Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Senegal. Cela fera bientôt 200 jours, que Bassirou Diomaye Faye a été investi comme président du Sénégal, soit un peu plus de six mois après son entrée en fonction le 2 avril 2024.
Le cinquième président sénégalais s’attèle depuis à tenter de s’attaquer aux nombreuses priorités, aux questions urgentes telles que la gouvernance, le renforcement de l’Etat de droit, la lutte contre la corruption, la souveraineté économique et le bien-être social des Sénégalais, ainsi qu’aux nombreux défis qui se dressent devant lui et son gouvernement présidé par Ousmane Sonko.
• Examen rétrospectif sur les faits
Après une série de revers politiques au Sénégal depuis les événements de mars 2021, suite à l’accusation de viol formulée contre l’opposant Ousmane Sonko, qui s’est imposé ces dernières années comme « l’opposant politique le plus farouche au gouvernement Macky Sall », Sonko avait acquis une grande popularité, notamment auprès des jeunes, et ce, en raison de sa rhétorique critique à l’égard de la classe politique traditionnelle et classique et de ses promesses d’une rupture radicale avec la manière dont le pays était gouverné au cours des décennies passées.
S’en sont suivis des doutes quant à la tenue effective, le 2 avril 2024, des élections présidentielles au Sénégal avant la fin du mandat du président Sall, en raison de ses restrictions imposées à l’opposition par la mise en détention et l’emprisonnement.
Puis les élections ont été organisées le 24 mars 2024, dans une atmosphère pleine de transparence, et après la clôture du scrutin, les résultats ont dévoilé le nom du vainqueur dès le premier tour, qui n’était autre que Bassirou Diomaye Faye, le candidat de l’opposition et le deuxième dirigeant au sein de la direction du parti Pastef (Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), dirigé par Ousmane Sonko.
A rappeler que Bassirou avait été libéré de prison dix jours seulement avant les élections, après onze mois de détention provisoire pour cet ancien inspecteur des impôts de 44 ans qui est devenu finalement le plus jeune président de l’histoire du Sénégal. Pourtant, il n’était pas connu du public sénégalais avant de se présenter à l’élection présidentielle, mais il travaillait avec le chef du parti, Ousmane Sonko, en tant que Secrétaire général.
C’est donc ainsi que Macky Sall a démissionné après douze ans à la tête du pays, cédant le pouvoir à un jeune président issu d’un parti politique officiellement dissous par le gouvernement Sall en juillet 2023, pour des suspicions « radicales » inquiétantes.
• Comment s’est donc amplifiée cette tension
Il faut reconnaître que le Sénégal est actuellement confronté à l’une des crises politiques les plus complexes de son histoire moderne. Ce conflit s’est intensifié entre les pouvoirs exécutif et législatif, représentés par le président de la République Bassirou Diomaye Faye, et le Premier ministre, Ousmane Sonko, d’une part, et les représentants de l’opposition contrôlant le Parlement, d’autre part.
A noter qu’il s’agit d’une crise qui s’articule autour de deux questions fondamentales:
*** La déclaration de politique générale,
*** La dissolution du Parlement ».
Ces deux questions ont conduit à de profondes tensions politiques et soulevé d’importantes questions sur la manière de maintenir l’équilibre des pouvoirs entre les institutions de l’Etat et le respect de la légitimité constitutionnelle, sans mettre en danger la situation de la stabilité du pays.
De facto, la tension est donc revenue sur la scène politique au Sénégal, et les signes de désaccord entre le gouvernement et l’opposition semblent constituer un nouveau chapitre de la crise, mais cette fois-ci avec un échange de rôles: « l’ancien régime se transformant en opposition, tandis que la vieille opposition tient aujourd’hui les rênes du pouvoir ».
On s’attendait à ce que l’affaire soit réglée pour le nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Ousmane Sonko après l’investiture de Bassirou Diomaye Faye comme président du pays, mais le vent de l’opposition a soufflé d’une manière que les navires du nouveau gouvernement ne souhaitaient pas, et l’opposition armée, avec une majorité parlementaire et surtout dans certains conseils locaux, s’est fermement opposée au pouvoir actuel pour entraver ses programmes.
• Nombreuses causes du déclenchement de la tension
Le différend entre les autorités législatives et exécutives n’est qu’un des chapitres d’une crise et d’un conflit politiques qui tournent autour de la volonté du nouveau gouvernement à:
*** Ouvrir une enquête sur les dossiers des contrats pétroliers et gaziers,
*** Demander des comptes aux personnes impliquées dans les détournements de fonds et la mauvaise gestion.
Ce, en quoi l’opposition y voit une tentative de la cibler et d’éliminer son héritage politique.
Par ailleurs, le conflit de vues entre le régime et l’opposition a conduit à une aggravation de la situation politique, et chaque partie a utilisé ses propres moyens:
*** Les programmes gouvernementaux ont été suspendus,
*** Le Parlement a été dissous,
*** Des dossiers d’enquête ont été ouverts,
*** Un certain nombre de fonctionnaires ont été interdits de voyager.
• A propos de la dissolution du Parlement
L’hémicycle de l’Assemblée nationale sénégalaise
Le Président a publié un décret présidentiel le 12 septembre de l’année en cours pour dissoudre le Parlement et a annoncé l’organisation d’élections le 17 novembre prochain.
Il a déclaré qu’il se tourne vers le peuple pour lui donner les moyens institutionnels qui lui permettent de mettre en œuvre son programme pour lequel il a été élu, estimant que travailler avec l’Assemblée nationale (Parlement) pour mettre en œuvre ses programmes et les réformes économiques qu’il a promises, était devenu difficile.
Le décret a été signé après que le Conseil constitutionnel a émis une « fatwa » déclarant la légalité de cette décision, qui relève des pouvoirs du Président de la République.
Pourtant, changer le Parlement ne faisait pas partie des priorités du président Bassirou Faye, mais le manque d’harmonie avec le programme qu’il a présenté au peuple fût à l’origine de l’accélération de sa dissolution. Lors de la discussion du projet de budget de l’État en juin dernier, la coalition des représentants de l’opposition s’était retirée pour empêcher son adoption.
• A propos des dossiers de corruption (l’étincelle de la tension)
La crise existante entre les ailes de l’opposition et le régime reflète de profondes différences et disparités de vision entre les partisans du nouveau et de l’ancien régime sur de nombreux dossiers, à savoir les questions économiques, notamment la révision des contrats pétroliers et gaziers conclus à l’époque par l’ancien président.
En août dernier, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a déclaré que son gouvernement avait formé un comité composé d’experts juridiques pour examiner les contrats de carburant et travailler à les aligner sur les intérêts du pays.
Fin septembre dernier, Sonko a annoncé les résultats de l’évaluation financière du pays, affirmant dans ce contexte que ceux qui l’ont dirigé avaient mené une politique d’endettement manquant de contrôle et falsifié les chiffres fournis aux partenaires internationaux, affirmant également que le régime sortant pratiquait une utilisation non transparente des ressources.
Les observateurs s’attendaient auparavant à ce que le lancement de réformes financières et économiques accélère la confrontation entre le nouveau régime et la génération des régimes précédents qui contrôlent encore les articulations de l’État, soulignant que le parti Pastef au pouvoir se heurterait à la génération de l’État profond et entrerait avec elle dans une bataille à couper le souffle, s’il se lançait dans des programmes anti-corruption.
• Cette nouvelle crise au Sénégal met-elle en évidence des problèmes de gouvernance ?
Il importe de noter que le Sénégal est le seul pays de la région qui n’a pas connu de coup d’État. Dans la sous-région, on assiste à une forme de résurgence de coups d’État depuis 2020: le Mali et le Burkina Faso par exemple, sachant que la liste est longue, elle comprend également la Guinée, le Niger mais aussi le Tchad (à la manière de Mahamat Idriss Deby évidemment).
A chaque fois, des militaires s’emparaient du pouvoir.
Au Sénégal, la mobilisation populaire est très fructueuse, et d’ailleurs, l’un des marqueurs de cette société sénégalaise est qu’il existe une société civile très dynamique, qui joue un rôle de vigie, et qui évalue les politiques publiques.
Dans le cas du Sénégal, la mobilisation d’associations de la Société civile et de populations contre un troisième mandat pour Macky Sall a pu peser sur le choix de la non-candidature du président sortant.
• Bassirou Diomaye Faye décidé à combattre la corruption et sortir du passé
Selon l’indice de corruption publié par Transparency International en 2023, le Sénégal a obtenu 43 points sur 100. Malgré les efforts déployés en matière de transparence dans la gestion, les dernières années ont été marquées par d’importants abus dans les dépenses publiques.
Pour rappel, en décembre 2022, le Conseil des comptes du Sénégal avait approuvé d’importants dépassements des montants alloués à la lutte contre le Covid-19, qui avaient causé la disparition de 7 milliards de francs CFA, soit 10,6 millions d’euros.
Un peu plus en arrière, disons depuis 2014, Ousmane Sonko brandissait le slogan de la « Lutte contre la corruption », et grâce à son travail dans le domaine financier et fiscal, il a pu découvrir de nombreux déséquilibres et pots-de-vin dans l’appareil administratif, ce qui avait conduit à son expulsion de la fonction publique, et fût accusé de violation du droit de réserve et de publication des secrets professionnels.
Aujourd’hui, malgré les informations dont il dispose, en sa qualité de Premier ministre, sur l’ampleur des transgressions et des violations, il est peu probable qu’il puisse ouvrir d’anciens dossiers qui ont précédé son accession à la direction du gouvernement et qui pourraient conduire à la condamnation de personnalités politiques, car le président Bassirou a annoncé à aller au-delà du passé et créer un nouveau Sénégal.
• Quelles perspectives sous la férule du duo Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko au Sénégal ?
Pour beaucoup de citoyens sénégalais: « Diomaye est Sonko et Sonko est Diomaye ».
C’est ainsi que le parti « Patriotes pour l’action, la moralité et la fraternité (Pastef) » fondé par Sonko a fait campagne pour l’élection de Bassirou Faye et cherché à recueillir des signatures qui lui permettraient de se présenter. Les slogans inscrits sur les banderoles électorales l’indiquaient clairement: « Voter pour Diomaye, c’est voter pour Sonko », «Bassirou c’est Ousmane et Ousmane c’est Bassirou ».
Parmi les réformes que le président Bassirou Diomaye Faye a décidé d’entreprendre figurait la réduction des pouvoirs du chef de l’État et le remplacement du poste de Premier ministre par celui de vice-président de la République. Mais cette réforme nécessite avant tout de futurs changements constitutionnels.
• Face au chômage, à la corruption et aux revendications des Sénégalais, comment Sonko dirigera-t-il son premier gouvernement ?
Ce gouvernement toucherait bientôt 200 jours d’activité. Certes, c’est une règle non écrite que de dresser un bilan des 100 premiers jours d’un nouveau pouvoir qui vient à peine de s’installer et qui continue de prendre ses marques.
Toutefois, aujourd’hui, le gouvernement sénégalais frôle déjà les 200 jours, et le bilan n’est qu’une pratique symbolique héritée d’une tradition politico-médiatique qui suggère qu’un président de la République nouvellement élu puisse établir son bilan pour endosser le costume présidentiel et faire ses preuves.
• En tête des défis: Les urgences économiques et sociales
Signes de pauvreté au Sénégal
Sur le plan économique et social, le cinquième président du Sénégal devra faire face aux immenses défis économiques et sociaux. En effet un tiers des 18 millions d’habitants, vit encore dans la pauvreté, selon le Programme alimentaire mondial.
Dans ce contexte, on note que les principales préoccupations des Sénégalais seraient comme énuméré ci-après:
-/- Le coût de la vie,
-/- Le chômage des jeunes,
-/- L’autosuffisance alimentaire,
-/- La baisse du loyer,
-/- L’accès à des soins de santé de qualité,
-/- L’éducation,
-/- L’approvisionnement en eau potable,
-/- et la fourniture et le coût de l’électricité.
En plus, la faiblesse du pouvoir d’achat des ménages combinée au renchérissement des denrées de première consommation, devrait être le cheval de bataille du nouveau régime incarné par le tandem Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko.
Il va de soit que le nouveau président du Sénégal, qui s’est engagé en faveur d’une souveraineté économique et d’une meilleure justice sociale, ait proposé en outre une réforme de la politique monétaire de son pays et la renégociation des contrats miniers et d’hydrocarbures.
A rappeler que son programme économique se fonde sur 4 principes:
-/- La souveraineté,
-/- La croissance,
-/- L’équité,
-/- La protection de l’environnement.
Le président Faye compte instaurer un partenariat économique « gagnant-gagnant » avec les entreprises étrangères, tout en rassurant les partenaires extérieurs que le Sénégal maintiendra son rang sur l’échiquier international et resterait « l’allié sûr et fiable » de tous les partenaires « respectueux » de la souveraineté de son pays.
Le Mot de la Fin
On ne sait pas exactement, du moins pour le moment, l’étendue de cette crise « gouvernement – opposition », mais une partie de la presse sénégalaise s’inquiète déjà d’un éventuel durcissement du nouveau pouvoir sénégalais, alors que ce dernier s’est engagé dans un audit des finances du précédent gouvernement.
On constate effectivement, plus de six mois après l’élection de Bassirou Faye à la tête du pays et la nomination de Sonko comme Premier ministre, qu’une partie de la presse sénégalaise rapporte un semblant de début de désillusion, évoquant à ce propos le spectre d’un « retour aux dérives autoritaires ».
Pour ces médias, le nouveau pouvoir aurait suivi « la même rhétorique et les mêmes pratiques » que le gouvernement de l’ancien président Macky Sall, rappelant à ce juste titre les propos de Sonko, en juin 2024, prononcés lors d’une rencontre politique avec ses militants, et où le Premier ministre aurait presque menacé la presse locale:
« On ne va plus permettre que des médias écrivent ce qu’ils veulent sur qui que ce soit, au nom d’une soi-disant liberté de la presse, sans aucune source fiable », avait déclaré Sonko.
C’est ainsi que les médias ont jugé que ces propos font craindre aux organisations de la société civile une autre ère de répression, après celle qu’elles ont vécue durant la période 2021-2023, sous le régime déchu par la voie des urnes de Macky Sall.
Alors que les législatives du 17 novembre 2024 pointent à l’horizon, des appels publics émanent de plus en plus des Sénégalais pour une prise en charge plus effective des « préoccupations des populations ».
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