Africa-Press – Senegal. Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°216 daté janvier/ mars 2024.
Au printemps 2020, avec l’irruption du Covid-19, le terme de zoonose, évocateur de chauves-souris et de pangolins, a envahi nos conversations et phagocyté nos imaginaires. Du grec zoon, “animal “, et nosos, “maladie “, il désigne les pathologies dont l’agent infectieux – bactérie, virus, parasite, champignon ou prion -, issu d’une espèce animale, est transmis à l’humain – par contact, voie alimentaire ou vecteur (moustique, tique… ).
De la grippe à la peste ou à la rage, les zoonoses jalonnent l’histoire de nos relations avec les animaux depuis des millénaires. Elles représentent 60 % des maladies infectieuses humaines. “La rougeole, par exemple, nous a été transmise par la vache. Elle est aussi vieille que la domestication”, indique Coralie Martin, professeure de parasitologie au Muséum national d’histoire naturelle. Principales espèces réservoirs de pathogènes: les mammifères (chauves-souris, rongeurs, primates), certains oiseaux, le bétail (porcs, chameaux, vaches) et la volaille.
Le surgissement en Chine en 2019 d’un virus inconnu, baptisé SARS-CoV-2 et dont l’espèce réservoir serait la chauve-souris, a confirmé les pires craintes de la communauté scientifique internationale, qui s’alarmait de l’émergence à un rythme de plus en plus soutenu de nouvelles épidémies zoonotiques. “Le nombre de maladies infectieuses émergentes a été multiplié par quatre depuis les années 1980, et 75 % d’entre elles sont des zoonoses, précise Benjamin Roche, biologiste, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Et avec la mobilité qui caractérise nos sociétés, il était à craindre qu’une zoonose se transforme rapidement en problème mondial.” Il a en effet suffi de quelques cas de pneumonie atypique en Chine pour que la quasi-totalité de la planète soit contrainte de se confiner. Avec un bilan terrible: officiellement 6,95 millions de morts du Covid-19 dans le monde en quatre ans.
Dans les années 1980, le tournant du VIH
Dans les années 1970, la lutte contre les maladies infectieuses semblait pourtant gagnée. “On baignait dans une espèce d’euphorie, rappelle Serge Morand, écologue de la santé au CNRS. Grâce au combat des hygiénistes contre les conditions de vie insalubres puis à la chimie, avec l’invention des antibiotiques, vaccins et pesticides, on pensait en avoir fini avec le fardeau infectieux.” Mais l’émergence dans les années 1980 du VIH – le virus du sida, issu d’une espèce de chimpanzés du Cameroun – a fracassé cet optimisme. La menace s’est confirmée avec la rafale d’épidémies zoonotiques qui a suivi: syndromes respiratoires aigus (Sras), coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Mers), H5N1 (grippe aviaire), Ebola, zika, chikungunya, peste pulmonaire…
La pandémie de Covid-19 nous a fait prendre conscience du lien entre zoonoses et déclin de la biodiversité, entre épidémies et anthropisation des écosystèmes naturels. Dans un rapport publié en octobre 2020, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dressait un constat global: “Les mêmes activités humaines sont à l’origine du changement climatique, de la perte de biodiversité et, de par leur impact sur notre environnement, du risque de pandémies.”
Exemples de ces pratiques néfastes: la déforestation et l’industrialisation de l’élevage, deux facteurs majeurs de perte de biodiversité et de contacts accrus entre faune sauvage, hommes et bétail. “Dans un écosystème en bonne santé, la biodiversité assure des services de régulation, grâce aux interactions entre espèces comme la prédation ou la compétition, mais aussi aux effets de dilution des agents pathogènes, explique Benjamin Roche. Car plus un écosystème est riche, moins un pathogène pourra aisément s’y installer. En revanche, dans un milieu pauvre en biodiversité, le pathogène s’adapte aux quelques espèces présentes et sa prévalence s’élève. Il a donc une probabilité plus grande d’infecter les hommes.” Or la déforestation s’amplifie – cultures, élevage, urbanisation, orpaillage -, ce qui rapproche humains et animaux domestiques de la faune sauvage.
L’industrialisation de l’élevage contribue elle aussi grandement à l’émergence des zoonoses: les animaux domestiques deviennent des hôtes intermédiaires pour les agents pathogènes de la faune sauvage et les transmettent au personnel des élevages. “Le nombre des animaux de rente a augmenté de manière vertigineuse ! alerte Serge Morand. On compte aujourd’hui dans le monde 1,6 milliard de bovins contre moins d’un milliard en 1960. La biomasse totale du bétail est plus élevée que celle des êtres humains ! Du bétail qu’il faut nourrir… ce qui entraîne une transformation de la planète, de plus en plus cultivée.” L’histoire du virus Nipah illustre bien ces liaisons dangereuses.
“Il apparaît en 1998 dans un village malaisien de population musulmane, qui abrite cependant un élevage industriel de porcs destinés aux marchés chinois et singapourien, explique Serge Morand. Un groupe de chauves-souris, que de nouvelles plantations de palmiers à huile ont privées de leur habitat, s’installe près de l’élevage, attiré par le garde-manger que constituent les manguiers autour des enclos. Les déjections des chauves-souris, réservoir naturel d’un virus inconnu, contaminent les porcs, qui à leur tour contaminent les travailleurs de l’élevage. Le premier foyer épidémique connu s’allume, avec 300 cas et plus de 100 décès précédés d’encéphalites foudroyantes. Les exportations de viande et d’animaux vivants vont ensuite permettre la diffusion du virus dans toute l’Asie du Sud-Est.”
Des épidémies de dengue en France métropolitaine
Depuis 2001, l’Inde a subi six flambées épidémiques causées par le virus Nipah, dont la dernière en septembre dernier, et le Bangladesh une chaque année. Le taux de mortalité se situe entre 40 et 75 %, selon l’OMS, car il n’existe ni vaccin ni traitement. Heureusement, Nipah se transmet encore difficilement d’humain à humain. L’émergence du Covid-19 sur le marché de Wuhan, en Chine, a aussi mis en lumière les risques engendrés par l’élevage d’animaux sauvages à différentes fins (fourrure, viande, médecine traditionnelle ou animaux de compagnie), qui se développe notamment en Chine.
Le changement climatique contribue aussi à la “globalisation” des maladies zoonotiques, dont certaines, autrefois cantonnées aux régions tropicales, émergent en Europe. “Originaire d’Asie, le moustique tigre est arrivé en France, dans les Alpes-Maritimes, en 2004, indique Coralie Martin. Désormais, les trois quarts du pays sont touchés.” Or, contrairement à ses inoffensifs congénères métropolitains, cette espèce est un vecteur de la dengue, du chikungunya et du virus zika.
“En piquant un voyageur arrivé malade en France métropolitaine, il s’infecte et peut ainsi transmettre le virus à d’autres personnes. Voilà comment on se retrouve avec des épidémies de dengue en France métropolitaine !” La biologiste se récrie néanmoins contre une vision anthropocentrée: “L’animal n’a rien demandé, plaide-t-elle. Souvent d’ailleurs, même porteur d’un agent pathogène, il n’est pas malade. Le problème, c’est l’humain ! ”
La santé des uns fait la santé des autres
En octobre 2020, en pleine crise du Covid-19, les experts de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES) ont préconisé d’adopter au plus vite l’approche “One Health” (“Une seule santé”). “Ce concept repose sur le constat de l’interdépendance de la santé humaine, animale et environnementale et vise à impliquer des scientifiques de différents domaines dans une réflexion et une action communes, explique Benjamin Roche, biologiste de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). L’approche a été adoptée en 2010 par l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation mondiale de la santé animale (Omsa) et l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). Mais les efforts restaient sporadiques. Avec la crise du Covid-19, elle s’est imposée au niveau international.”
Le Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE) a rejoint la coalition One Health en 2022. “Développer un vaccin contre chaque virus s’avère illusoire, il faut se focaliser sur la prévention, plus efficace et moins coûteuse”, poursuit le biologiste. La première initiative internationale One Health a vu le jour en 2021. Portée par l’IRD, l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Prezode regroupe aujourd’hui 200 instituts et 25 gouvernements. Un premier projet, AfriCam, concerne le Cambodge et quatre pays africains, où doivent être déployés ou renforcés des systèmes de détection précoce d’émergence des zoonoses.
Un autre concerne Haïti, le Mexique, le Costa Rica, la République démocratique du Congo, le Laos et la Thaïlande. Pour chaque projet, les chercheurs réaliseront un état des lieux avec les habitants pour déterminer les facteurs de risque, dont les interactions avec la faune sauvage. Des stratégies de prévention seront élaborées en co-construction. Par exemple, si les communautés chassent pour se nourrir, l’objectif ne sera pas l’interdiction, mais plutôt l’arrêt du dépeçage des carcasses à mains nues.
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