“Les PFAS sont des polluants persistants mais pas éternels”

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“Les PFAS sont des polluants persistants mais pas éternels”
“Les PFAS sont des polluants persistants mais pas éternels”

Africa-Press – Senegal. Hydrofuge, lipophobe, résistants aux chaleurs intenses, à l’acidité, à la lumière, à la dégradation microbienne… Les PFAS, ces composés chimiques à tout faire et utiles à l’industrie posent un énorme problème: nous y sommes quotidiennement exposés. Un groupe de travail du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), émanation de l’OMS, a conclu au début de ce mois de décembre 2023 à la cancérogénicité pour l’humain de l’un d’entre eux, l’acide perfluorooctanoïque (PFOA).

Les équipes du Laboratoire d’Etudes des Résidus et Contaminants dans les Aliments (LABERCA-Oniris VETAGROBIO), à Nantes, étudient notre exposition à ces substances par les aliments que nous consommons et cherchent à caractériser l’imprégnation des individus. Le professeur Bruno Le Bizec, directeur du LABERCA, explique à Sciences et Avenir ce que sont ces PFAS.

Sciences et Avenir: Dans toute définition des PFAS, on distingue les perfluoroalkylés des polyfluoroalkylées, quelle différence y-a-t-il ?

Bruno Le Bizec: La différence entre les composés perfluoroalkylés et les polyfluoroalkylées, c’est le nombre d’atomes de fluor sur une chaîne carbonée. Les perfluoroalkylés sont des composés dans lesquels la chaîne carbonée est intégralement fluorée.

Dans certaines nomenclatures, on scinde ces substances fluoroalkylées en deux catégories, les non-polymères et les polymères. La première catégorie comporte deux grandes vedettes, le PFOS (sulfonate de perfluorooctane) et le PFOA, dont on parle beaucoup aujourd’hui. Dans la catégorie polymère, la vedette, c’est le PTFE (polytétrafluoroéthylène), le fameux Téflon.

Qu’entend-on par PFAS “historiques”et PFAS “de nouvelle génération” ?

Les PFOA et PFOS sont justement des PFAS “historiques”, ceux que l’on connaît et auxquels on s’intéresse depuis longtemps. Ceux qui sont qualifiés par les industriels de “nouvelle génération” sont censés être moins persistants dans les organismes ou l’environnement.

Ce sont par exemple des chaînes d’atomes plus courtes de 4 ou 6 atomes de carbone, incorporant des liaisons éthers, réputées plus facilement cassables. Est-ce un leurre ? Ces composés restent toxiques et relativement persistants. Ils le sont moins que les premiers PFAS “historiques”, mais ils ne disparaîtront pas du jour au lendemain.

Combien y-a-t-il de substances per- et polyfluoroalkylées ?

Il faut faire la distinction entre la substance native, les substances dégradées et celles qui sont issues du métabolisme d’organismes vivants. Les substances natives ont été produites par l’industrie, on estime leur nombre à environ 4000 – 5000 composés. Mais la réalité est au-delà.

Notre exposome [l’ensemble des expositions environnementales auxquelles nous sommes soumis tout au long de notre vie NDLR] ne se résume pas à ces substances natives. En fonction de ce que nous consommons, la réalité du spectre d’exposition aux composés perfluorés peut être plus importante que ces produits commercialisés dans le passé.

Si vous consommez des denrées alimentaires d’origine animale, prenez du lait de vache ou un filet de poisson, le métabolisme de l’animal aura peut-être contribué à la dégradation partielle des PFAS auxquels il aura été exposé.

Nous sommes donc confrontés à des PFAS dégradés par l’environnement et également par des métabolismes animaux. Le nombre réel de PFAS doit probablement approcher plusieurs dizaines de milliers, si l’on additionne substances natives, produits de dégradation et métabolites.

“Les « polluants éternels »… Cela a tout l’air d’un poncif médiatique, c’est agaçant, cela crée une psychose !”

Pourquoi parle-on de « polluants éternels » quand on évoque les PFAS ?

C’est une expression pour moi totalement inappropriée. Les « polluants éternels », cela ne veut rien dire !

Les PFAS ne sont pas en pratique éternels. Cela a tout l’air d’un poncif médiatique, c’est agaçant, cela crée une psychose, et ce n’est pas la vérité ! Mais ils ont tout de même une persistance traduite par un temps de demi-vie d’élimination assez long. Une demi-vie, c’est le temps nécessaire pour que la moitié de la quantité du PFAS présente à l’origine se dégrade.

Quelle durée pour voir un PFAS disparaître?

On a des temps de demi-vie extrêmement variés selon les milieux, c’est ce qui amène à de la confusion. Un temps de demi-vie environnemental pour un PFAS, ce n’est pas un temps de demi-vie biologique.

Le temps de demi-vie environnemental est souvent plus long, cela peut dépasser une dizaine d’années, et parfois plusieurs décennies selon la nature des sols, acide ou basique par exemple. La molécule y est généralement moins exposée à la lumière et donc bien protégée des dégradations.

Son temps de demi-vie sera dépendant de la nature de ce sol. Ce qui n’est pas le cas de la demi-vie biologique. Nous sommes dans un milieu où ont lieu des réactions biochimiques à l’origine d’un processus de dégradation plus marqué.

Chez l’adulte, le temps de demi-vie pour le PFOA et le PFOS est de l’ordre quatre à cinq ans. Chez un enfant et selon l’âge, il peut être plus court, parce que celui-ci grandit. La concentration d’une substance, dans le sang par exemple, peut être affectée favorablement par la croissance, c’est ce que l’on appelle l’effet de dilution par la croissance.

“Les PFAS ne se comportent pas comme d’autres polluants persistants”
Comment se comportent les PFAS dans notre organisme ?

Je dirais qu’on les retrouve un peu partout. Ils sont uniformément distribués dans notre organisme par notre système sanguin. Ils ne se comportent pas comme d’autres polluants persistants, les PCB et les dioxines, qui sont des substances très lipophiles et qui s’accumulent dans certains compartiments, le tissu adipeux et le foie principalement.

Les PFAS, ce n’est pas la même chimie, ils n’aiment ni l’eau ni le gras. Ils n’iront pas spontanément dans le tissu adipeux mais seront stockés aux interfaces protéiques. On les retrouvera très longtemps dans le sang.

Leurs longues chaînes fluorées sont très affines avec le côté hydrophobe des protéines. Quant à la tête anionique de nos molécules de PFAS, elle est hydrophile et permettra la persistance de celles-ci dans le milieu aqueux formé par le système sanguin.

Comment mesurez-vous notre exposition aux PFAS ?

Les PFAS dans l’eau ou les aliments se révèlent à des quantités extrêmement faibles. Dans l’eau, les valeurs sont en nanogrammes par litre soit un milliardième de gramme par litre d’eau !

Quant à l’alimentation, nous sommes parfois en dessous de ces valeurs de concentration. Nous sommes alors dans un exercice difficile: développer des méthodes analytiques qui puissent déceler des niveaux aussi bas.

Ici au LABERCA, nous cherchons à caractériser deux types d’exposition: celle du consommateur à ces substances par les aliments, mais caractériser également l’imprégnation des individus aux PFAS, c’est-à-dire ce qui est passé dans leur organisme et qui a été bio-accumulé. Par des prélèvements de sang, d’urine, on va déterminer la dose interne chez ces individus.

“Une aiguille dans une botte de foin”
Quels PFAS recherchez-vous dans les aliments et les individus ?

On connaît bien une trentaine de composés, que l’on recherche par des approches dites ciblées. Et pour les centaines d’autres, pas nécessairement connus, c’est la recherche d’une aiguille dans une botte de foin. C’est très difficile de rechercher ce qui n’a jamais été décrit.

Alors comment faire pour les substances que l’on ne connaît pas ?

Pour élargir la connaissance du spectre des perfluorés, on a recours à des approches sans a priori, appelées aussi en anglais des stratégies “suspect screening” ou “non-targeted screening”. C’est un front de science aujourd’hui, plusieurs laboratoires européens y travaillent conjointement. La démarche vise à construire des bases de données hypothétiques de composés chimiques inconnus.

Comment ? On imagine toutes les combinaisons possibles de carbone et de fluor. On dresse ainsi des inventaires des dizaines de milliers de molécules hypothétiques. En face de chacune de ces molécules putatives, on a forcément une formule chimique brute qui donne accès à une masse exacte et des profils isotopiques. On procède ensuite à des enregistrements sur l’échantillon d’aliment.

Grâce à une technique d’analyse appelée spectrométrie de masse haute ou très haute résolution, on obtient les masses moléculaires exactes présentes dans les composés de l’aliment. Et l’on va essayer de « matcher » ce que l’on aura observé dans l’aliment avec ce que l’on aura imaginé dans la base de données.

Si ça matche, le pic enregistré pourra correspondre à telle masse imaginée qui est à relier à tel composé. C’est comme aller à la pêche à la ligne, mais de manière méthodique et organisée. Je suis très confiant sur ces approches non ciblées. Pour le moment, les résultats se limitent à quelques dizaines de composés perfluorés. Dans 10 ans, et peut-être avant je l’espère, nous connaîtrons plus d’un millier de composés.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Senegal, suivez Africa-Press

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