La visite de l’émissaire américain Richard Norland au Tchad « mise à nue »

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La visite de l'émissaire américain Richard Norland au Tchad « mise à nue »
La visite de l'émissaire américain Richard Norland au Tchad « mise à nue »

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. L’ambassadeur américain en Libye, Richard Norland, a effectué une visite au Tchad, le jeudi 4 mai 2023, en qualité d’émissaire des Etats-Unis, au cours de laquelle il était prévu que le diplomate rencontre de hauts responsables tchadiens pour discuter, semble-t-il, de la coopération régionale dans le domaine de la sécurité des frontières aussi bien que du développement économique.

Une fois à N’Djamena, Norland a entamé sa visite par une rencontre avec l’ambassadeur de Libye au Tchad, Dr Mohammad al-Madani, ainsi que son compatriote l’ambassadeur US au Tchad, Alex Laskaris.

S’exprimant face aux médias, l’émissaire américain a déclaré : « J’ai eu le plaisir de rencontrer à N’Djamena l’ambassadeur libyen au Tchad, Mohammad al-Madani, et notre ambassadeur Alex Lascaris, pour booster la coopération régionale dans le domaine de la sécurité des frontières et du développement économique, et j’attends avec impatience mes autres avec les responsables tchadiens », sans toutefois préciser la durée de sa visite.

Que savons-nous sur la visite de Norland

On peut d’ores et déjà affirmer que la venue de Richard Norland au Tchad s’inscrit dans le cadre des efforts américains visant à renforcer les liens de coopération en matière de sécurité à travers les frontières entre la Libye, le Tchad et le Niger, et ce, dans l’objectif de faire face aux défis sécuritaires dans la région, selon ce qu’a déclaré plus tôt le diplomate américain.

Elle intervient également à un moment où des combats font rage chez le voisin des deux pays (Libye et Tchad), à savoir le Soudan, où l’armée régulière et les Forces de soutien rapide s’entre-tuent, sur fond de craintes de répercussions sécuritaires pour les pays voisins si les combats se poursuivent.

A noter que vendredi dernier, 28 avril, Norland a rencontré dans la ville allemande de Stuttgart, le Chef du commandement militaire américain en Afrique « AFRICOM », le général Langley, et l’ambassadeur Young, adjoint responsable de la communication civile et militaire, selon ce qu’a rapporté l’ambassade de Washington à Tripoli.

Lors de cette rencontre, Norland a souligné : « La détérioration de la situation sécuritaire en Libye implique l’importance de soutenir la Libye dans la formation d’une armée unifiée avec un leadership civil ».

Il est important de rappeler aussi qu’outre la Libye et le Soudan, la région du Sahel connaît une situation sécuritaire tendue et des coups d’État successifs, en présence de groupes armés locaux, ainsi que des forces paramilitaires privées russes relevant du groupe « Wagner ».

Confirmation de la Présidence tchadienne

Selon un communiqué rendu public par les services de la présidence au Tchad, le Président de Transition, Général Mahamat Idriss Deby Itno, a reçu en audience le vendredi après-midi l’Envoyé Spécial des Etats-Unis pour la Libye, en l’occurrence l’Ambassadeur Richard Boyce Norland, qui était accompagné de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Tchad, Alexander Laskaris.

Norland s’était entretenu avec le Chef de l’Etat tchadien sur la situation politique et sécuritaire en Libye, et les deux ont notamment évoqué la question de trouver une solution à la crise dans ce pays voisin du Tchad conformément aux dernières résolutions de l’ONU, tout en prenant compte des propositions des pays limitrophes pour le retour de la paix en Libye, un pays à riche potentiel pétrolier.

Il n’échappe guère aux spécialistes des affaires africaines que le gouvernement Biden soutient les efforts déployés par la Libye, avec l’appui de ses partenaires, pour former un gouvernement de large ouverture afin de répondre aux espérances et besoins du peuple libyen et sécuriser le pays.

C’est dans ce sillage que la rencontre a eu lieu entre l’envoyé Spécial des Etats-Unis et le Chef de l’Etat, Mahamat Deby, en présence de la Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères et des proches collaborateurs du Chef de l’Etat, sachant que les échanges qui ont duré près d’une heure ont permis de discuter, entre-autres, de la feuille de route des Nations-Unies prévoyant la tenue des élections présidentielles et législatives en Libye d’ici la fin de l’année.

Néanmoins, le diplomate américain n’a pas hésité d’exprimer ses inquiétudes par rapport aux violences en cours au Soudan (qui risquent de s’étendre en dehors des frontières soudanaises) et qui affectent les efforts visant la restauration de la paix en Libye.

Quelles sont les « intentions » des Etats-Unis et où se situent leurs relations avec le Tchad ?

Dans ce contexte, nous avons vu utile d’analyser l’intérêt qu’accordent les Etats-Unis à ce pays et son rôle dans la Transition Démocratique du Tchad.

On ne peut nier que la transition du Tchad est à un moment précaire, mais les États-Unis ont certainement la capacité diplomatique et les ressources nécessaires pour la remettre sur les rails.

Les États-Unis Comme Partenaire Crédible

Bien que la succession au pouvoir au Tchad en 2021 n’ait pas impliqué le renversement d’un président en exercice par l’armée, elle a été largement jugée inconstitutionnelle dès le départ. Cependant, l’Union africaine, la France et d’autres acteurs internationaux et régionaux n’ont toujours pas sanctionné les dirigeants de la transition tchadienne. Il s’agit d’une décision qui contraste avec leurs positions sur les récents transferts de pouvoir anticonstitutionnels ailleurs au Sahel et en Afrique de l’Ouest, comme ceux du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée. Cette incapacité à sanctionner officiellement le Tchad a laissé la communauté internationale, et l’Union africaine en particulier, dans l’incertitude quant à la marche à suivre.

Par contre, les États-Unis n’ont cessé de demander que le Conseil Militaire Tchadien respecte le calendrier de transition et que ses dirigeants soient jugés inéligibles aux futures élections. D’ailleurs, à l’issue des événements sanglants du 20 octobre 2022, l’ambassade des États-Unis a également condamnée la répression par les forces de sécurité gouvernementales.

C’est pour cette raison que « les États-Unis sont considérés comme l’un des acteurs internationaux les plus crédibles » aux yeux de la société tchadienne.

Entre-autres, les États-Unis figurent parmi les partenaires les plus critiques du Tchad et devraient utiliser leur poids diplomatique pour contraindre les autorités de transition à respecter les droits de l’homme et le calendrier de transition.

Néanmoins, pour saisir cette opportunité, les États-Unis disposent de deux facteurs qu’ils peuvent utiliser pour soutenir une transition pacifique et démocratique au Tchad :

• Un engagement diplomatique direct avec le gouvernement Tchadien et l’opposition

Il est essentiel de continuer à souligner la nécessité de rouvrir l’espace politique avec les autorités de transition. Dans la même lignée, il est crucial que les États-Unis échangent avec les partis d’opposition, notamment le principal parti d’opposition « Les Transformateurs », afin de renouer le dialogue avec le gouvernement.

L’annonce de l’initiative Démocratie et Transitions Politiques en Afrique (ADAPT), dotée de 75 millions de dollars, à l’issue du Sommet des dirigeants USA-Afrique, offre aux États-Unis l’occasion d’investir au Tchad une partie du financement prévu, notamment en vue des élections prévues en 2024, tout en veillant à ce que toute assistance au gouvernement tchadien soit directement liée à des mesures concrètes en faveur d’une plus grande transparence, ouverture de l’espace civique, et inclusion.

• Les États-Unis doivent soutenir la société civile tchadienne et d’autres acteurs qui promeuvent la paix et des droits de l’homme

Il est important que les Tchadiens aient la possibilité de forger leur propre avenir et de faire entendre leur propre voix, en soutenant les initiatives locales qui œuvrent pour la cohésion sociale et la réconciliation, la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et la sensibilisation à une citoyenneté pacifique.

Cela devrait prendre la forme d’un soutien plus vigoureux aux organisations de la société civile (y compris les organisations de femmes et de jeunes), aux médias, aux organisations de défense des droits de l’homme, à la recherche et aux échanges culturels.

Là encore, les fonds investis dans le cadre de l’initiative ADAPT récemment annoncée peuvent contribuer à soutenir la société civile tchadienne en tant que bastion contre le recul de la démocratie au Tchad. Les institutions américaines déjà actives dans le soutien au Tchad ou qui prévoient de soutenir le pays pourraient également être incitées à soutenir ces acteurs en vue de contribuer au renforcement de la démocratie dans le pays. En dernier recours, face à la radicalisation continue des autorités de transition, une pression politique et économique directe et ciblée pourrait permettre une ouverture de l’espace politique.

Rappelons que le programme principal de la tournée tripartite (le Ghana, la Tanzanie et la Zambie) de la vice-présidente américaine Kamala Harris, du 26 mars au 2 avril 2023, était basé sur plusieurs questions cruciales :
• le développement économique,
• le changement climatique,
• la sécurité alimentaire,
• les femmes et les jeunes,
• l’allégement de la dette,
• les affaires démocratiques,
• et l’industrie créative.

Les États-Unis et leur intérêt grandissant pour le Continent africain

Les États-Unis sont sans aucun doute à l’affût des opportunités économique, car outre les économies à croissance rapide, l’Afrique abrite également la population la plus jeune et la plus dynamique du monde. Cela signifie pour le gouvernement Biden que le marché de la consommation se développe rapidement, tout comme la main-d’œuvre, deux aspects qui rendent les affaires avec le continent attrayantes.

Mais cela présente également des défis potentiels en matière de sécurité. Ainsi, si les économies ne se développent pas, les jeunes sont plus susceptibles de faire des voyages risqués pour trouver une meilleure vie ailleurs. En outre, une population mécontente peut servir de terreau à l’extrémisme.

Donc, l’adoucissement des relations entre les États-Unis et l’Afrique est très perceptible, mais cela ne signifie pas nécessairement que les États-Unis abandonnent leur engagement envers les principes de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit.

La Chine et la Russie ne posent pas les mêmes conditions et donc ils ont souvent une offre plus attrayante pour certains dirigeants africains qui sont réticents à l’idée que leurs problèmes de gouvernance soient examinés de près.

Tout laisse à croire que la volonté américaine de réduire le fossé de confiance avec les pays africains et de restaurer sa position au sein du continent, devenu un champ plus large de compétition internationale entre les grandes puissances, est aujourd’hui une « réalité ».

C’est pourquoi, au jour d’aujourd’hui, alors que les États-Unis ont renouvelé leur offre d’engagement et de partenariats « stratégiques », les dirigeants africains doivent décider s’ils s’engagent dans cette relation et comment ils vont défendre au mieux leurs intérêts.

Appui médiatique : Richard Norland reçu par le Président tchadien à N’Djamena

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