Législatives au Sénégal : les pêcheurs ont-ils raté le coche ?

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Législatives au Sénégal : les pêcheurs ont-ils raté le coche ?
Législatives au Sénégal : les pêcheurs ont-ils raté le coche ?

Théo du Couëdic

Africa-Press – Senegal. En rupture avec leur ministère de tutelle et désireux de voir leurs intérêts mieux défendus, les acteurs de la pêche artisanale espéraient se faire une place à l’Assemblée lors des législatives de juillet. Mais un défaut de procédure risque d’anéantir leurs efforts.

Un coup d’œil par les fenêtres du bureau de Pierre Mboup, l’ancien président du quai de pêche de Rufisque, permet de mesurer la crise que traverse le secteur. Des dizaines de pirogues stationnent sur la plage à une heure où, quelques années plus tôt, l’activité battait son plein. Ce bureau, c’est désormais le siège du mouvement politique And Soukhali Nappou Senegal (« Ensemble pour le développement de la pêche au Sénégal », en wolof).

En cette fin avril, les quatorze délégués régionaux du mouvement se sont réunis au QG rufisquois pour peaufiner leur stratégie en vue des élections législatives du 31 juillet. Dans une pièce voisine, une poignée d’informaticiens numérisent les dizaines de milliers de parrainages citoyens déjà collectés. Les pêcheurs veulent faire leur entrée à l’Assemblée nationale.

Douche froide

Dix jours plus tard, c’est la douche froide. « Sur 85 000 parrainages enregistrés, nous en avons mis 47 500 à disposition de la commission électorale, mais notre chèque de caution de 15 millions de F CFA [22 800 euros] a été refusé par la Caisse des dépôts et consignation, au motif qu’il n’était pas certifié par une banque », explique Mohamed Sylla, pêcheur à Rufisque et chargé de communication du mouvement. Problème : le dépôt des dossiers de candidature pour les élections législatives a pris fin dimanche 8 mai, à minuit. And Soukhali Nappou Senegal a fait appel à un huissier et déposé un recours auprès de la Cour suprême, mais l’aventure politique risque bien de se terminer avant même d’avoir commencé.

« C’était la première fois dans l’histoire du Sénégal que des acteurs de la pêche décidaient de se présenter aux législatives, poursuit Mohamed Sylla. And Soukhali Nappou Senegal réunit aussi bien les femmes transformatrices, les mareyeurs, les débarqueurs, les charretiers, les écailleuses, les camionneurs… Nous sommes deux à trois millions à travailler dans un secteur où tout va mal, du fait d’une mauvaise gestion des ressources halieutiques et d’un manque de transparence de la part du gouvernement. »

Le point de bascule intervient le 8 décembre 2021. Réunis à Mbour, des groupements professionnels s’entendent pour créer le Cadre de concertation des acteurs de la pêche artisanale au Sénégal (Ccapas). S’ensuivent des conférences, de Cap-Skirring à Saint-Louis en passant par Tambacounda, ainsi que des plaidoyers auprès des chefs religieux et coutumiers. Le ministre des Pêches et de l’Économie maritime, Alioune Ndoye, n’y est pas associé. Avec lui, le divorce est déjà consommé. « Depuis 2018, le secteur a rencontré le ministre à plus de sept reprises, avec vingt points de revendication – sans résultat », indique Ibrahima Mar, pêcheur et coordinateur au sein d’And Soukhali Nappou Senegal.

Manque de transparence

De cette tournée naît une aspiration politique. Le désir de se passer d’intermédiaire pour porter ses revendications avec, en première ligne, la volonté de clarifier la gestion de la ressource halieutique au Sénégal. « Il y a un manque de transparence sur les licences de pêche octroyées aux bateaux étrangers dans la zone économique exclusive du pays, souligne Mohamed Sylla. Nous voulons connaître le nombre exact de bateaux asiatiques, russes et européens, leur matricule, leur licence de pêche, à l’image de ce qui se fait en Mauritanie, car ce que nous voyons en mer ne correspond pas aux informations qu’on nous donne. »

Conséquence directe de la raréfaction des poissons liée à la surpêche, les pêcheurs sont obligés d’aller chercher des licences dans les pays limitrophes, la Mauritanie et la Guinée-Bissau en tête, quand ils ne quittent pas tout bonnement le métier, voire le pays, faute de perspectives.

La filière aimerait compter des représentants auprès de ces pays voisins, « pour éviter les tensions avec les gardes-côtes, les confiscations de matériel, les amendes parce que, par exemple, une pirogue mesure 20 m au lieu de 18 m… ». Elle souhaiterait même avoir son mot à dire sur la nomination du ministre de tutelle. « Nous avons le sentiment que le gouvernement privilégie la pêche industrielle à la pêche artisanale. Pourtant, ce sont nous qui, à plus de 80 %, fournissons la population sénégalaise en poissons », explique Mohamed Sylla, selon qui « la situation s’est vraiment détériorée ces deux dernières années ».

Pour préparer le scrutin de juillet, ces novices en politique se sont appuyés sur l’expérience de certains de leurs cadres, comme Pierre Mboup, le président d’And Soukhali Nappou Senegal, adjoint au maire de Rufisque-Ouest, qui devait être tête de liste au niveau national, ou Aïda Diouf, adjointe au maire de Mbour. Courtisé par d’autres partis, le mouvement tenait à son indépendance. Ses membres avaient mis sur pied des comités électoraux dans toutes les régions du pays et se voyaient déjà siéger au sein de l’hémicycle. Toutefois, leur méconnaissance des subtilités du système électoral sénégalais risque fort de leur coûter leurs élections.

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