Emirats arabes unis / Tchad : Que se cache derrière les manœuvres militaires conjointes près de la frontière soudanaise ?

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Emirats arabes unis / Tchad : Que se cache derrière les manœuvres militaires conjointes près de la frontière soudanaise ?
Emirats arabes unis / Tchad : Que se cache derrière les manœuvres militaires conjointes près de la frontière soudanaise ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. Les relations entre les Émirats arabes unis et le Tchad semblent bien se poursuivre dans de nombreux domaines et reflèteraient l’engagement du pays du Golfe à renforcer la coopération avec les pays d’Afrique centrale et de l’Est.

Néanmoins, l’attachement particulier des Émirats arabes unis à l’État du Tchad (et discrètement aux Forces de soutien rapide au Soudan) est devenu clairement visible sans être désormais un secret pour personne.

Nous avons constaté déjà, le dimanche 6 août 2023, que l’ambassadeur des Émirats arabes unis à N’Djamena, Rachid Saïd Al Chamsi, avait remis une cargaison de matériel de guerre au ministre tchadien des Armées, et de source officielle, à ce propos, nous rappelons la signature de plusieurs accords bilatéraux, dont un accord de coopération militaire en juin dernier, lors de la visite officielle rendue par Mahamat Idriss Deby, président du Conseil militaire de transition du Tchad, à Abou Dhabi.

La cérémonie s’était déroulée en présence du chef de l’Etat-major général de l’armée tchadienne, du chef des forces stratégiques de réserve de l’armée et de hauts responsables militaires tchadiens. Le ministre tchadien de la Défense avait exprimé en cette occasion la reconnaissance de son pays pour le soutien émirati continu, qui contribuera à restaurer la paix et la stabilité dans la région, soulignant que la coopération militaire joue un rôle clé dans le renforcement de la sécurité et des efforts visant à surmonter les défis.

Il ne faut pas nier que les Émirats arabes unis cherchent depuis des années à consolider leur présence économique et politique en Afrique, où ils tentent de jouer le rôle de médiateur dans de nombreux conflits.

Des manœuvres militaires entre le Tchad et l’EAU soulèvent des questions

Le 4 octobre 2023, le ministère de la Défense des Émirats arabes unis a annoncé le lancement de manœuvres militaires conjointes entre ses forces terrestres et le Tchad, dans cette zone africaine, limitrophe du Soudan

En effet, dans ce contexte, les Émirats arabes unis auraient annoncé officiellement le lancement de ces manœuvres conjointes appelées « السيف القاطع / décisive sword / l’épée tranchante » entre des unités relevant des deux armées, qui se déroulent sur le territoire tchadien, dans le but de développer la coordination entre les deux pays et d’élever la préparation au combat pour atteindre plus de professionnalisme.

Le moment choisi pour le lancement de ces manœuvres a eu des implications, car un certain nombre de questions ont été soulevées, surtout après l’annonce de l’opération, dont la plupart provenaient d’organismes mondiaux et régionaux, confirmant de facto « le soutien militaire apporté par les Émirats arabes unis aux Forces de soutien rapide » au Soudan qui, à son tour, approvisionne les Émirats arabes unis en or qui leur est acheminé par le réseau de la contrebande, par l’intermédiaire de cette milice, et à travers diverses voies et moyens.

Réagissant à cette situation, les Émirats ont rejeté de prime abord les accusations portées contre eux concernant leur soutien aux forces d’Hemedti, et à ce propos la Directrice du département des communications stratégiques du ministère des Affaires étrangères, Afraa Al-Hamli, aurait même confirmé que son gouvernement rejetait catégoriquement et résolument ces allégations.

Par ailleurs, dans des déclarations publiées par l’agence de presse des Émirats (WAM), vers la mi-août 2023, attribuées à Al Hamli, la directrice aurait souligné que « les Émirats arabes unis ne prennent pas parti dans le conflit actuel au Soudan et qu’ils cherchent à mettre fin au conflit et à respecter la souveraineté du Soudan ».

Elle a indiqué que la position de son pays depuis le début du conflit soudanais n’a pas changé et son appel se poursuit, à travers des réunions bilatérales et multilatérales, en coopération avec ses partenaires de la communauté internationale, à mettre fin à l’escalade et aux tirs et à entamer un dialogue diplomatique.

Il importe de rappeler d’ailleurs, comme preuve aidante, que les régions désertiques du Tchad connaissent une activité intense en termes de formation militaire et de coopération sécuritaire avec les Émirats arabes unis, sachant que la frontière tchado-soudanaise s’étend sur 1.403 km et atteint le sud de la Libye et le nord la République centrafricaine.

Quand les médias accusent les Émirats arabes unis d’envoyer des armes aux FSR au Soudan
• The Wall Street Journal

Le journal américain « Wall Street Journal » a révélé dans un rapport que les Émirats arabes unis fournissent un soutien militaire important aux Forces de soutien rapide (FSR), qui combattent l’armée soudanaise, et que les Américains s’inquiètent de ce soutien.

WSJ indique aussi qu’un avion cargo émirati avait déjà atterri dans un aéroport ougandais au début du mois de juin dernier, et qu’il a été confirmé qu’il transportait des armes et des munitions, alors que des documents officiels attestaient que l’avion transportait de l’aide humanitaire émiratie aux réfugiés soudanais.

Le journal américain a cité également des responsables ougandais affirmant que l’avion émirati avait ensuite été autorisé à poursuivre son voyage vers l’aéroport d’Amdjarass, dans l’Est du Tchad, confirmant avoir alors reçu l’ordre de leurs supérieurs de cesser d’inspecter les vols en provenance des Émirats arabes unis, tout en les avertissant de ne pas prendre de photos de ces avions ni de leurs chargements.

• Emirates Leaks

Par ailleurs, selon la chaîne « Emirates Leaks », les Émirats arabes unis ont consacré le Tchad à intensifier « leurs complots au Soudan » en l’exploitant pour diriger un soutien militaire aux Forces de soutien rapide, dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti.

La même source aurait appris de sources diplomatiques que les Émirats ont soutenu l’armée tchadienne avec des dizaines de véhicules blindés militaires pour renforcer les relations avec ses hauts généraux dans le but de faciliter le soutien aux milices de Dagalo.

En outre, toujours selon la même source, les Émirats arabes unis ont ouvert au début du mois d’août dernier, dans la région d’Amdjarass en République du Tchad, le deuxième bureau de coordination de l’aide étrangère des Émirats pour les missions du pays à l’étranger.

• Inquiétude américaine

Toutefois, un porte-parole du Département d’État américain a déclaré : « Nous sommes trop préoccupés par les informations faisant état d’un quelconque soutien extérieur à l’une ou l’autre des parties en conflit au Soudan », ajoutant que Washington continue de coordonner avec les Émirats arabes unis et un certain nombre d’autres partenaires, pour faire pression afin de mettre fin aux hostilités dans ce pays et garantir que l’aide humanitaire parvienne aux personnes touchées.

Le journal a confirmé entre-autres que des sources américaines bien informées avaient révélé que Washington était au courant des « livraisons d’armes des Émirats arabes unis aux Forces de soutien rapide » et avait précédemment informé Abou Dhabi de ses préoccupations.

L’atterrissage de l’avion d’Emirates au Tchad, selon le Wall Street Journal, a soulevé des questions quant à la loyauté du gouvernement tchadien, surtout que Washington et Paris considéraient le président Mahamat Deby comme un allié contre l’expansion russe dans la région.

Position des Émirats arabes unis

Des sources émiraties ont expliqué que le but de l’ouverture du bureau dans la région d’Amdjarass n’avait qu’un objectif humanitaire.

Elles ont ajouté que le gouvernement des Émirats arabes unis a confirmé, en réponse à des questions soulevées, qu’il soutenait une solution pacifique au conflit au Soudan et cherchait à fournir toutes les formes de soutien pour alléger les souffrances humaines que connaît le pays, notamment en fournissant des soins médicaux et alimentaires sous forme d’aide humanitaire et la construction d’un hôpital de campagne dans ce pays voisin du Tchad.

D’une part, les Émirats arabes unis ont nié s’être rangés du côté de l’une ou l’autre des parties dans la guerre au Soudan, ni avoir fourni des armes et des munitions à l’une des parties à la guerre dans ce pays.

D’autre-part, le démenti des Émirats est intervenu après que des informations aient parues dans la presse selon lesquelles Abou Dhabi aurait fourni un soutien militaire important aux Forces de soutien rapide.

Et de son côté, la presse américaine a cité un porte-parole des Forces de soutien rapide qui a déclaré lui aussi : « Nos forces n’obtenaient ni armes ni fournitures militaires des Émirats arabes unis », tout en niant que les militants de l’organisation aient commis des violations des droits humains.

Le cas de l’EAU entre « dénis – doutes – et accusations »

Dans la mêlée des informations relayées par ci et par là, on note que des observateurs de l’ONU avaient précédemment accusé les Émirats arabes unis d’avoir envoyé des armes aux forces du général de division libyen à la retraite Khalifa Haftar, notamment des drones, des bombes à guidage laser et des véhicules blindés, soulignant que le dénominateur commun entre « Haftar et Hemedti » est qu’ils ont travaillé avec les unités paramilitaires privées russes du groupe Wagner, ce qui leur a permis d’accéder aux champs de pétrole de Libye d’un côté, ainsi qu’aux mines d’or du Soudan de l’autre.

Toujours dans la même optique, des responsables américains ont affirmé que le transfert des livraisons d’armes des Émirats arabes unis aux forces de soutien rapide n’a fait qu’augmenter l’intensité des frictions entre les Émirats arabes unis et les États-Unis, qui tentent de négocier la fin de la guerre.

Les Émirats fournissaient des armes et des drones aux unités d’Hemedti, soignaient les combattants blessés et transportaient même par voie aérienne les cas les plus graves vers l’un de leurs hôpitaux militaires, sachant que des avions cargo émiratis atterrissent presque quotidiennement, depuis juin dernier, dans un aéroport de l’autre côté de la frontière soudanaise, au Tchad.

Les preuves détenues par la partie américaine indiquent elles aussi que l’EAU soutient les Forces de soutien rapide, soulignant que les Émiratis « insistent sur le fait que leur opération à la frontière avec le Soudan est une opération purement humanitaire ».

D’après les américains, « les Émirats arabes unis parient sur le soutien des forces d’Hemedti pour protéger leurs intérêts au Soudan, bénéficier de leur emplacement stratégique sur la mer Rouge et le Nil, et accéder aux vastes réserves d’or du Soudan, tout en attirant l’attention sur le fait que parmi les intérêts les plus importants des Émirats arabes unis au Soudan », et là il faut citer de vastes zones de terres agricoles et une part dans un projet de port sur la mer Rouge pour un coût de 6 milliards de dollars.

Révélations du site « Al-Khaleej Online »

En inter, l’écrivain et analyste politique Khalifa Mansour confirme que les Émirats arabes unis fournissent clairement un grand soutien aux Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti) à travers le Tchad, car ils ont construit une base militaire dans la ville tchadienne d’Amdjarass pour fournir ce soutien.

Il aurait même affirmé que : « Tout mouvement militaire des Émirats arabes unis au Tchad en ce moment est considéré comme suspect, qu’il s’agisse de formation ou de soutien humanitaire, car il intervient dans l’ombre d’une guerre que traverse le Soudan. »

Selon lui « les Émirats utilisent l’aide humanitaire et la formation militaire de leurs forces avec leur homologue tchadien pour camoufler leur soutien aux Forces de soutien rapide combattant les forces armées soudanaises ».

Mansour souligne que la récente manœuvre militaire lancée entre les Émirats arabes unis et le Tchad est étroitement liée à ce qui se passe au Soudan, et qu’il pourrait y avoir un soutien militaire suspect des Émirats arabes unis aux forces de soutien rapide et à leur formation.

Dans l’attente de preuves irrévocables pouvant « accuser » formellement les Emirats arabes unis de soutenir les Forces de soutien rapide au Soudan, on peut déjà avancer que :

• Mahamat Idriss Deby pourrait être soumis à de nombreux types de pressions de la part des Émirats arabes unis qui semblent l’encourager à adopter une position de neutralité positive à l’égard du général Hemedti, sachant qu’Abu Dhabi s’est efforcée de renforcer ses liens avec N’Djamena et les signes de son influence au Tchad se multiplient.

• Ceci fait craindre aux différents observateurs, qui s’expriment en privé, mais aussi publiquement, que les Émirats arabes unis utilisent le Tchad comme base arrière pour soutenir matériellement les Forces de Soutien Rapide.

Bien qu’elles ne soient pas vérifiées, ces rumeurs pourraient mettre en doute la neutralité de Deby et attiser le mécontentement au sein du clan zaghawa au Tchad. Ce mécontentement, à son tour, risquerait de donner lieu à une lutte de pouvoir au sein de l’élite dirigeante, ce qui pourrait profondément déstabiliser le pays.

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