même, les visites de responsables sénégalais au Niger et au Burkina Faso sont probables dans la période à venir.
Le Sénégal est toutefois susceptible de s’ouvrir en retour à divers pays du Sahel et du Sahara, ainsi qu’à l’Afrique de l’Ouest, et Dakar poursuivrait également ses efforts pour faire pression en faveur d’une nouvelle monnaie commune qui mettrait fin à la domination française sur le Franc CFA.
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