Entre les cellules, un perpétuel échange de messages

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Entre les cellules, un perpétuel échange de messages
Entre les cellules, un perpétuel échange de messages

Africa-Press – Senegal. La communication est sans doute la clé de voûte de la pérennité d’une société, reliant tous ses membres et leur permettant de s’organiser. Mais elle est tout aussi essentielle à l’intérieur même de notre propre corps. Sans elle, les êtres multicellulaires n’auraient sans doute jamais existé. “Nous sommes tous issus d’une seule cellule, née de la fusion des gamètes mâle et femelle, rappelle Maksim Plikus, professeur de biologie cellulaire à l’Université de Californie à Irvine (États-Unis). Dès que celle-ci se divise, les deux cellules qui en résultent commencent à communiquer. Tout au long de notre vie, nos cellules ne cessent jamais de se parler, formant des communautés locales très complexes, inimaginables sans cette communication constante.”

Ce “langage” cellulaire repose sur des “mots” nommés ligands, des molécules que la cellule sécrète lorsqu’elle veut “parler” à une autre. Cette dernière l’”écoute” avec des récepteurs localisés sur sa membrane et dirigés vers l’extérieur, comme des oreilles à l’affût du moindre son. Quand le ligand est reconnu par un récepteur, les deux molécules se lient. Cette rencontre, réversible, déclenche dans la cellule réceptrice une cascade de signaux, grâce à laquelle une protéine fait passer le message à une autre jusqu’à ce qu’il parvienne à son destinataire, dans le noyau cellulaire. L’expression des gènes se modifie alors et, par conséquent, le comportement de la cellule change. Un exemple : des facteurs de croissance peuvent “dire” à une cellule souche de se transformer en cellule d’un type spécifique, en fonction des besoins de l’organisme à un moment donné.

Ce langage cellulaire extrêmement complexe n’a pourtant plus de secrets pour nous grâce à Cell-Chat, un logiciel conçu par Maksim Plikus en collaboration avec Qing Nie, professeur de mathématiques à l’Université de Californie à Irvine. Tel un programme espion, CellChat décrypte toutes les communications entre les cellules en identifiant quels gènes s’expriment à un moment donné.

Pour réaliser cette opération, il détecte tous les ARN messagers – molécules produites lorsqu’un gène est exprimé, et qui contiennent les instructions pour la fabrication de la protéine codée par ce gène – présents dans une cellule et repère ceux liés à la communication. “Cet outil détecte l’expression des ligands et des récepteurs, dépistant toutes les conversations entre les cellules, mais aussi ce qu’elles se disent”, résume le chercheur.

Comme un chien renifle l’urine d’un autre

À quel moment le vivant s’est-il mis à converser de la sorte ? Nul ne le sait. Ce qui est certain, c’est que la communication intercellulaire existait avant l’apparition des êtres complexes. Car des organismes unicellulaires, telles les bactéries, ont aussi la capacité de se “parler”, certes avec un système beaucoup plus simple, mais qui nous donne une idée de la façon dont ce langage aurait pu émerger. “Il est probable que le système de communication des bactéries est l’adaptation d’un processus métabolique qui, à la base, n’avait aucun rapport avec la communication, explique Josephine Chandler, spécialiste des comportements sociaux des bactéries à l’Université du Kansas (États-Unis). Chez les protéobactéries (ou Pseudomonadota) par exemple, la molécule utilisée pour la communication est un sous-produit de la synthèse d’acides gras, l’homosérine lactone. Sa sécrétion permet aux bactéries environnantes de détecter la présence de la bactérie émettrice.” Ainsi, on peut imaginer que des molécules produites par ces premières bactéries lors de processus métaboliques normaux ont pu servir aux bactéries environnantes d’indices sur leur état métabolique. Un peu comme un chien récupère des informations sur un autre juste en reniflant son urine.

“Un bon exemple est la production d’antibiotiques, que les bactéries sécrètent pour se défendre d’autres espèces de bactéries. Des individus non agressés pourraient détecter l’antibiotique élaboré par leurs semblables et en déduire que des membres de l’espèce assaillante les attaquent eux aussi, les induisant à s’en défendre”, illustre Josephine Chandler. Ce signal peut ainsi être considéré non comme un signal, mais comme un effet collatéral, la production d’antibiotique n’étant pas destinée à alerter des congénères. Toutefois, ceux-ci le percevraient et y liraient un message changeant leur comportement. Les premières communications intercellulaires auraient ainsi été involontaires, avant que les cellules ne s’adaptent, d’abord pour pouvoir utiliser ces signaux à leur avantage, puis pour en émettre de plus précis. “Par la suite, cet antibiotique aurait perdu sa fonction première, mais gardé celle de messager”, poursuit-elle.

Le principal système de communication des bactéries est la détection du quorum, ou quorum sensing, grâce à des molécules comme l’homosérine lactone, que les bactéries utilisent pour se compter : la concentration de cette molécule indique quelle quantité de bactéries est aux alentours, ce qui leur permet d’adapter leur comportement en fonction de leur nombre. “Comme nous, les humains, qui nous comportons différemment si nous sommes en groupe ou seuls…, compare Josephine Chandler. Reprenons l’exemple de l’antibiotique : si trop peu de bactéries en produisent, il n’y en aura pas assez pour tuer l’envahisseur. Si une bactérie est seule, ce n’est donc pas la peine qu’elle mette en route le processus. Mais si le groupe est suffisamment grand pour que l’attaque puisse être efficace, elles se mettront toutes à fabriquer l’antibiotique.”

Division des tâches entre bactéries

Être en groupe permet aussi la division des tâches, un comportement que l’on croyait réservé aux organismes multicellulaires, mais qu’on commence à reconnaître chez les bactéries. “C’est par exemple le cas lors de la formation d’un biofilm, lorsque des bactéries s’agrègent pour se protéger des agressions grâce au quorum sensing. Celles qui se trouvent à la surface ne se comportent pas de la même façon que celles situées à l’intérieur. Les bactéries du biofilm peuvent même s’organiser pour créer des canaux par lesquels transporter les nutriments et évacuer les déchets !”, révèle la biologiste. L’accès à l’oxygène pourrait être l’un des enjeux de ce début de division des tâches.

Ainsi, un système de communication relativement simple a permis – et permet toujours – aux organismes unicellulaires de collaborer temporairement pour certaines tâches. Mais la collaboration entre cellules nécessite une communication bien plus efficace et précise dans le cas des organismes multicellulaires. “Il semble qu’au moment de leur émergence, l’évolution ait mis le turbo pour créer de nouvelles molécules de signalisation”, résume Maksim Plikus. Au point qu’une grande partie des voies de signalisation que nos cellules utilisent actuellement sont très similaires à celles qu’on trouve chez les organismes multicellulaires les plus anciens. C’est grâce à cette communication que le vivant a pu se complexifier, créer des organes pour des tâches spécifiques et réguler son développement et son métabolisme. Aboutissant à la diversité phénoménale d’êtres qui peuplent cette planète et qui communiquent, encore et toujours.

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