Africa-Press – Senegal. Joyeux anniversaire ! », s’exclament les proches répartis dans de multiples petites cases du logiciel de visioconférence, ornés de cotillons et le verre levé. Visages qui se figent, son qui coupe, les dysfonctionnements sont potentiellement nombreux et fréquents, tant le bon déroulement de la « visio » dépend de la qualité de la connexion internet de ses usagers. Or, si dans le cadre personnel ces bugs ne sont que des désagréments mineurs, dans des contextes plus officiels ils affectent en revanche directement le jugement et la confiance accordés à la personne de l’autre côté de l’écran, démontre une étude publiée dans la revue Nature. Avec des conséquences graves, alors que ce mode de communication explose dans le cadre du recrutement professionnel, dans le suivi médical à distance ou même pour certaines audiences judiciaires.
« 70 % des personnes interrogées estimaient que les problèmes techniques pendant un appel vidéo n’avaient que peu ou pas d’impact sur leur évaluation de leur interlocuteur, d’après une enquête que nous avons menée », souligne auprès de Sciences et Avenir la chercheuse Melanie Brucks, spécialiste en marketing et innovation à la Columbia Business School (Etats-Unis) et co-première autrice de ces travaux. Une majorité largement dans l’erreur, comme le démontrent les trois chercheurs signataires au cours de cinq expériences méticuleusement menées et des données d’archives. Les participants y utilisaient la visioconférence pour faire connaissance, suivre un webinaire sur une thématique de santé, se connecter en face à face avec un professionnel de santé, puis pour simuler un entretien d’embauche dans lequel ils recevraient un candidat, et suivre les conseils d’un conseiller financier. Les contenus regardés par les participants étaient enregistrés, de façon à ce que la nature des bugs et leur emplacement soient choisis par les chercheurs. Enfin, ces derniers ont analysé les enregistrements d’audiences de libération conditionnelle, réalisés en visioconférence aux Etats-Unis.
Les bugs de visioconférence affectent le jugement de la personne en face
En vie réelle, les chercheurs constatent que les bugs sont très fréquents et concernent presque un quart des visioconférences. « Nous avons réalisé que ces dysfonctionnements étaient permanents et avons pensé qu’ils pouvaient avoir plus d’impact que ce que l’on pourrait croire », explique Jacqueline Rifkin, deuxième co-première autrice de l’étude et experte en marketing à la Cornell Johnson Graduate School of Management (Etats-Unis). Et de fait, le nombre de participants annonçant accorder leur confiance au professionnel de santé chute de 77% à 61% lorsque la visioconférence dysfonctionne. De même, les libertés conditionnelles accordées dans la vie réelle sont réduites de 60% à 48% des cas lors de visio problématique. Quant aux entretiens d’embauche, les candidats dont les visioconférences fonctionnaient bien obtenaient un score d’intérêt à l’embauche de 5,4 sur une échelle de 7, contre 4,8 lorsque l’appel en visio dysfonctionnait.
L’uncanniness, lorsque l’illusion d’une interaction réelle se brise
« Les appels vidéo imitent les interactions réelles en face à face, donnant l’impression que les interlocuteurs sont réellement assis l’un en face de l’autre. Les perturbations, cependant, sont artificielles et brisent cette illusion – par exemple, en déformant les visages ou en rendant les mouvements saccadés », explique Melanie Brucks. C’est le concept d’ »uncanniness » issu de la recherche en robotique et en animation et qui en français se traduit par « Vallée de l’étrange ». « Cela se produit lorsque quelque chose semble presque humain, mais pas tout à fait », ajoute la chercheuse. « Les perturbations de la visioconférence sont néfastes, car elles rendent l’appel inquiétant, effrayant et étrange. »
Les bugs de son dérangent plus que ceux de l’image
Tous les bugs ne provoquent pas ces effets d’étrangeté dans la même ampleur. Ceux qui ont le plus pesé dans le contexte d’entretien d’embauche étaient les problèmes sonores, les interruptions récurrentes comme les coupures soutenues. En revanche, une vidéo distordue, figée ou régulièrement interrompue ou décalée avec le son ne semblait pas faire baisser les chances d’embauche. Le fait que les interruptions intermittentes ou prolongées d’un même canal aient le même effet est un indice important: cet effet négatif des interruptions n’est pas, ou pas uniquement, lié à la perte d’informations au cours de l’appel. « L’étrangeté (uncanniness) liée au bug influe davantage sur l’intérêt pour le recrutement que le caractère perturbateur de ce bug », observent les chercheurs dans la publication. « Pour étayer notre réflexion, dans un appel vidéo qui n’imitait pas une interaction réelle en face à face – un appel avec une présentation en ‘écran partagé’ -, les perturbations n’étaient pas gênantes », ajoute d’ailleurs Jacqueline Rifkin. Cet effet d’étrangeté, avertissent les chercheurs, risque par ailleurs d’empirer à mesure que les technologies rendent les interactions virtuelles de plus en plus réalistes.
Exacerbation des inégalités
» Les dysfonctionnements sont plus néfastes que nous ne le pensons. Et ces effets ont des implications importantes en matière d’équité », observe la chercheuse. Car alors que la visioconférence est souvent présentée comme une manière de rendre accessible les soins de santé, un emploi ou une vie sociale à distance à des personnes défavorisées cumulant les emplois ou en mauvaise santé, ses bénéfices sont en réalité dépendants de la qualité de leur accès à internet. « Cependant, ces mêmes populations sont également plus susceptibles de ne pas disposer d’un accès fiable à Internet. Nos effets peuvent donc être plus concentrés dans les populations défavorisées », souligne Melanie Brucks. Les chercheurs mettent en avant un « cercle vicieux préoccupant qui propage et exacerbe les inégalités ».
« Nos conclusions encouragent les individus à envisager de se rencontrer en personne pour les interactions importantes. Mais les gens n’ont pas toujours le choix », déplore Melanie Brucks. « Nous exhortons les organisations publiques et privées à allouer collectivement davantage de ressources à l’amélioration des infrastructures, de l’accès et de l’équité en matière d’Internet. L’Internet a été considéré comme un facteur d’égalité, mais si l’accès en est inégal, il peut au contraire exacerber les inégalités. »
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