Gratuité de l’électricité et de l’eau au Tchad : une vraie mesure sociale ?

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Gratuité de l’électricité et de l’eau au Tchad : une vraie mesure sociale ?
Gratuité de l’électricité et de l’eau au Tchad : une vraie mesure sociale ?

Bilal Mousjid

Africa-Press – Tchad. À un mois et demi des élections, Mahamat Idriss Déby Itno a décidé de rendre gratuit l’accès à l’eau et à l’électricité au profit des familles défavorisées. Mais la mesure suscite peu d’enthousiasme, tant ses effets restent minimes.
LE DÉCRYPTAGE DE JA – Alors que la grogne ne cesse de monter contre les fréquents délestages électriques et que les syndicats enchaînent les appels à la grève, le gouvernement tchadien s’est engagé à prendre en charge une partie des factures d’eau et d’électricité – dans la limite d’une consommation de 300 kWh – jusqu’au 31 décembre. Une mesure qui intrigue quant à sa faisabilité.

Dans une circulaire datée du 11 mars, soit le premier jour du ramadan, le ministre des Finances, Tahir Hamid Nguilin, indique également que l’État « se substituera » à tous les Tchadiens pour régler « les ardoises et autres arriérés historiques des ménages » dus à la Société nationale d’électricité (SNE) et à la Société tchadienne des eaux (STE), « facture par facture, au mois le mois d’impayé, dans la limite de 300 kWh d’électricité et 15 mètres cubes d’eau par ménage et par mois ».

« Cette mesure sera étendue aux abonnés en prépaiement auprès des producteurs indépendants d’électricité prestant dans les villes des provinces », indique le texte consulté par Jeune Afrique. « Pour le mois de ramadan, la prise en charge concerne pratiquement tous les Tchadiens », nous confie Abderaman Koulamallah, ministre tchadien de la Communication et porte-parole du gouvernement, qui se réjouit d’une « première dans l’histoire du Tchad ». « Je pense que c’est aussi une première dans l’histoire de l’Afrique », estime-t-il.

1 – Que coûtera cette mesure à l’État du Tchad ?

La prise en charge des factures d’électricité et d’eau surprend d’autant plus qu’elle n’a pas été prévue au budget par le gouvernement. « Nous sommes un peu dans le flou. Le principe de la gratuité jusqu’à la fin de l’année semble une bonne idée, parce qu’elle vient répondre à la grogne, mais comme les dispositifs de sa mise en œuvre n’ont pas été suffisamment clarifiés, il est difficile d’évaluer son coût », explique à JA Keynodji Ngoniri, fondateur de « Eco-Talk avec Ngoniri », une émission de vulgarisation économique sur YouTube, et assistant auprès du conseiller à l’Économie, aux Finances et au Commerce au niveau de la présidence.

En réalité, cette mesure ne coûtera rien à l’État. Du moins si l’on tient compte du montant des taxes générées par la récente augmentation des prix des carburants. Dans le but de « contrer la contrebande » et de s’aligner sur les prix de ses voisins, le Tchad a décidé, en effet, de fixer, à compter du 14 février, le prix de l’essence à 730 F CFA (environ 1,11 euros) au lieu de 518 F CFA – soit une hausse de 41 % – et celui du gasoil à 828 F CFA contre 700 F CFA auparavant.

« Les prix étant extrêmement faibles au Tchad, les carburants étaient exportés chez les pays voisins. Ce qui a créé une pénurie artificielle, qui a eu un coût important sur l’économie nationale. L’énergie, c’est la source du développement. Même sur le plan militaire, il n’y avait pas assez de carburant pour assurer le stock de sécurité. Dès que nous avons augmenté les prix, la spéculation a cessé », commente le porte-parole du gouvernement.

Bien qu’il affirme ne pas connaître avec précision les recettes générées par cette hausse au profit de l’État – « centaines de millions de F CFA », se contente-t-il de dire –, Abderaman Koulamallah précise que la plus-value est destinée « à la solidarité nationale », et en l’occurrence à la prise en charge des factures d’eau et d’électricité.

2 – La population en bénéficiera-t-elle vraiment ?

Selon la Banque mondiale, le taux d’accès à l’électricité au Tchad, pays de 17 millions d’habitants, est l’un des plus bas au monde: entre 6,4 % et 35 % dans la capitale, et seulement 1 % dans les autres provinces. « La mesure tombe un peu mal car les centrales thermiques ont des baisses de performance pendant les périodes chaudes, ce qui conduit à des délestages. Et comme il fait chaud en ce moment, c’est aussi le moment où explosent les besoins des ménages en électricité », résume Keynodji Ngoniri.

Selon le ministre de la Communication, c’est l’une des raisons qui ont poussé le président de la transition, Mahamat Idriss Déby Itno, à prendre cette décision. « Le président a estimé qu’on ne donne pas suffisamment d’électricité. Quand on est abonné à l’électricité, on paye non seulement sa consommation mais aussi l’abonnement, c’est-à-dire des charges fixes », justifie Abderaman Koulamallah, qui reconnaît que la situation relève même du paradoxe « dans la mesure où les gens extrêmement pauvres n’ont pas d’électricité ».

3 – Comment cette mesure est-elle accueillie ?

« Cela fait 18 jours que je n’ai pas d’électricité. Beaucoup considèrent qu’on parle de gratuité pour un service que la population n’a pas », témoigne un journaliste qui réside à N’Djamena. Bien qu’ils déplorent une vague de délestages, d’autres Tchadiens estiment que cette décision est positive dans la mesure où elle demeurera en vigueur jusqu’à la fin de l’année.

« C’est vrai qu’elle tombe mal mais une partie de la population pourra bénéficier de cette mesure pendant la saison fraîche », nuance Keynodji Ngoniri. « La situation est en effet un peu cocasse pour la population, qui considère que nous l’exonérons de quelque chose qu’elle n’a pas mais il s’agit quand même d’une mesure concrète », répond le porte-parole du gouvernement.

4 – Pourquoi reproche-t-on à cette mesure d’être électoraliste ?

Mahamat Idriss Déby Itno étant candidat aux élections présidentielles – prévues pour le 6 mai –, le timing de la circulaire n’a pas manqué d’éveiller des soupçons sur les motivations réelles du gouvernement. « La hausse des prix des carburants, décidée en début d’année, explique cette mesure mais on ne va pas nier le fait que nous sommes à l’approche des élections et que la population et tous les observateurs se demandent s’il ne s’agit pas d’une manipulation électoraliste », analyse Keynodji Ngoniri.

Selon le ministre de la Communication, cette question revêt peu d’importance. « Quand bien même elle serait électoraliste, cette décision est dans l’intérêt de la population. Si l’on ne fait rien, on nous dira que l’on est insensible à la situation. Et quand on fait quelque chose, on est électoraliste. Mais on est bien obligé de gouverner », répond l’ancien conseiller d’Idriss Déby Itno. Et d’insister: « Est-ce que c’est une mesure concrète ? Oui. Électoraliste ? Je dirais peu importe. L’essentiel est d’aider la population. »

5 – Est-ce vraiment « une première dans l’histoire du Tchad » ?

En avril 2020, en pleine pandémie du Covid-19, Idriss Déby Itno avait déjà annoncé la prise en charge des factures d’électricité et d’eau relatives aux usages domestiques. Cette mesure concernait « la tranche sociale pour une durée de trois mois et six mois ».

L’ancien président avait également décidé de réduire de 50 % l’impôt général libératoire et la patente « au profit des assujettis sur toute l’étendue du territoire national, pour l’année 2020 ». Mais, là encore, il est difficile de mesurer l’effet réel de ces décisions sur les familles défavorisées.

Source: JeuneAfrique

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