Découverte de la plus ancienne pierre gravée de runes : « C’est un tout nouvel aperçu de l’histoire de l’écriture runique »

15
Découverte de la plus ancienne pierre gravée de runes : « C’est un tout nouvel aperçu de l’histoire de l’écriture runique »
Découverte de la plus ancienne pierre gravée de runes : « C’est un tout nouvel aperçu de l’histoire de l’écriture runique »

Africa-Press – Senegal. À l’automne 2021, un petit bloc de grès marron découvert dans un champ à Svingerud, au nord-ouest d’Oslo, en Norvège, ébranlait loin des médias le monde de l’archéologie nordique. Gravé de runes, du nom de l’alphabet qui fut utilisé pour écrire les langues des peuples germaniques entre le début de notre ère et la fin du Moyen-Âge, il pourrait être la plus ancienne pierre runique au monde. Mi-janvier 2023, le musée d’Histoire culturelle d’Oslo, où est actuellement conservé et étudié l’objet, a fini par annoncer l’exceptionnelle découverte.

Parce que la pierre a été trouvée dans une tombe de l’Âge du fer riche d’un certain nombre de matériaux organiques – ossements humains incinérés, charbon de bois… -, les archéologues ont pu estimer qu’elle pourrait avoir été gravée entre l’an un et l’an 250 après J.-C., soit plusieurs siècles avant la plupart des pierres runiques connues. De quoi bouleverser l’histoire de cette écriture à l’origine de nombreux fantasmes de nos jours. Sciences et Avenir a interviewé Kristel Zilmer, runologue à l’Université d’Oslo qui, depuis plusieurs mois, travaille à l’analyse et l’interprétation de la dalle gravée.

En quoi cette pierre constitue-t-elle une découverte extraordinaire ?

Kristel Zilmer : En raison de sa datation précoce, établie grâce aux éléments de la tombe dans laquelle elle a été trouvée. Elle apparaît comme la toute première preuve que des pierres runiques ont pu émerger en Scandinavie dès les premiers siècles de notre ère alors que jusqu’ici, nous supposions que les plus anciennes dataient de la fin du 4e ou du début du 5e siècle. En outre, elle fournit des informations très intéressantes sur les débuts de la tradition d’écriture runique, à commencer par les formes particulières de certains de ses caractères, qui pourraient refléter de toutes premières tentatives d’écriture. Le fait qu’elle comporte également d’autres marques très diverses, qui ne sont pas à proprement parler des runes, est tout aussi intrigant pour nous.

« En Scandinavie, les runes ont été utilisées tout au long de l’âge viking et du Moyen Âge »

Que sont les runes, et dans quels contextes ont-elles été utilisées ?

Les runes sont les signes alphabétiques d’une écriture que l’on suppose apparue aux alentours du 1er siècle après J.-C. parmi les groupes germanophones d’Europe. Peut-être ont-elles été créés pour répondre au besoin d’écrit d’un peuple dont la culture était jusqu’alors exclusivement orale. Les plus anciennes inscriptions runiques connues figurent sur de petits objets en vrac (un peigne en os, des armes…) trouvés au Danemark et datés du deuxième siècle après J.-C. La pierre de Svingerud, elle, a été datée entre 100 et 250 après J.-C (ce qui pourrait en faire tout simplement la plus ancienne inscription en runes au monde si la datation la plus ancienne venait à être retenue, ndlr). En Scandinavie, les runes ont été utilisées tout au long de l’âge viking et du Moyen Âge. Au cours de cette longue période, nous constatons que l’écriture runique a émergé sur des monuments commémoratifs en pierre et, dans un dernier temps, sur les murs d’églises et de fermes. Ce qui a été préservé n’est, bien sûr, pas forcément représentatif de tout ce qui a pu exister autrefois.

Je suppose que nous ne trouvons pas d’authentiques pierres runiques tous les mois, n’est-ce pas ?

Loin s’en faut ! Les découvertes de pierres inscrites dans le vieux futhark – la plus ancienne forme d’alphabet runique – sont particulièrement rares.

Que peut-on voir sur cette pierre ?

Nous voyons un certain nombre de lignes runiques fines et peu profondes, des formes runiques ainsi que d’autres marques qui peuvent ressembler à des gribouillages. C’est extraordinaire de voir cela sur une pierre commémorative, puisque l’on suppose que la dalle a servi de mémorial ou de marqueur de tombe – peut-être une dédicace ou un cadeau au défunt. On a presque l’impression que quelqu’un a imité ou joué avec l’écriture. Il s’agit très probablement d’un fragment, de sorte que la pierre pourrait avoir été à l’origine beaucoup plus grande. En cela, elle ne donne pas une impression monumentale immédiate, mais elle n’en est pas moins intéressante et créative. Ce qui apparaît le plus clairement est une séquence de huit runes, toutes bien formées, là où à d’autres endroits, les caractères et formes peuvent sembler plus négligés. L’une des interprétations possibles est que l’inscription la plus lisible corresponde au nom d’une personne, « Idiberug ». Tous les caractères qui y figurent posent un défi, comme c’est le cas pour la majorité des plus anciennes inscriptions runiques.

Crédits : Javad Parsa/NTB/AFP

Que nous apprend-elle ?

Par son extrême précocité, elle nous offre un tout nouvel aperçu de l’histoire de l’écriture runique et de la manière dont les runes pouvaient être utilisées sur la pierre dès le début de notre ère. Nous l’avons vu, retrouver une pierre sur laquelle figure du futhark ancien est un événement rare, aussi une telle découverte nous donne la possibilité précieuse de modifier, valider ou infirmer des thèses que nous autres runologues avions formulées. Les archéologues trouveront également intéressant de discuter de ce que cette trouvaille nous dit des coutumes d’enterrement et autres pratiques dans la société scandinave de l’Âge du fer romain.

Quelles sont les prochaines étapes concernant cette découverte ?

Notre groupe de recherche travaille simultanément à la rédaction d’articles universitaires, au rapport de fouilles archéologiques et à la documentation 3D de la pierre, des documents qui seront prochainement accessibles quiconque voudra les consulter. Les publications traiteront notamment des questions de datation, de contexte, et présenteront et discuteront plus en détails des diverses inscriptions sur la pierre.

« L’écriture runique a toujours intrigué les gens et continue de les captiver aujourd’hui »

Il existe un certain nombre de « fausses pierres runiques » fabriquées à l’époque moderne. Pourquoi ? Y avait-il une sorte de fascination autour de ces objets runiques au point d’en faire un commerce ?

C’est un phénomène connu en Scandinavie et même ailleurs. L’écriture runique a toujours intrigué les gens et continue de les captiver aujourd’hui. Durant la période post-médiévale et à l’époque moderne, des traditions locales de fabrication d’artefacts runiques se sont mises en place. Pour autant, nous n’appelons pas nécessairement ces objets des faux ; nous parlerions plus volontiers de faux si le but derrière leur fabrication avait été de tromper les gens et de leur faire croire à une origine bien plus ancienne. Certaines de ces pièces runiques modernes ne sont aussi que l’expression d’un savoir sur la tradition runique, jugée fascinante par des individus au point d’avoir éveillé chez eux la volonté de fabriquer leur propre objet.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Senegal, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here