Africa-Press – Senegal. Nous fouillons, c’est votre histoire.” La devise de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) montre à quel point la fouille constitue le fondement de l’archéologie. Mais cela ne signifie pas pour autant que les outils dont celle-ci dispose se cantonnent à la pelleteuse ou au pinceau. Parce que creuser, ou prélever, c’est aussi détruire, elle vise aujourd’hui à agir de la manière la plus ciblée possible, en adoptant des technologies de pointe qui lui permettent même, parfois, de s’abstenir de fouiller !
La trace de structures disparues
Il importe donc de savoir précisément où intervenir. Pour cela, les instruments géoradars et géomagnétiques, qui sondent le sol afin d’y détecter des anomalies, sont d’une grande utilité. C’est particulièrement le cas dans les estrans, où le paysage – y compris souterrain – ne cesse de se transformer au gré des marées. Là, on se fie entièrement au chariot de gradiométrie magnétique pour repérer les vestiges d’anciens habitats submergés, en mesurant le champ magnétique émis par les éléments présents dans les sédiments. C’est de cette manière que l’église de Rungholt, une ville détruite au 14e siècle par un raz de marée, a été localisée en mai 2023 dans la mer des Wadden, en Allemagne du Nord.
Plus étonnant, le sol peut encore porter à sa surface la trace de structures disparues ou invisibles à l’œil nu. Pour les retrouver, on peut recourir à la télédétection par laser aéroporté (Lidar), un laser installé sur un avion ou sur un drone, qui permet de repérer les irrégularités dans le relief en mesurant le délai entre l’émission d’un faisceau de lumière et sa réflexion. Capable également de restituer la surface du sol en 3D, cette technique signale par exemple des bâtis caractéristiques des cités perdues de l’Amazonie, ou bien des cratères de bombes de la Seconde Guerre mondiale tapissant toujours les forêts européennes.
Pouvoir reconstituer la présence de matériaux complètement effacés
L’œil humain étant limité tant dans ses capacités de perception que dans sa vitesse d’exécution, les chercheurs de l’Université de Yamagata (Japon) ont entraîné une intelligence artificielle (IA) afin qu’elle les aide à repérer des géoglyphes à Nazca, au Pérou, à partir de photographies aériennes. Ces motifs tracés au sol étant tous uniques, ils ont dû lui apprendre à en détecter de nouveaux en fonction des similitudes de certaines de leurs parties. Résultat: en 2018, l’IA a réussi à identifier en quelques mois à peine quatre figures encore inconnues, alors que les chercheurs avaient mis une dizaine d’années à en trouver environ cent quarante.
En laboratoire, les chercheurs recourent notamment à la spectrométrie de masse, une technique d’analyse des composés chimiques, pour mesurer la concentration du carbone 14 dans des objets et effectuer ainsi des datations très précises. Ils recherchent les espèces chimiques grâce à la chromatographie, une méthode qui permet de séparer les différents éléments d’un mélange, ou bien tentent d’extraire de l’ADN ancien et des protéines sur les restes organiques pour déterminer la filiation ou le sexe d’un individu. Ils parviennent également à spécifier les zones géographiques où ce dernier a vécu en analysant les isotopes stables des éléments chimiques présents dans l’eau et les aliments, car ceux-ci ne se désintègrent pas et se déposent, au fil du temps, sur l’émail des dents. Il est même possible d’effectuer ces examens sur des restes calcinés !
Les archéologues se targuent aussi de pouvoir reconstituer la présence de matériaux complètement effacés, en recourant par exemple aux méthodes de la médecine légale, telles les inhumations expérimentales, pour comprendre comment les os se déplacent au cours de la décomposition. C’est ainsi que l’on a pu déterminer, dans le cas des momies de la vallée du Sado, au Portugal, l’utilisation de liens contraignant les corps, alors même qu’ils étaient absents.
Le présent impose aussi de nouveaux défis. La fonte des glaciers met au jour des objets qu’il faut rapidement retrouver avant qu’ils ne se dégradent à l’air libre. L’archéologie sous-marine se presse de localiser des épaves immergées, faute de quoi elles sont dévorées par des mollusques xylophages, les tarets. Et avec l’abandon programmé de la Station spatiale internationale (ISS), les archéologues spatiaux invitent déjà les astronautes à documenter leur séjour in situ afin de mieux comprendre leur occupation des lieux.
Du matériau dont on dispose, on cherche à retirer le plus d’informations possible sans le détériorer, comme le fait la chercheuse Sahar Saleem, radiologue à l’Université du Caire, en examinant des individus momifiés au scanner 3D. La multiplication des prises de vue permet en effet de déballer numériquement les enveloppes de la momie, offrant une vue imprenable jusqu’à l’intérieur du corps conservé.
Intégrer les savoirs des populations autochtones
Car toutes les méthodes adoptées reposent sur une prise de conscience essentielle: l’archéologie, qui exhume les défunts et les “désacralise”, qui remue le passé, doit le faire avec le plus grand respect possible.
Le besoin de connaissances peut alors rencontrer d’autres formes de savoirs et les intégrer dans le processus archéologique. Cette tendance est déjà à l’œuvre aussi bien en Amérique du Nord qu’en Australie, où les “aînés” (Elders) des populations autochtones sont consultés et écoutés, que ce soit pour reconstituer les retrouvailles entre le cheval et les Premières nations américaines après l’arrivée des colons européens, ou pour comprendre la signification rituelle des écorces gravées par les Aborigènes.
Plus encore, la participation de chercheurs autochtones peut être vécue comme une forme de “décolonisation” de l’archéologie… Et concourir ainsi à tisser une histoire commune entre tous les humains.
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