Le Sahel africain entre « approches antiterroristes et absence de coordination régionale et internationale »

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Le Sahel africain entre « approches antiterroristes et absence de coordination régionale et internationale »
Le Sahel africain entre « approches antiterroristes et absence de coordination régionale et internationale »

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. A l’heure où l’existence de groupes extrémistes au devant de la scène des événements représente encore de sérieux défis au regard des intérêts stratégiques des grandes puissances de la région de l’Afrique de l’ouest, tant elle recèle d’énormes richesses minières et pétrolières, en plus d’une situation privilégiée sur l’Océan Atlantique qui soutient les routes commerciales, les pays du Sahel (notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger) ont occupé les premières places de l’Indice international du terrorisme pour l’année 2022, et la mesure prise par le gouvernement malien, le 16 mai 2022 de se retirer de toutes les instances du Groupe des cinq pays du Sahel (G5), y compris la force conjointe de lutte contre le terrorisme, est venue accroître la confusion du paysage sécuritaire et les inquiétudes liées aux menaces dans la région sahélienne et saharienne.

Ceci, compte tenu de la grave évolution du phénomène du terrorisme, dans les régions africaines au sud du Sahara, en particulier dans cette région, et l’avenir par exemple de la stabilité de l’État malien gouverné par un conseil militaire ayant été formé après deux coups d’État militaires successifs au cours des années 2020 et 2021, et présidé par le colonel Assimi Goïta.

Ce n’est donc un secret pour personne que les lacunes et les défis majeurs auxquels sont confrontées les approches nationales et internationales de la lutte contre le terrorisme au Sahel aient eu un impact clair sur la preuve de l’affirmation de l’organisation Daech « selon laquelle elle demeure sur pied et poursuit son avancée ».

Les dessous d’une situation complexe et préoccupante

La région du Sahel constitue un complexe de sécurité très complexe et enchevêtré, car elle abrite bon nombre des groupes terroristes les plus violents et à la croissance la plus rapide au monde. Ces groupes tels que Daech, Al-Qaïda et Boko Haram poursuivent la campagne pour mettre en œuvre leurs stratégies violentes dans la région, sachant qu’en 2021 les décès dans la région du Sahel ont représenté 35% du total des victimes dues au terrorisme dans le monde, contre seulement prés d’un pour cent en 2007, selon le « Global Terrorism Index ».

Peut-être que cette expansion et cette propagation du terrorisme reflètent dans l’une de ses indications la futilité des réponses internationales et régionales à la violence et leur incapacité à faire face aux taux élevés de terrorisme, qui ont été exacerbés par certains facteurs sociaux et économiques tels que les taux élevés de croissance démographique en la région, les fortes augmentations de l’insécurité alimentaire et le nombre croissant de personnes déplacées à grande échelle.

Les attentats et les accidents ont augmenté dans tous les pays de la région à l’exception de la Mauritanie et du Tchad, et tous les pays du Sahel autres que la Mauritanie et le Tchad ont enregistré au moins 40 décès dus au terrorisme en 2021. Par ailleurs, le total des décès enregistrés en 2021 au Burkina Faso, au Mali et au Niger étaient respectivement de 732, 574 et 588 victimes.

Quels changements?

Au cours des dernières années, l’environnement du terrorisme dans la région du Sahel a connu plusieurs transformations distinctes, alors que de nouveaux groupes terroristes ont émergé, d’autres ont fusionné et se sont adaptés aux opérations de contre-terrorisme et d’insurrection aux niveaux national, régional et international.

Cela a conduit au succès de ces groupes terroristes violents dans le recrutement de membres au Sahel et dans des pays d’Afrique de l’Ouest tels que le Nigeria et le Burkina Faso, un processus que le chercheur principal au sein de « Armed Conflict Location Events Database (ACLED) », Héni Nsaibia, a qualifié de « djihad des bandits ou djihad du banditisme ».

Nsaibia soutient que ces éléments sont capables de fournir plus que de l’argent ou des armes aux criminels du point de vue des groupes armés, et la mobilisation de groupes armés qualifié d’islamistes peut également être un moyen de justifier « moralement » le pillage et le vol dans le cadre d’une cause plus large, en tant que groupes criminels qui cherchent à utiliser la religion pour se défendre, et pour commettre leurs actions criminelles. Il n’était pas surprenant que certains groupes se rejoignent sous la bannière d’Al-Qaïda ou de Daech, ce qui peut également expliquer l’augmentation de la violence dans la région.

Compte tenu de sa nature géopolitique et sociale et de ses frontières poreuses, les dirigeants locaux des groupes violents et terroristes au Sahel jouissent d’une autonomie considérable. Ils sont alors en mesure de prendre des décisions calculées sur les sites à cibler et le moment de les attaquer. Et en raison de leur approche utilitaire, ils montrent une plus grande volonté de négocier ou de changer de loyauté, car leur objectif principal est « la survie ».

Ce genre de pragmatisme est également pratiqué par les chefs de brigands et bandits, qui coopèrent avec des terroristes même face à certains gangs rivaux. Peut-être que cette localisation des groupes armés mondialisés aura des effets négatifs sur l’environnement sécuritaire, car le changement idéologique des dirigeants locaux semble n’être qu’une couverture pour profiter des réseaux djihadistes transnationaux. En conséquence, cette nouvelle approche des groupes violents indique un changement majeur dans la pensée stratégique djihadiste, car ceux-là se sont historiquement attachés à la pureté idéologique pour atteindre et concrétiser leur projet du « califat ».

Un virage pragmatique qui nécessite un changement de discours sur les approches de la lutte contre le terrorisme au Sahel

Afrique : le terrorisme un frein pour le développement durable
 

Sur cette base, cet article vise à évaluer les efforts de lutte contre le terrorisme ainsi que les difficultés et les défis qui l’entourent.

Il est important de rappeler que les défis actuels auxquels sont confrontés les pays du Sahel face aux groupes terroristes extrémistes les ont amenés à rechercher l’aide et l’assistance des puissances et organisations régionales et internationales. Ces pays touchés par des opérations terroristes ont également réalisé que, compte tenu de la facilité de circulation des groupes extrémistes à travers les frontières, il était nécessaire qu’ils s’engagent à renforcer la coopération internationale par l’échange d’informations de renseignement et des opérations conjointes.

Cela a conduit à la formation de cadres et d’institutions de sécurité transnationaux, dont les plus importants sont les suivants :

1- Le Groupe des cinq pays du Sahel (G5), qui comprend le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et la Mauritanie.

Cette organisation a vu le jour le 16 février 2014, sa formation ayant immédiatement conduit à l’activation de la force conjointe du Groupe des cinq États du Sahel dans le but de lutter contre l’extrémisme violent et le trafic illégal dans la région du Sahel. Et grâce à cette coopération conjointe, le G5 Sahel a obtenu un succès relatif dans le rétablissement du contrôle et la réduction de la présence terroriste dans la région du Liptako-Gourma, mais cette réalisation limitée ne représente qu’un point dans un océan de complexités sécuritaires qui nécessitent des réponses plus coopératives de la part du G5 Sahel.

Toutefois, le G5 Sahel fût déserté par le Mali depuis le 16 mai 2022.

2- La Force opérationnelle interarmées multinationale (MNJTF).

Il s’agit d’un effort des pays du bassin du lac Tchad, Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria, pour unir leurs forces et leurs ressources contre les terroristes qui menacent les quatre pays. Les États du lac Tchad, ainsi que le Bénin, ont créé cette force sous sa forme actuelle fin 2014 et début 2015. La force combinée comptait un peu plus de 8 000 soldats et l’Union africaine avait autorisé la force le 3 mars 2015 et envisagé un contrôle civil par un organe sous-régional, la Commission du bassin du lac Tchad. La Force multitâche conjointe a créé un cadre multilatéral d’une importance cruciale pour combattre les insurgés de Boko Haram, qui lancent des attaques transfrontalières.

3- La Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel (SINUS).

Elle est au centre de la réponse internationale dans la région du Sahel conformément à la résolution 2391 (2017) du Conseil de sécurité. Les Nations Unies cherchent à se concentrer sur les variables qui contribuent à la propagation et à l’expansion des groupes extrémistes. Cela a été démontré dans les zones ciblées, dans le cadre du « Plan d’appui à la région du Sahel » des Nations Unies (UNSP), qui ont été identifiées pour mesurer les résultats de la Stratégie intégrée des Nations Unies.

4- La Mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM).

L’Union européenne a contribué à la mise en place de cette mission dans le but de fournir des programmes de renforcement des capacités aux forces de l’ordre au Mali et dans d’autres régions du Sahel. Contrairement à d’autres acteurs, l’Union européenne, à l’exception de la France, a décidé de montrer son engagement par un soutien financier et logistique plutôt que par le déploiement de forces, à travers la Stratégie européenne pour la sécurité et le développement au Sahel.

5- Une Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA).

En ce qui concerne le rôle de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine a initialement formé cette mission en 2012 et sur la base de la décision du Conseil de sécurité de l’ONU, la MISMA a cherché à aider à restaurer les zones contrôlées par les terroristes ainsi qu’à consolider l’autorité de l’État dans tout le pays. Cette mission a également pour mandat d’entreprendre des efforts humanitaires ainsi que de réinstaller des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du Mali. Cependant, cela n’a pas duré longtemps après sa transformation en MINUSMA en 2013 avec une capacité militaire de 11 200 et 1 440 policiers. Traduisant les initiatives de l’UA en efforts de réponse plus larges de l’ONU, l’UA a également déployé la Mission de l’Union africaine au Mali et au Sahel (MISAHEL) en 2014 pour fournir un soutien au renforcement des institutions étatiques démocratiques, à l’action humanitaire et à la coordination des efforts de réponse actuels pour trouver des solutions appropriées au terrorisme, et à d’autres problèmes de sécurité.

Quelles réponses à l’extrémisme et au terrorisme ?

Les réponses nationales, régionales et internationales à l’extrémisme ont fait face, dans les pays du Sahel, à de nombreuses difficultés et défis, qui peuvent être résumés comme suit :

• 1- Au niveau national :

Les pays situés dans des zones touchées par le terrorisme souffrent généralement d’un état de fragilité et d’instabilité politique, ce qui entrave les efforts de lutte contre plusieurs groupes djihadistes en raison de l’absence de volonté politique et d’un programme national complet.

• 2- Absence de coordination régionale et internationale :

Au regard des défis de la réponse régionale et internationale, la coordination entre les acteurs régionaux et internationaux a été considérée comme un défi majeur.

Ainsi, les initiatives militaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest pour faire face au terrorisme et à la crise au Mali reflètent les problèmes de coordination entre la CEDEAO, l’Union africaine et les Nations unies. La création de la Force en attente de la CEDEAO au Mali (MICEMA) a été proposée lorsque « Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique et le MUJAO » ont commencé leurs actions terroristes violentes dans le nord, avec leur poussée vers le sud du Mali, entraînant la détérioration de la sécurité humaine et de la stabilité du pays.

• 3- Evaluation des approches de l’Union Africaine :

Malgré les efforts de l’Union africaine pour combattre le terrorisme et prévenir l’extrémisme violent, il existe des lacunes aux niveaux juridique et institutionnel qui limitent une approche intégrée contre le terrorisme violent sur le continent africain, y compris le Sahel. Le problème qui prévaut dans les politiques antiterroristes de l’UA reste la préférence pour les mesures nationales par rapport aux conventions collectives qui souffrent du manque de mécanismes d’application solides.

Les efforts de lutte contre le terrorisme au sein de l’Union africaine se heurtent à de nombreux obstacles, en raison de la multiplicité et de la concurrence des initiatives sous-régionales, transrégionales et internationales, et des effets néfastes qui en résultent.

Les stratégies antiterroristes de l’UA considéraient l’idéologie djihadiste violente comme une menace existentielle, légitimant les mesures antiterroristes, dans le cadre du processus de sécurisation, et politisant les pratiques institutionnelles, tout en utilisant la rhétorique de la peur pour se maintenir au pouvoir.

• 4- Problème de la militarisation et l’absence de solutions politiques :

Malgré l’importance des approches militaires pour faire face aux dangers du terrorisme dans la région du Sahel à court terme, elles ne tiennent pas compte de la complexité et de l’imbrication de l’environnement de l’extrémisme et du terrorisme.

• 5- Différend entre le Mali et la France :

Le différend s’est aggravé entre l’autorité de transition au Mali et la France, alors que la détérioration des relations diplomatiques et politiques entre les deux anciens partenaires s’est transformée en ce qui semble être une « rupture définitive » dans leur coopération militaire. Cela se produit à un moment où le sentiment anti-français, et peut-être anti-européen, est à son apogée dans la région, avec des marches populaires massives et des protestations contre la présence française dans presque tous les pays du Sahel. En fin de compte, le gouvernement militaire du Mali a décidé de mettre fin au traité de coopération de défense entre la France et le Mali, ainsi qu’à l’accord sur le statut des forces régissant le travail des forces françaises et européennes participant à la force opérationnelle « Takouba ». En pratique, cela signifie que le différend bilatéral est devenu un conflit multiforme, les forces françaises et européennes ne pouvant plus opérer à l’intérieur du pays, une tendance qui affecte également les opérations de la mission de maintien de la paix de l’ONU « MINUSMA ».

• 6- Concurrence internationale et nouvelle guerre froide :

En plus des carences liées aux approches occidentales et à la baisse de l’enthousiasme américain et européen, les tensions régionales ont fourni une opportunité de concurrence internationale dans la région la plus large. Cette présence, notamment à l’égard de Wagner, a exacerbé et accéléré la déconnexion décisive entre le Mali et les acteurs européens, dont la France. Cela signifie, de facto, le remodelage et l’ingénierie de l’équilibre international dans la région d’une manière qui rappelle l’atmosphère de la guerre froide.

• 7- Réorganisation du dispositif en 2022 :

Les multiples obstacles posés par les différentes autorités ont conduit à constater qu’en 2022 les conditions politiques, opérationnelles et juridiques n’étaient plus réunies pour poursuivre efficacement la mission d’engagement militaire afin de lutter contre le terrorisme dans le Sahel africain, et en particulier au Mali, ce qui a donc incité à amorcer le retrait de ces moyens militaires destinés à ces opérations de manière coordonnée.

Toutefois, et à la demande des partenaires africains, il a été décidé de poursuivre en commun la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel, notamment au Niger et dans le golfe de Guinée, tout en engageant des consultations politiques et militaires.

Au regard des défis de la réponse régionale et internationale, la coordination entre les acteurs régionaux et internationaux a été considérée comme un défi majeur, d’une part, et de manière générale, la rivalité entre groupes terroristes, ainsi que le regain d’intérêt transnational de ces organisations pour le contrôle et l’influence, peuvent être plus dangereux qu’auparavant en raison des tensions régionales d’une part et des nouvelles politiques de concurrence internationale, d’autre part.

Des agendas contradictoires risquent d’exacerber les tensions sociétales

Ceci dit, dans une région où l’insécurité est profondément enracinée et où les inégalités sont flagrantes, des agendas contradictoires risquent d’exacerber les tensions sociétales. En tant que tel, le Sahel a besoin de réponses fortes et coordonnées aux griefs persistants, car blâmer le Sahel pour le sous-développement ou l’insécurité ne peut exonérer les acteurs internationaux de leur responsabilité de répondre à ces griefs, d’autant plus qu’ils prennent plaisir à extraire les ressources naturelles de la région.

Pour conclure, on peut affirmer que les pays de la région du Sahel sont lourdement endettés et doivent utiliser leurs ressources pour assurer et rembourser les emprunts étrangers, tandis que les Européens hésitent à coopérer à la mise en place de projets d’infrastructure et de développement.

Les initiatives militaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour faire face au terrorisme et à la crise au Mali reflètent, quant à elles, les problèmes de coordination entre la CEDEAO, l’Union africaine et les Nations unies.

En conséquence, une coopération multilatérale entre les pays du Sahel et les puissances internationales reste nécessaire pour assurer le développement et la sécurité dans l’un des foyers de tension et de violence les plus complexes et entrelacés d’Afrique.

Sans cela, toutes les initiatives et réponses internationales de lutte contre le terrorisme risquent d’être stériles.

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