Mathieu Olivier
Africa-Press – Tchad. En quelques années à peine, le vice-ministre russe de la Défense est devenu l’un des hommes clés de la stratégie de Moscou sur le continent. Il y rencontre chefs d’État et ministres, s’imposant comme le patron de Wagner et d’Africa Corps mais aussi comme le principal représentant de la diplomatie militaire du Kremlin.
Les dignitaires de Centrafrique, du Mali, du Burkina Faso, du Niger ou encore de la Libye ont, au fil des mois, appris à reconnaître sa silhouette trapue, son uniforme et sa moustache. Depuis 2023, Iounous-bek Evkourov est un habitué des capitales africaines, en tout cas de celles des principaux alliés de la Russie sur le continent africain.
Haut gradé de l’armée russe, mais aussi promoteur d’Africa Corps et repreneur du groupe Wagner depuis la rébellion puis la mort d’Evgueni Prigojine, Iounous-bek Evkourov arbore une double casquette inédite qui fait de lui le bras armé de Vladimir Poutine, à la croisée des diplomaties officielles et secrètes.
1. Né en Ossétie du Nord
Iounous-bek Evkourov est né dans une famille de 12 enfants à Tarskoye, en Ossétie du Nord, en 1963. Il fréquente une école de Beslan, troisième plus grande ville de la république derrière Vladikavkaz et Mozdok. Cet établissement sera mondialement connu pour avoir été le théâtre d’une prise d’otages en septembre 2004 par des séparatistes tchétchènes.
Près d’un millier d’écoliers sont pris en otage. L’assaut déclenché par les forces spéciales russes, dans des circonstances contestées, tourne au drame. Selon le bilan officiel, 334 civils sont tués, dont 186 enfants. Vladimir Poutine durcira ensuite sa position contre les séparatistes du Caucase, les assimilant au terrorisme islamiste, et ordonnera des actions de représailles en Tchétchénie.
2. Diplômé de l’académie de Riazan
Le jeune Evkourov est enrôlé dans l’infanterie navale soviétique en 1982, puis choisit une carrière militaire. En 1989, il sort diplômé de l’École supérieure de commandement des troupes aéroportées de la Garde de Riazan, un institut d’enseignement du ministère russe de la Défense, situé à Riazan, à environ 200 km au sud-est de Moscou.
Fondée en 1918, c’est l’une des plus anciennes institutions militaires de Russie. Très reconnue, l’académie de Riazan a une vocation internationale, développée en particulier durant la période soviétique. Elle a notamment accueilli des militaires de carrière africains, comme Amadou Toumani Touré, président du Mali, en 1974 et 1975.
3. Reçoit le titre de Héros de la Russie
Spécialiste du commandement aéroporté, Iounous-bek Evkourov est déployé sur plusieurs théâtres d’opérations à l’étranger. Il combat ainsi en Afghanistan, mais aussi en Tchétchénie et au Kosovo. Il est présent dans ce dernier pays en tant que major et mène, sur ordre du président Boris Eltsine, l’assaut sur l’aéroport de Pristina, le 12 juin 1999.
La Russie, dont les soldats font partie de la force de l’Otan présente sur place, entreprend cette action secrètement pour prendre de vitesse un autre contingent de l’organisation atlantique, composé de Britanniques. L’épisode vaut à Evkourov le titre de Héros de la Russie.
4. Travaille pour les renseignements militaires (GRU)
De retour du Kosovo puis de Tchétchénie (il y combat lors de la seconde guerre avec la Russie, en 2000), Iounous-bek Evkourov poursuit sa carrière et monte en grade. Il sort diplômé de l’Académie militaire de l’état-major général des forces armées de la Fédération de Russie en 2004, qui forme les haut gradés russes.
Surtout, il commence à travailler avec la Direction générale des renseignements (GRU, renseignements militaires). En 2004, il est nommé commandant militaire adjoint à l’état-major de la région militaire Volga-Oural, chargé du renseignement. Un poste qu’il occupera quatre ans et qui lui ouvrira les portes de l’administration.
5. Nommé président d’Ingouchie en 2008
Le 30 octobre 2008, Iounous-bek Evkourov est nommé par Moscou président d’Ingouchie. Située dans le sud-ouest de la Russie, dans le Caucase, la république est alors au cœur de tensions séparatistes. Une situation qu’Evkourov reçoit pour ordre de régler. Il remplace le très impopulaire Murat Zyazikov, considéré comme un symbole de la corruption des élites.
Evkourov organise en premier lieu une riposte armée rigoureuse contre la rébellion séparatiste, dans la droite ligne de la politique sécuritaire de Vladimir Poutine dans le Caucase. Mais ce Musulman essaie aussi de cultiver une proximité avec les populations, tenant un blog, circulant dans la rue avec une sécurité restreinte et affichant une volonté de lutter contre la corruption.
6. La cible d’une tentative d’assassinat en 2009
Le 22 juin 2009, le président Evkourov est la cible d’une tentative d’assassinat dans laquelle plusieurs de ses proches sont tués. Une voiture piégée a percuté son cortège dans la ville de Nazran, principale localité d’Ingouchie. Lui-même est grièvement blessé, au foie, à la tête et aux côtes, et transféré dans un hôpital de Moscou.
Bien qu’aucun groupe n’ait revendiqué l’attaque, Moscou accuse aussitôt des militants islamistes. La rébellion avait déjà assassiné plusieurs haut responsables d’Ingouchie peu avant, notamment Bachir Aouchev, ancien vice-Premier ministre, et Aza Aza Gazguireïeva, vice-présidente de la Cour suprême.
7. Devient l’intermédiaire entre Wagner, le ministère de la Défense et le GRU
Evkourov démissionne de son poste de président le 24 juin 2019. Il est nommé vice-ministre de la Défense par décret du président Vladimir Poutine le 8 juillet suivant, en étant promu lieutenant général. Le 8 décembre 2021, il devient colonel général, grade qui est le sien lorsque lance l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022.
En Ukraine, il a été chargé de négocier avec Evgueni Prigojine, le financier du groupe Wagner, l’arrêt de la rébellion engagée en juin 2023 par les hommes de ce dernier contre l’armée russe. Négociations qui aboutiront. Dès lors, il semble s’imposer comme l’intermédiaire entre les mercenaires, le ministère de la Défense et le GRU.
8. Sanctionné par les États-Unis et l’UE
Comme nombre de haut gradés russes depuis février 2022, Iounous-bek Evkourov a été placé sur la liste de sanctions des États-Unis, de l’Union européenne et de nombreux autres pays occidentaux pour son implication aux côtés de l’ex-ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, dans la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
« Il exalte le soutien interne à la guerre. De plus, ses actions montrent qu’il soutient activement la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine. Il est donc responsable d’actions et de politiques qui compromettent et menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine », décrit le mécanisme de sanctions français.
9. Repreneur de Wagner
En collaboration avec le GRU, et notamment avec Vladimir Alekseyev et Andreï Averyanov, il pilote dès mi-2023, alors qu’Evgueni Prigojine est encore en vie mais en disgrâce, la reprise en main de Wagner, notamment en Afrique. Il entame des tournées remarquées dans des pays africains. Ce mouvement s’intensifie après la disparition de Prigojine en août 2023.
Iounous-bek Evkourov est l’un des hommes travaillant au déploiement d’Africa Corps, la structure qui a pour objectif d’absorber les branches du groupe Wagner. Militaire rompu au renseignement, ancien président bénéficiant d’une expérience politique, il est l’interlocuteur des chefs d’État centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, burkinabè, Ibrahim Traoré, et malien, Assimi Goïta.
10. Nommé général fin 2024
Tête de pont de la diplomatie militaire russe, il a été nommé général d’armée fin 2024 et est aujourd’hui l’un des visages les plus connus du dispositif de Vladimir Poutine pour le continent. À l’aise avec des interlocuteurs putschistes, Evkourov semble avoir pris le pas sur le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et fait figure de ministre officieux de l’Afrique.
Outre Bangui ou Bamako, il s’est rendu récemment, selon l’agence de presse African Initiative, liée à Africa Corps, en Guinée équatoriale, au Nigeria, et au Togo. Il y a rencontré, de même source, le président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, et les chefs d’état-major nigérian, Christopher Musa, et togolais, Allahare Dimini.
Source: JeuneAfrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Tchad, suivez Africa-Press