La présence des « forces françaises » aux frontières du Soudan et du Tchad laisse poser des questions

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La présence des « forces françaises » aux frontières du Soudan et du Tchad laisse poser des questions
La présence des « forces françaises » aux frontières du Soudan et du Tchad laisse poser des questions

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. L’escalade de la crise soudanaise et son extension aux régions occidentales du pays portent des indications inquiétantes sur les effets potentiels sur la sécurité dans les pays voisins, en particulier la République du Tchad, car les deux pays ont été témoins de multiples cas d’influence mutuelle à plus d’une étape.

De là, on peut assurer qu’il n’échappe pas aux observateurs et spécialistes des affaires africaines que les événements se soient développés rapidement en République de Centrafrique et au Tchad, qui bordent la région du Darfour à l’ouest du Soudan, coïncidant avec l’escalade des affrontements militaires dans la région, que les observateurs ont considérée comme une nouvelle évolution du conflit franco-russe autour des zones d’influence française traditionnelle en Afrique, et une course vers les métaux précieux (Or et Diams à titre d’exemple) qui s’y trouvent, et qui se reflétera dans le cours de la guerre à Khartoum.

C’est pourquoi, dans un geste surprenant, survenu il y a quelques semaines, le Tchad a demandé à la France, qui maintient des bases près de sa capitale, N’Djamena, de déployer des troupes à la frontière avec le Soudan, et des véhicules militaires ont été aperçus transportant des armes et du matériel depuis les bases françaises, alors que des avions de combat français survolaient à leur tour la région, avant de procéder au bombardement des cibles adjacentes à la région de proximité à la ville d’El Geneina, la capitale de l’Etat occidental du Darfour.

Des analystes politiques spécialistes du Tchad et de la région sahélienne ont essayé d’expliquer les motifs de la présence française dans cette région frontalière, la réaction tchadienne à ce propos, ainsi que son lien avec la crise soudanaise en cours.

L’un deux, l’analyste politique tchadien Jibreen Issa, a laissé entendre que la force française « errait » près de la frontière de la ville d’Adré, capitale du district d’Assounga dans la région du Ouaddaï au Tchad, qui est située près de la frontière orientale tchadienne avec le Soudan, à environ 400 mètres, et ceci coïncidait avec la présence du président Mahamat Idriss Deby, dans le cadre d’une inspection de la situation vu la présence de réfugiés soudanais, et assurer, par conséquent, la fermeture effective de la frontière avec le Soudan.

C’est d’ailleurs ce qui aurait incité la Garde républicaine à intervenir pour arrêter cette unité, la désarmer et interroger ses membres sur la raison de leur présence, qu’il a attribuée, à plusieurs facteurs dont notamment :
• La présence des forces françaises qui s’est déroulée sans autorisation ni coordination avec l’armée tchadienne et les forces de la Garde républicaine,
• Cette présence sans aucune coordination et la présence au même moment du président de transition Deby dans la région, n’a fait que soulever des inquiétudes et des points d’interrogation,
• Par ailleurs Deby semble craindre l’implication du Tchad dans le conflit soudanais, surtout qu’il existe un important contentieux franco-tchadien sur la gestion de l’État, ainsi que sur plusieurs dossiers, dont la Libye, la Centrafrique, en plus de la crise soudanaise elle-même,
• D’autant plus qu’en France des voix insatisfaites des performances et des orientations de Mahamat Deby, avec la montée d’un courant au sein du pouvoir tchadien pour se débarrasser de la vieille garde fidèle à Paris au sein de l’armée, qui menace d’entraîner le Tchad dans un nouveau conflit.

Il est utile de rappeler que ces derniers mois, le Tchad a vécu des manifestations appelant au départ des forces françaises du Tchad, sachant que le mouvement d’opposition « Wakit Tama » a organisé à son tour des manifestations dans la capitale, N’Djamena, au cours desquelles des banderoles ont été hissées portant les inscriptions suivantes « La France…dehors », « Non à la France, oui à la Russie », ou encore « Nous voulons la Russie comme au Mali », et certains des manifestants ont hissé le drapeau de la Russie à côté du drapeau tchadien.

Revenant sur cet état de fait, le directeur du Centre de surveillance des conflits dans le Sahel africain, Mohamed Ali Kilani, explique la raison de l’objection tchadienne au déploiement français, en déclarant à ce sujet qu’il existe « une tendance française à soutenir les groupes armés autour de la frontière soudanaise », et que « les Français étaient d’accord avec certains généraux tchadiens », mais qu’il y aurait des désaccords au sein de l’armée tchadienne à cet effet, ce qui a conduit à la visite de Mahamat Deby dans la zone frontalière.

Kilani a également évoqué l’apparition d’un autre motif français quant à leur présence dans cette région frontalière, notamment « la volonté de Paris d’éloigner les États-Unis de la région francophone, en particulier de la République centrafricaine, qui borde à la fois le Tchad et le Soudan ».

Plus sur la présence des Forces françaises au Tchad

On ne peut omettre que le déploiement des forces françaises dans les pays de la région sahélienne d’Afrique centrale et occidentale, dont le Tchad, dépend d’un certains nombre d’accords de partenariat, et la présence militaire française est souvent justifiée par une coopération dans la lutte contre le terrorisme en général ou les groupes armées en particulier.

D’autre part, Paris considère sa présence dans cette région comme un prolongement de son rayonnement politique, économique et culturel, qu’elle a construit par la force militaire lorsqu’elle avait « colonisé » un grand nombre de pays de la région, durant le siècle dernier.

De facto, on peut avancer que les relations entre Paris et N’Djamena s’étaient caractérisées par la force pendant la présidence d’Idriss Deby (1996-2021), fortement soutenu par la France, et après son assassinat par des groupes de l’opposition armée, qui ont soutenu l’accession à la présidence de son fils Mahamat Idris Deby Itno pour gérer la période transitoire.

Pour rappel, à Abéché, la deuxième ville du Tchad proche de la frontière soudanaise, il reste encore un contingent d’une trentaine de militaires français.

La France et le Tchad… une histoire d’« hégémonie »

Il faut reconnaître que la concurrence franco-russe grandissante en Afrique a récemment accru la complexité de la scène, car le cours des événements au Soudan semble avoir une grande influence en redessinant les cartes d’influence de Moscou et de Paris dans la région.

Dans ce contexte, l’universitaire et chercheur tchadien sur les affaires africaines, Ismail Taher estime que le Tchad, comme d’autres pays africains, a connu une tendance à rejeter la politique de Paris, tout en soulignant que « la possibilité que le Tchad soit affecté par le conflit en cours au Soudan constitue l’une des grandes préoccupations françaises à l’heure actuelle, compte tenu du chevauchement tribal et les longues frontières entre les deux pays, ainsi que la fragilité dont souffre le Tchad à bien des égards », ce qui donne une opportunité à toute partie qui voudrait s’immiscer dans les affaires du pays.

Cette relation a toujours été « très sensible », et se caractérise depuis que la France ait accordé l’indépendance au Tchad en 1960 par « la tentative de Paris d’imposer une relation basée sur la dépendance à l’égard des aspects politique et économique ».

• Aspect économique : Selon lui, la France dominait économiquement à travers de nombreuses mesures, dont on peut rappeler « l’imposition de la monnaie du franc centrafricain, le contrôle des usines et des grandes entreprises, la liaison commerciale du pays dans le commerce du coton et de ses dérivés, et la domination des infrastructures, des compagnies de l’électricité et des eaux, etc. ».

• Aspect politique : Il y avait une « dépendance permanente à la France », selon Taher, qui a confirmé que « tous les systèmes de gouvernement ont changé à la suite des interventions françaises depuis le premier coup d’État survenu en 1975, à travers les différentes guerres civiles, et la survie a toujours été pour ceux qui sont satisfaits de Paris ».

Dans la même optique, le journaliste tchadien Mohamed Taher Zein, chercheur en affaires africaines, explique quant à lui qu’il y a une forte coordination tchado-française, et qu’avec l’escalade des affrontements au Soudan, « le gouvernement de N’Djamena a demandé à Paris d’apporter son soutien, car Paris y a rapidement répondu par des photographies aériennes ».

Néanmoins, au vu des craintes des deux parties quant aux répercussions de l’intervention russe en soutenant les factions de l’opposition en Centrafrique, le journaliste-chercheur a indiqué à des médias qu’« en avril dernier, un centre avancé a été mis en place au sud du Tchad dans la région frontalière de Goria avec la Centrafrique, pour contrer tout mouvement de l’opposition tchadienne », soutenu par la Russie dans la région.


Soldats au centre de formation

Selon lui « l’objectif de la France en soutenant la création de ce centre est la volonté de Paris de protéger son allié tchadien et d’ouvrir la voie à un retour en Centrafrique, que Moscou avait arraché à la sphère d’influence française traditionnelle ».

Peut-on affirmer que la France s’immisce dans les affaires du Soudan ?

Au vu de tout ce qui précède, il semble clair que la France soit préoccupée par les répercussions de l’escalade du conflit au Soudan sur l’avenir du régime au Tchad, et ces craintes vont probablement pousser la France à essayer de « déployer ses forces aux frontières, apporter un soutien logistique et technique et superviser certaines affaires par elle-même », ce qui laisserait croire qu’avec la poursuite de la crise soudanaise, on pourrait assister à un « rôle français plus important à la frontière tchado-soudanaise ».

Ainsi, s’il apparaîtrait clairement que « la présence d’éléments wagnériens sur les fronts de combat et leur formation et qualification de l’opposition armée tchadienne au Soudan pour attaquer le Tchad, alors les forces françaises participeront sûrement et directement à la lutte contre Wagner ».

Toutefois, au cas où Paris ne serait pas sûr de la participation des combattants russes du groupe Wagner, « la France ne s’engagerait donc pas dans une confrontation directe, et s’emploierait à apporter un soutien logistique aux forces tchadiennes stationnées dans la région d’Adré et à la frontière soudano-tchadienne », selon les experts.

Dans ce contexte, le politologue Moatassem Hussein estime que les répercussions de la guerre au Soudan provoqueront un mouvement régional, et pourraient tisser une alliance ou une coordination entre Khartoum et le Tchad, dont le président a déclaré dès le premier jour de la guerre sa position avec l’armée soudanaise, et a fermé ses frontières orientales, sachant que « la France soutient toujours l’opposition centrafricaine pour prendre le pouvoir dans son pays ».

Il a ajouté que les intérêts sécuritaires réunissent le Soudan, le Tchad et la France, alors que Wagner s’emploie à changer les régimes dans le Sahel africain, ce qui affaiblit l’influence française et renforce le rôle russe, en soulignant que l’activité de Wagner pousse l’administration américaine à coordonner avec Moscou pour empêcher le groupe russe de s’étendre au Soudan, en Centrafrique et au Tchad, avec l’idée de réaliser des gains économiques qui aideraient la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.

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