Hausse des Cancers Digestifs et Colorectaux Moins de 50 Ans

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Hausse des Cancers Digestifs et Colorectaux Moins de 50 Ans
Hausse des Cancers Digestifs et Colorectaux Moins de 50 Ans

Africa-Press – Senegal. Aux États-Unis, le cancer colorectal est devenu la première cause de décès par cancer, la deuxième chez les femmes de moins de 50 ans. En 2023, une étude internationale publiée dans le British Medical Journal Oncology alerte: le nombre de cancers chez les moins de 50 ans est en forte augmentation dans le monde. Entre 1990 et 2019, les chercheurs observent une hausse de 79,1 % des cas diagnostiqués dans cette classe d’âge et envisagent une augmentation supplémentaire de 31 % d’ici 2030. Cette croissance concerne une quinzaine de cancers, en premier lieu les cancers digestifs et les cancers du sein.

Certaines variations de l’incidence de ces cancers s’expliquent en partie par des facteurs méthodologiques. Les tendances dépendent aussi des sources de données utilisées, des classifications des tumeurs ou des politiques de dépistage, mais pour les chercheurs américains, ces biais ne suffisent pas à expliquer l’ampleur du phénomène. Une étude publiée en 2025 das le British Journal of Surgery parle même d’une « catégorie cliniquement distincte de cancer » chez les moins de 50 ans.

Dans celle-ci, des chercheurs de l’Université Harvard et de l’Institut du Cancer Dana-Farber à Boston (Etats-Unis) ont passé en revue de nombreuses études sur les cancers digestifs d’apparition précoces. Leurs résultats alertent et donnent des directives pour les décennies à venir.

« Chez un trentenaire, des troubles digestifs ne font pas immédiatement penser à un cancer »

Jusqu’ici considérés comme des maladies liées au vieillissement, ces tumeurs sont dites « précoces » lorsqu’elles arrivent avant la cinquantaine. Leur augmentation est visible en particulier dans les pays à haut niveau de revenu. En Europe, on observe une augmentation de 7,9% de l’incidence des cancers colorectaux chez les 20-29 ans, de 4,9% chez les 30-39 ans et de 1,6% chez les 40-49 ans. Mais cette tendance n’est pas homogène. En France, par exemple, l’incidence du cancer colorectal reste stable chez les hommes de moins de 50 ans avec près de 47.000 nouveaux cas chaque année, alors que les femmes âgées de 20 à 40 ans observent une hausse d’incidence de 5,4% par an entre 1998 et 2020, selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Dans cette même tranche d’âge, les hommes connaissent une augmentation marquée de l’incidence des cancers du pancréas (+ 5,4%) et du rein (+ 5,3%).

On parle beaucoup du cancer colorectal, mais l’incidence du cancer du pancréas ne cesse de croître à tous les âges. En France, entre 2010 et 2023, son incidence a augmenté en moyenne de 1,6 % par an chez les hommes et 2,1 % chez les femmes (INCa, 2024). Rare mais souvent diagnostiqué tardivement, il touche majoritairement les plus de 55 ans, avec un âge moyen de diagnostic de 71 ans chez les hommes et 74 ans chez les femmes. Son pronostic reste très sombre: seulement 11 % de survie nette à cinq ans. L’adénocarcinome pancréatique pourrait devenir la deuxième cause de décès par cancer d’ici 2040. Les causes de sa progression restent mal comprises, aucun facteur de risque n’étant identifié dans plus de la moitié des cas.

Autre particularité, chez les jeunes adultes, ces tumeurs d’apparition précoce se révèlent souvent plus agressives et moins sensibles aux traitements standards. Une difficulté qui vient en partie de leur détection tardive. Selon une étude de Molecular Oncology, publiée en 2019, 76% des cancers colorectaux détectés chez les moins de 30 ans le sont à un stade très avancé. « Chez un trentenaire, des troubles digestifs ne font pas immédiatement penser à un cancer. Le diagnostic arrive souvent trop tard, déplore Cristina Smolenschi. Quand les premiers symptômes visibles, comme les saignements dans les selles, apparaissent, le cancer est déjà à un stade avancé plus difficile à prendre en charge”. L’oncologue insiste sur l’importance de la sensibilisation des médecins généralistes, souvent consultés en première instance, pour éviter ce retard de diagnostic.

Effet de cohorte et modifications épigénétiques

« Ce qui augmente le risque aujourd’hui, ce n’est pas d’avoir 30 ou 40 ans, mais d’être né il y a 30 ou 40 ans, à une époque où l’exposition à ces facteurs a commencé », explique Cyrille Delpierre, épidémiologiste et directeur du CERPOP. En comparaison avec ceux nés dans les années 1950, les Américains nés dans les années 1990 ont deux fois plus de risque de développer un cancer du côlon, et quatre fois plus de risque de développer un cancer du rectum. C’est ce qu’on appelle un “effet de cohorte de naissance”: l’ensemble des expositions subies par une génération, dès la vie fœtale (exposome), peut influencer à long terme le développement métabolique et le risque de cancer.

Si les facteurs héréditaires et génétiques connus restent importants, les recherches récentes pointent un autre mécanisme: l’épigénétique, soit l’ensemble des modifications chimiques qui peuvent réguler l’expression des gènes sans modifier l’ADN. « On sait que certains facteurs liés à nos modes de vie favorisent cette déprogrammation épigénétique. C’est le cas de l’obésité, le manque d’activité physique, l’alimentation ultra-transformée, la consommation d’alcool », développe Giacomo Cavalli, directeur de recherche CNRS à Montpellier. L’exposition à plusieurs formes de pollution est également suspectée. « Beaucoup de recherches sont en cours à ce sujet, on sait que les polluants affectent l’épigénétique, mais on ne sait pas encore très bien comment. »

Le début des recherches sur l’exposome

L’Institut Gustave-Roussy a lancé fin 2024 le programme YODA (Young Onset Digestive Adenocarcinoma), dont l’un des axes de recherche vise à étudier pour la première fois la teneur en microplastiques des graisses viscérales. Alice Boilève et Cristina Smolenschi, deux oncologues à l’origine de ce projet, sont parties du constat que certains de ces jeunes adultes diagnostiqués d’un cancer n’ont, comme Hélène, quasiment aucun facteur de risque lié aux habitudes de vie. « On voit de plus en plus de patients de moins de 50 ans en consultation. Beaucoup sont en bonne santé globale, ne boivent pas, ne fument pas, ont une alimentation et un mode de vie sains, observe la Dr Cristina Smolenschi. On veut pouvoir leur apporter des réponses. » L’influence des polluants sur les changements épigénétiques est une hypothèse de recherche parmi d’autres. Elle est favorisée par les chercheurs car l’exposition aux polluants est caractéristique de la génération touchée par ce phénomène.

Les personnes nées entre la fin des années 1970 et le début des années 1990 ont un exposome marqué par l’avènement de l’industrialisation massive et de l’agriculture intensive. C’est une génération particulièrement exposée aux pesticides (glyphosate), perturbateurs endocriniens (bisphénol A), à la pollution de l’air (particules fines), à l’alimentation ultra-transformée ou au tabac, avant que toutes les réglementations n’arrivent au début des années 2000. Cet exposome, ainsi que la transformation des modes de vies dans les pays riches, plus sédentaires, sont autant de signaux susceptibles d’induire des modifications épigénétiques. Les générations précédentes sont par exemple plus marquées par l’exposition au tabac, qui a eu une influence sur l’incidence des cancers du poumon, première cause de mortalité par cancer chez l’homme en France.

LOI DUPLOMB. Aujourd’hui, ces arguments sont repris par des scientifiques et associations contre l’utilisation de certains polluants. Le 8 juillet 2025, la loi Duplomb a été adoptée à l’Assemblée nationale, et autorise de nouveau notamment l’usage de certains pesticides interdits en France depuis 2018, dont l’acétamipride, de la famille des néonicotinoïdes. « Voter la loi Duplomb, c’est voter pour le cancer. C’est admettre que chaque pomme croquée sera une nouvelle intoxication et qu’un grand nombre de nouveaux-nés naîtront avec de lourdes pathologies », a alors réagi Fleur Breteau, fondatrice de Cancer Colère et elle-même atteinte d’un cancer, dans un article de Reporterre. Elle souligne une corrélation entre l’exposition aux néonicotinoïdes et l’augmentation du risque de cancer, documentée par la littérature scientifique.

Des cancers « plus tabous »

Mais avoir un cancer avant 50 ans entraine aussi des enjeux psychosociaux. Souvent actifs, les patients comme Hélène, diagnostiquée d’un cancer du côlon à 40 ans, doivent aménager leurs horaires de travail au rythme des rendez-vous médicaux, jusqu’à parfois arrêter totalement. Maman de deux jeunes enfants, c’est son emploi du temps complet qui a dû être adapté à la maladie, aujourd’hui partie intégrante de son quotidien.

C’est en découvrant Patients en réseaux, une association qui met en relation les patients selon leur type de cancer, qu’Hélène s’est rendu compte qu’elle n’était pas seule. « J’y ai rencontré pour la première fois des femmes de mon âge atteintes de cancers digestifs. Quand je vais en chimiothérapie, il n’y a que des hommes plus âgés, on n’a pas les mêmes problématiques. Pour les femmes de moins de 50 ans, on parle plus du cancer du sein », ajoute-t-elle. Le CIRC compte 1,7% de cancers du sein en plus par an chez les femmes de 20 à 40 ans sur la période 1998-2020, suivis par le cancer colorectal (+5,4%) et le cancer du pancréas (+4,3%). Des cancers « plus tabous », selon Hélène, mais tout aussi inquiétants.

Bien que cette hausse d’incidence des cancers chez les jeunes soit à replacer dans une hausse d’incidence des cancers à tous les âges, leur prise en charge devient une question de santé publique. Avancer l’âge des dépistages du cancer colorectal à 40 ou 45 ans est une option par les médecins et associations. Détecter à un stade précoce, certains cancers peuvent être bien soignés. Mais pour avoir un réel impact sur la santé publique, il faudrait déjà en améliorer la participation, qui peine actuellement à atteindre 30% après 50 ans. « Je vais jusqu’à offrir des kits de dépistage à mes amis, s’exclame Hélène. C’est gratuit, rapide, indolore, et ça peut sauver des vies. Il faut que les gens le fassent ».

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