Africa-Press – Senegal. C’est le télescope spatial de tous les superlatifs. Le plus gros, avec son miroir segmenté et pliable de 6,5 m de diamètre, qui a été déployé dans l’espace – une prouesse technologique ; un développement qui aura duré près de vingt ans jusqu’au lancement par Ariane 5 le 25 décembre 2021 ; un coût avoisinant les 10 milliards de dollars, ce qui en fait l’un des instruments scientifiques les plus chers de l’Histoire. Toutes choses qui expliquent sans doute que ce soit Joe Biden en personne, le président des États-Unis, qui ait le premier révélé des images du télescope spatial James Webb (JWST), le 11 juillet 2022: une plongée époustouflante dans l’Univers lointain, des milliers de galaxies et de nébuleuses révélées avec un luxe inouï de détails.
L’engin, qui porte le nom d’un dirigeant de la Nasa des années 1960 et a été développé par cette institution avec la participation des agences spatiales européenne et canadienne, s’est ainsi permis de voler la vedette à Hubble. Dans l’espace depuis plus de trente ans, le mythique télescope collectionne lui aussi les images spectaculaires. Mais la comparaison s’arrête là. Car JWST n’est pas son successeur. Quand Hubble observe essentiellement dans le domaine visible de la lumière, JWST voit dans l’infrarouge. Un domaine que nos yeux ne peuvent percevoir, mais qui recèle bien des phénomènes et des objets cachés, à toutes les échelles de l’Univers, et sur lequel reposent tous les objectifs scientifiques de l’instrument.
Premier d’entre eux: voir au plus près du Big Bang. Grâce à son large miroir, le télescope pourra observer des objets très lointains. Or, voir loin en astronomie, c’est remonter le temps. Lorsque nous captons l’image d’une galaxie très lointaine, sa lumière s’est propagée pendant des milliards d’années, et on la voit donc telle qu’elle était alors. “Avec l’observatoire spatial Planck, on a pu caractériser le rayonnement ‘fossile’ émis 380.000 ans après le Big Bang”, rappelle Hervé Dole, astrophysicien et professeur à l’Université Paris-Saclay.
A cette époque, la matière et la lumière, jusqu’alors intimement liées, se séparent. “Avec Hubble, on a observé des galaxies telles qu’elles étaient environ 1 milliard d’années plus tard. Entre les deux, il y a un fossé que le James Webb va combler”, explique-t-il. Les observations l’ont démontré: l’Univers est en expansion. Il entraîne avec lui toutes les galaxies. Conséquence: la longueur d’onde de leur lumière est comme étirée. Si la lumière des galaxies voisines de notre Voie lactée reste dans le domaine visible, celle des galaxies les plus lointaines se retrouve dans l’infrarouge. JWST accède ainsi à des galaxies plus anciennes que celles vues par Hubble ou même par Spitzer, autre télescope spatial infrarouge de la Nasa.
Une molécule à l’origine de la chimie des étoiles
Dès les premières observations, le télescope spatial géant a pulvérisé les records en découvrant une galaxie telle qu’elle était 320 millions d’années à peine après le Big Bang. L’Univers, né il y a 13,8 milliards d’années, était encore tout jeune. Plus étonnant encore: il a repéré six galaxies à peine plus récentes – 500 à 700 millions d’années après le Big Bang – mais de masse apparemment très élevée, signe qu’elles contiennent déjà beaucoup d’étoiles. Une découverte qui a fait le buzz. Deux équipes de scientifiques ont en effet annoncé très rapidement – et prématurément – qu’elle ébranlait les fondations du “modèle lambda CDM”. Autrement dit, la description actuelle de notre Univers établi par la théorie et les observations.
Découvrez les images époustouflantes de l’Univers du James Webb prises en 2022 et 2023
“On n’attendait pas une formation d’étoiles aussi tôt. Mais il n’est pas étonnant que nos hypothèses soient malmenées par l’arrivée d’un instrument performant, tempère Hervé Dole. Grâce au JWST, nous pourrons mieux comprendre la physique des galaxies et améliorer ainsi notre modèle.” Mais le James-Webb ne remontera pas jusqu’au Big Bang. “Nous pourrons accéder à l’époque de la réionisation, autour de 180 millions d’années” , précise l’astrophysicien. C’est le moment où naissent les premières galaxies. Leurs jeunes étoiles très chaudes émettent un fort rayonnement ultraviolet. Sous leur effet, l’Univers, jusqu’alors opaque, devient transparent.
JWST a aussi détecté, à 700 millions d’années après le Big Bang, un jeune amas de galaxies. “Nous essayons de comprendre les mécanismes de formation de ces structures en les observant le plus tôt possible dans l’histoire de l’Univers”, souligne Hervé Dole. Mais les amas présentent un autre intérêt: l’énorme masse qu’ils constituent joue un rôle de lentille, amplifiant la lumière de galaxies situées très loin en arrière-plan. C’est l’effet de “lentille gravitationnelle”, prédit par la relativité générale d’Albert Einstein. Ces galaxies apparaissent déformées. En mesurant cette déformation, on peut déduire la masse et la morphologie de l’amas.
L’un des phénomènes les plus fascinants de l’astrophysique est la lentille gravitationnelle: de même que, sur Terre, une lentille de verre dévie les rayons lumineux, déformant les objets placés derrière elle, dans le Cosmos, un corps massif courbe la lumière qui passe à proximité, et peut donner naissance à plusieurs images d’un objet situé derrière lui. Ici, la supernova Hope se découvre dans trois positions différentes grâce à l’amas de galaxies G165, qui sert de lentille. Crédit: JWST
JWST a observé G165, un amas ayant un énorme effet de lentille, à environ 4,5 milliards d’années-lumière de la Terre. Il transmet la lumière de quantité de galaxies plus lointaines, dont au moins une comporte un point très brillant: une supernova ! Dans notre Voie lactée, ces explosions d’étoiles en fin de vie sont rarissimes – la dernière remonte à 1987. “Leur observation est utile pour mieux connaître la vitesse de l’expansion de l’Univers”, précise Hervé Dole. En effet, leur luminosité initiale étant connue, elles jouent le rôle de “phares” permettant de mesurer leur distance et donc de calculer cette vitesse.
Beaucoup plus près de nous, JWST a pointé vers la nébuleuse d’Orion, dans la constellation du même nom, à 1.340 années-lumière de la Terre. Objectif: comprendre comment se forment les étoiles. Là où les images de Hubble ne montraient que la surface, la vision infrarouge de JWST plonge dans les nuages de gaz et révèle dans toutes les directions de fins filaments de matière qui pourraient faciliter la formation d’étoiles. Les clichés montrent aussi des étoiles en formation, dans leur cocon de poussière, avec un disque de matière contenant des embryons de planètes. “Par analogie, on pourra mieux comprendre comment s’est formé le Système solaire”, explique Olivier Berné, de l’Irap (Institut de recherches en astrophysique et planétologie) de Toulouse, dont l’équipe a traité les premières images de JWST.
Mais le télescope spatial fait plus que des images. Il est muni de deux spectrographes, Nirspec (pour l’infrarouge proche) et Miri (infrarouge moyen, développé pour partie en France), qui décomposent la lumière en “raies”, correspondant à autant de longueurs d’onde. À chaque espèce chimique correspond une ou plusieurs longueurs d’ondes caractéristiques. C’est ainsi que l’équipe d’Olivier Berné a découvert dans cette même nébuleuse d’Orion le cation méthyle (CH3+). L’existence de cette molécule très simple était prédite depuis longtemps par les astrophysiciens, comme étant à l’origine de la chimie des étoiles, mais elle n’avait jamais été détectée. “Il est important de comprendre comment la chimie se complexifie pour donner des molécules organiques, et finalement le vivant. CH3+ est au début de la chaîne”, souligne Olivier Berné.
L’art de colorier l’Univers
Les images du James Webb sont inaccessibles à l’œil humain. Parce qu’elles sont prises dans l’infrarouge, mais aussi parce que la plupart des objets célestes qu’il observe émettent si peu de lumière que les capturer nécessite des heures de pose. Ce que les astronomes récupèrent, ce sont des pixels porteurs d’informations sur les objets visés: quantité de matière, composition chimique, température. Lorsqu’ils souhaitent mettre en évidence une molécule ou un flux de matière, ils utilisent un filtre approprié. Des couleurs sont ensuite appliquées aux images. Elles obéissent généralement à une convention, contraire à celle de nos robinets de salle de bains: le bleu est attribué aux objets les plus chauds, le rouge aux plus froids.
Dans ce cadre, depuis Hubble, la Nasa a élaboré sa propre palette de couleurs, qu’elle utilise pour sa communication envers le public. Selon la chercheuse en culture visuelle Elisabeth Kessler, de l’Université Stanford aux États-Unis, “on peut rapprocher les images de Hubble et du James Webb des œuvres des peintres américains du 19e siècle, qui représentaient les grandes étendues sauvages. Et alors qu’il n’y a ni haut ni bas dans l’espace, les images diffusées sont toujours orientées pour suggérer un paysage.” Le mythe de la “frontière”, à l’origine des États-Unis, est aussi présent dans le Cosmos.
Au cœur de l’atmosphère des exoplanètes
Encore plus fascinant: JWST va permettre d’en savoir plus sur les exoplanètes. On en recense aujourd’hui près de 5500, “jupiters chauds”, “superterres” et autres “minineptunes”. JWST ne sera pas un découvreur. Mais grâce à ses spectrographes, il analysera leur atmosphère. Les exoplanètes naissent dans les disques de poussière autour des jeunes étoiles, plus ou moins loin de celles-ci. “Les informations collectées permettront de savoir où et comment elles se sont formées”, explique Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
JWST tire profit de ce que les astronomes appellent le “transit”. Lorsqu’une exoplanète passe devant une étoile, la lumière de cette dernière éclaire les molécules de son atmosphère, laissant dans le spectre qui en résulte une signature qui permet de les identifier. Le James-Webb a déjà exploré l’atmosphère de Wasp 39b, une exoplanète orbitant autour d’une étoile de la constellation de la Vierge, à 700 années-lumière de la Terre: “On a découvert du CO2, ce qui était prévisible, précise Pierre-Olivier Lagage. Mais aussi du dioxyde de soufre (SO2), une surprise. Cette molécule témoigne d’une chimie à l’œuvre. Elle est fabriquée par l’action des rayonnements ultraviolets sur l’atmosphère.”
Un système planétaire concentre tous les regards: Trappist 1, une étoile située à 40 années-lumière de la Terre, dans la constellation du Verseau. Pas moins de sept planètes tournent autour d’elle, toutes potentiellement rocheuses. JWST a déjà livré des informations sur la planète Trappist 1b: “Nous avons pu mesurer sa température, qui est de 503 K (environ 230 °C). Elle n’a probablement pas d’atmosphère, comme Mercure dans notre système solaire. Nous souhaitons observer les planètes de Trappist qui se trouvent dans la zone habitable de leur étoile (là où de l’eau peut se maintenir à l’état liquide, ndlr), mais cela demandera beaucoup de temps de télescope.” Ces planètes ne ressemblent pas à la Terre, car Trappist est plus petite que le Soleil et beaucoup plus froide. Et elles sont 6 à 40 fois plus proches de leur étoile que notre planète de la nôtre.
Le télescope spatial pourrait-il analyser l’atmosphère d’une planète en tout point semblable à la Terre, tournant autour d’une étoile jumelle du Soleil ? “Non, répond sans détour Pierre-Olivier Lagage. JWST n’est pas assez sensible. Il faudra envoyer dans l’espace plusieurs télescopes travaillant ensemble, comme ceux du projet LIFE, à l’étude à l’Agence spatiale européenne.” Et vient la question qui brûle les lèvres: comment détecter une manifestation de la vie dans l’atmosphère d’une exoplanète ? “Il faudrait pour cela savoir reconnaître une molécule caractéristique d’une activité biologique. Un gaz, l’ozone, qui sur Terre se forme à partir de l’oxygène produit par les micro-organismes, serait un bon candidat. Mais il peut aussi se former de manière purement chimique. Si l’on détectait quelque chose, il faudrait des années pour le confirmer.”
En attendant, les scientifiques se bousculent pour accéder au télescope: il y a cinq ou six fois plus de demandes que de temps disponible. La durée théorique de sa mission est de cinq ans. Mais le lancement sans faute d’Ariane 5, qui a permis d’économiser le carburant du télescope spatial, repousse l’échéance à dix ans, peut-être beaucoup plus. Hubble lui-même, malgré ses trente-trois ans de service, n’a pas encore baissé le rideau.
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