Africa-Press – Tchad. À peine 18 h. Cela ne fait que trois heures que je suis à la Maison du jeûne, et j’ai déjà faim ! Pourtant, les participants au stage de jeûne, qui eux sont là depuis six jours, le vivent beaucoup mieux. « C’est incroyable, je n’ai absolument pas faim. Pourtant, on parle énormément de bouffe », s’étonne Élizabeth, 56 ans, qui se décrit comme très gourmande. Comme les autres jeûneurs présents, cette professeure des écoles dans l’Hérault se dit très satisfaite du stage et voudrait renouveler l’expérience.
Vu le cadre qui nous entoure – et excepté la partie plus astreignante: rien manger pendant sept jours -, il n’est pas difficile de la comprendre. Piscine, jacuzzi, yoga, massages… le centre de jeûne localisé près d’Aix-en-Provence offre un environnement idyllique. « Le cadre rend le jeûne plus agréable, comme des vacances « , résume Jean-Pascal David, qui propose ce stage de sept jours (facturé entre 700 et 1300 euros, tout compris).
Sa Maison du jeûne est l’un des 130 centres labélisés par la Fédération francophone de jeûne et randonnée, créée en 2003. Ils proposent des diètes inspirées de celles pratiquées en Allemagne dans les cliniques de jeûne Buchinger Wilhelmi, avec des activités physiques douces, telles que la randonnée et l’aquagym, et des apports nutritionnels journaliers en vitamines et minéraux. Durant la semaine, les participants ont tout de même droit à un jus de légumes le matin et un bouillon de légumes le soir, avec eau et tisanes à volonté. Et le dernier jour, ils rompent le jeûne avec un plat de légumes cuits.
« Mais on ne jeûne pas comme ça du jour au lendemain, précise Jean-Pascal David, aussi formateur au sein de cette fédération. Il y a une préparation à suivre la semaine précédant le stage: les participants arrêtent de manger des produits raffinés et de la viande, pour finir avec seulement des fruits et des légumes. L’idée est de ne pas brutaliser le corps à l’entrée dans le jeûne. » La formation des encadrants comporte d’ailleurs un volet santé, avec la participation de l’Académie médicale du jeûne, fondée en 2019, qui regroupe plus de 70 professionnels de santé.
Attention aux dérives, fréquentes
Car le jeûne n’est pas quelque chose de banal, et les dérives sont fréquentes. Au point d’être inclus dans le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, Miviludes. « Il y a quelques ‘gourous’, comme Thierry Casasnovas [placé sous contrôle judiciaire en 2023 pour exercice illégal de la médecine et abus de faiblesse], qui se prennent pour des dieux et sont persuadés que le jeûne peut tout guérir, se désole Jean-Pascal David. Et à un moment donné, il arrive un accident. Cette croyance que le corps peut se soigner entièrement est un problème qui a augmenté avec le Covid. »
Croyance qui peut être fatale, comme ça a été le cas en Vendée, où un homme est décédé en 2020 et une femme en 2022. Tous deux étaient atteints d’un cancer et ne suivaient plus leur traitement, remplacé par le jeûne sous les conseils d’Éric Gandon, interdit d’organiser des stages de jeûne depuis. « C’est pourquoi la fédération propose des stages seulement pour les personnes en bonne santé [mais aucun certificat médical n’est demandé]. Le but est préventif, pas thérapeutique, précise Jean-Pascal David. Des stages médicalisés, encadrés par un médecin, peuvent en revanche prendre en charge des personnes avec certaines maladies: diabète, hypertension, maladies inflammatoires, mais pas le cancer. » L’objectif est donc la prévention.
Mais mis à part le bienfait de ce repos de sept jours dans un cadre agréable, s’affamer a-t-il un quelconque effet protecteur pour la santé? « Le manque de nourriture a été un moteur essentiel de notre évolution, les personnes qui fonctionnaient le mieux en état de privation alimentaire avaient un avantage de survie, expose Mark Mattson, professeur de neurosciences à l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis. Maintenant que nous mangeons trois repas par jour et ne faisons plus beaucoup d’exercice, ces systèmes d’optimisation corporelle ne sont plus activés. Le stress énergétique causé par le jeûne peut y remédier, à condition qu’il soit suivi d’une période de récupération (manger et se reposer). »
Des cellules qui se nettoient et rajeunissent
Des études récentes montrent en effet que le jeûne provoque bien un chamboulement métabolique, avec des effets positifs. Ce « switch » métabolique survient quand l’organisme remplace le glucose – vite épuisé en l’absence d’apports alimentaires – par des corps cétoniques. Ces petites molécules de substitution sont produites par le foie à partir des acides gras libérés par le tissu adipeux. Ce basculement arrive après 12 à 14 heures de jeûne, soulageant certains organes qui ont besoin de beaucoup de glucose, comme le cerveau. « Un corps cétonique particulièrement intéressant est le bêta-hydroxybutyrate, qui agit aussi comme une hormone et active l’expression de plusieurs gènes, dont des facteurs de croissance neuronaux qui sont importants pour l’apprentissage et la mémoire « , détaille Mark Mattson.
Quand l’organisme remplace le glucose par des corps cétoniques
Lors du jeûne, le niveau de glucose baisse rapidement et le corps utilise des réserves en acides gras pour produire de l’énergie. Mais certains organes nécessitent des glucides. D’abord, le corps utilise des réserves en glycogène, mais celles-ci s’épuisent au bout de 12 heures sans manger. C’est là que les corps cétoniques entrent en jeu. « La quantité d’acides gras libérés par le tissu adipeux est tellement grande que le foie est dépassé. Il déclenche donc une voie alternative pour gérer ce surplus, la cétogenèse, explique Sander Kersten, chercheur en nutrition à l’université Cornell, aux États-Unis. Ces acides gras agissent aussi comme activateurs des mécanismes nécessaires à la cétogenèse. »
Ils interagissent notamment avec un récepteur dans le noyau cellulaire des hépatocytes, PPAR-alpha, qui ensuite déclenche l’expression de centaines de gènes. Une autre protéine importante activée lors de ce processus est la kinase AMPK, alors que l’enzyme mTOR est bloquée. Ensemble, cela stimule l’autophagie, par laquelle les cellules recyclent des protéines endommagées, entre autres. En parallèle, les adipocytes relâchent l’hormone adiponectine, qui a un effet contre l’inflammation en bloquant la production de la cytokine pro-inflammatoire TNF et en stimulant la production de la cytokine anti-inflammatoire interleukine 10.
Une autre conséquence bénéfique du jeûne est l’autophagie, processus par lequel les cellules recyclent des protéines et autres molécules, pour s’adapter au contexte de privation alimentaire. « Imaginez que l’épicerie du coin est fermée: il faut donc faire avec ce qu’on a, et manger tout ce qui avait été oublié au fond des placards, illustre Oleh Lushchak, chercheur en biochimie à l’université nationale subcarpatique Vassyl-Stefanyk, en Ukraine. Ça permet de nettoyer la cellule et de la rajeunir, mais il faut attendre environ 16 heures sans manger pour l’activer. »
Quelques essais cliniques confirment ces effets protecteurs. Dans un article publié en 2022 dans le Journal of Clinical Medicine , des chercheurs de l’université de Duisbourg et Essen, en Allemagne, ont mis en évidence des changements physiologiques bénéfiques d’un jeûne de cinq jours chez une cohorte de 145 adultes avec un syndrome métabolique. En plus d’une perte de poids, les participants bénéficiaient d’une baisse de la pression artérielle et d’une amélioration de la sensibilité à l’insuline.
Cependant, les jeûnes de plusieurs jours pourraient aussi avoir quelques effets négatifs, comme cela a été montré par des chercheurs de l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin, en Allemagne. Dans Nature Metabolism, en 2024, ils ont mis en évidence chez des jeunes en bonne santé qu’un jeûne total (en buvant seulement de l’eau) durant sept jours changeait l’expression d’un millier de protéines.
Certains de ces changements étaient bénéfiques, mais d’autres étaient plus problématiques: les hormones nécessaires à la reproduction n’étaient plus sécrétées, et les participants présentaient un risque accru de caillots sanguins. « Ces jeûnes de plusieurs jours diminuent rapidement le niveau de glucose et d’insuline, activent l’autophagie et entraînent un switch métabolique bénéfique. Mais ils peuvent aussi causer de l’hypoglycémie et de la fatigue « , abonde Lixia He, chercheuse en nutrition à l’université Harvard, aux États-Unis. C’est pourquoi le jeûne est difficile s’il n’est pas bien encadré.
Il peut également causer des symptômes désagréables tels que des maux de tête, des nausées et des tachycardies. Et même si le corps a suffisamment de gras pour tenir des semaines sans manger, le cerveau est programmé pour éviter la faim et devient rapidement obsédé par l’idée de manger. À l’image des participants du stage de jeûne, qui pensaient beaucoup à ce qu’ils aimeraient se mettre sous la dent. « Je n’ai pas faim, mais j’ai envie de manger, nous confiait ainsi Tina, 41 ans, vendeuse en Belgique. Des frites, ça m’irait bien ! »
« Nous recommandons le jeûne intermittent, qui est plus flexible et plus facile à suivre « , conseille Lixia He. Ce jeûne à la carte existe en trois versions: le 5/2, où l’on mange normalement pendant cinq jours, puis très peu (environ un quart des calories) pendant deux jours ; le jeûne alterné, qui consiste à ne manger qu’un jour sur deux ; et le jeûne à plage horaire limitée, où l’on mange seulement pendant quelques heures de la journée (par exemple de midi à 20 heures). « C’est la meilleure option pour ceux qui débutent « , estime la chercheuse. « Pour commencer, le plus simple est de faire 12 heures de jeûne, donc manger par exemple de 8 h à 20 h, puis on peut augmenter progressivement cette fenêtre jusqu’à 16 ou 18 heures de jeûne « , précise Oleh Lushchak.
Une diminution de la résistance à l’insuline
De par sa praticité, cette dernière version est aussi la plus étudiée, montrant un grand nombre d’effets protecteurs. « Le jeûne intermittent diminue le risque de maladie cardio-vasculaire, en baissant la pression artérielle, le niveau de cholestérol LDL et de triglycérides, ainsi que le risque de diabète, en réduisant le niveau de glucose et d’insuline et en diminuant la résistance à l’insuline, résume Krista Varady, professeure en nutrition à l’université de l’Illinois à Chicago, aux États-Unis. Il permet aussi de perdre du poids, car l’apport calorique durant la journée diminue, mais cette perte est faible, autour de 3 % du poids corporel sur une année, contre 7 % pour le jeûne alterné. »
La restriction calorique pourrait même augmenter l’efficacité des traitements contre le cancer: « Les cellules cancéreuses sont affaiblies par le manque de glucose, et donc succombent plus rapidement lorsqu’elles sont attaquées par la chimiothérapie ou la radiothérapie « , explique Mark Mattson, auteur de The Intermittent Fasting Revolution (« La Révolution du jeûne intermittent », inédit en France). Ces traitements restent nécessaires, le jeûne ne ferait que les rendre plus efficaces. » La question ne fait toutefois pas consensus, et le jeûne n’est pas conseillé à des personnes atteintes d’un cancer.
Par ailleurs, le jeûne peut comporter des risques et doit donc être évité chez les personnes très âgées (avec un risque accru de malnutrition), les femmes enceintes ou allaitantes et les mineurs. « C’est particulièrement dangereux chez les enfants qui n’ont pas atteint la puberté « , alerte Stephan Herzig, directeur de l’Institut du diabète et du cancer au Helmholtz Zentrum, à Munich (Allemagne). Dans une étude publiée en février dans Cell Reports, il a montré chez la souris que le jeûne perturbe le développement du pancréas, augmentant le risque de diabète plus tard dans la vie. « En revanche, on peut le conseiller à tout adulte en bonne santé « , assure-t-il. « Le jeûne est bénéfique, mais il faut éviter de se rendre misérable à cause de la faim, juste pour vivre quelques années de plus, rappelle Oleh Lushchak. Je préfère vivre plus heureux que plus longtemps. À chacun de trouver le bon équilibre. »
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