Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. Malgré la situation dans laquelle il se trouve déjà « noyé » à plusieurs échelles, le Tchad, qui n’a pas fermé ses frontières face à l’exode massif de ses voisins soudanais fuyant leur pays qui ne cesse de se faire « dépecer » et par son armée et par ses forces de soutien rapide, n’a pas osé utiliser de « porte-voix » pour que l’on entende ses « souffrances » et qu’on vienne à son aide.
Selon les informations qui ne cessent d’être relayées sur les conséquences de ce qui se passe au Soudan, le nombre de nouveaux réfugiés aurait dépassé la barre des 100.000 personnes, depuis le début du conflit entre les deux généraux rivaux, qualifiés de « frères ennemis », et ce depuis le 15 avril dernier, se disputant le pouvoir à Khartoum.
On estime que jusqu’à 270.000 personnes de plus pourraient être forcées de « fuir vers le Tchad » dans les trois mois à venir, d’après le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Tchad, indiquant que la majorité de ces réfugiés sont « originaire du Darfour », région de l’ouest soudanais située la frontalière avec le Tchad et qui est « profondément touchée par la violence et en proie à une instabilité croissante ».
Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Tchad a averti que le nombre de personnes cherchant refuge au Tchad pour échapper aux combats qui se déroulent depuis plus d’un mois au Soudan, « augmente très sensiblement et rapidement » et pourrait devenir encore plus préoccupant pour le pays d’accueil.
De son côté, lors d’une conférence de presse tenue à N’Djamena, le Haut Commissaire assistant du HCR pour les opérations, Raouf Mazou, a déclaré aux journalistes : « Jusqu’à présent, nous pensons être au-delà des 90.000 déplacés ».
Selon lui « plus de 250.000 personnes ont quitté le Soudan » vers les pays voisins de ce pays depuis le début de cette guerre entre l’armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide dirigées par le général Muhammad Hamdan Dagalo, surnommé « Hemedti ».
Dans le même contexte, l’ONU estime le nombre de ceux qui sont tombés à ce jour dans les combats qui se déroulent au Soudan à environ un millier de morts, auxquels s’ajoutent plus d’un million de déplacés et de réfugiés.
Peut-on prétendre que le Tchad est dans le « pétrin » ?
Réfugiés soudanais au Tchad
On relève qu’au Tchad, où la grande majorité de ces réfugiés sont hébergés dans des camps temporaires à l’est du pays près de la frontière soudanaise, « plus de 90% d’entre eux sont des femmes et des enfants », a révélé l’organisation des Nations Unies.
Par ailleurs, au terme d’une visite de quatre jours rendue au Tchad, au cours de laquelle il a inspecté les camps situés dans le désert à l’est du pays, le responsable onusien Raouf Mazou a confié que le HCR craint « la saison des pluies, qui va bientôt commencer et constituera un obstacle supplémentaire à l’approvisionnement pour leur venir en aide. »
Il a ajouté également : « Nous félicitons le Tchad pour sa solidarité » avec ces réfugiés, mais « le Tchad ne peut pas le faire tout seul ». C’est pourquoi « Nous exhortons la communauté internationale à partager ce fardeau avec les pays voisins du Soudan et à fournir un soutien urgent », a-t-il expliqué.
Il importe de rappeler que le 17 mai 2023, les Nations Unies et leurs partenaires ont lancé un appel de fonds de 3 milliards de dollars pour aider les millions de personnes au Soudan et les centaines de milliers d’autres qui ont fui vers les pays voisins, dont 470 millions de dollars sont consacrés « pour soutenir les réfugiés, les rapatriés et les communautés d’accueil dans les pays suivants :
• La République centrafricaine,
• le Tchad,
• l’Égypte,
• l’Éthiopie,
• ainsi que l’État du Soudan du Sud.
Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Tchad n’a pas caché ses préoccupations et ses soucis en affirmant que plus de 400.000 anciens et nouveaux réfugiés soudanais sont déjà accueillis dans 13 camps et au sein des communautés locales situées dans l’est du Tchad.
« C’est une course contre la montre pour les humanitaires » qui sont à pied d’œuvre pour venir en aide aux réfugiés soudanais, a affirmé Mme Laura Lo Castro représentante du HCR, depuis N’Djamena.
Dans le même temps, Marie-Hélène Verney, responsable du HCR au Soudan du Sud, a noté, pour sa part, que « le scénario le plus probable est celui de 45.000 réfugiés et surtout 125.000 retours de réfugiés sud-soudanais qui vivaient au Soudan ».
D’autre-part, la porte-parole du HCR à Genève, Olga Sarrado, a souligné que l’agence prévoit d’observer dans les jours à venir « les départs de nouveaux réfugiés soudanais vers les pays voisins, les retours de réfugiés qui étaient accueillis par le Soudan et les mouvements d’autres réfugiés accueillis par le Soudan vers d’autres pays voisins ».
Conséquences de la guerre « fratricide » au Soudan
Réfugiés soudanais dans un camp au Tchad
Face à ces scénarios d’afflux de réfugiés au Tchad surtout et au Soudan du Sud, les différentes agences de l’ONU ainsi que leurs partenaires ont annoncé qu’ils s’attèlent à déployer des équipes d’urgence le long de la frontière orientale avec le Soudan « pour répondre aux besoins urgents de protection et d’aide humanitaire ».
Si les combats s’étendent de jour en jour, de nouveaux quartiers de Khartoum et de nouvelles régions du pays, notamment dans le Darfour, seront aspirés dans un conflit qui couve depuis plusieurs mois.
« Des millions de civils sont ainsi pris dans les filets des combats et manquent rapidement de produits de première nécessité », a écrit vendredi l’ONG « International Crisis Group », qui affirme que « le conflit pourrait rapidement glisser vers une véritable guerre durable », contaminant les périphéries du Soudan, déjà exsangue, puis certains de ses voisins.
Craintes et prévoyances
L’ouest du Darfour a été particulièrement affecté par ce conflit qui a ravivé les tensions ethniques et intercommunautaires existantes. De lourdes pertes civiles y ont été signalées, ainsi que des pillages et des incendies d’infrastructures publiques et humanitaires, et notamment de camps pour personnes déplacées internes.
Alors que de plus en plus de réfugiés fuyant la violence au Soudan franchissent chaque jour la frontière avec le Tchad, nombre d’entre eux n’ont d’autre choix que de dormir en plein air, tandis que d’autres passent la nuit dans des abris de fortune situés à proximité de la frontière.
Pour ainsi dire, la présence de ces réfugiés vient accentuer la crise humanitaire qui sévit déjà au Tchad, un pays enclavé et confronté à une insécurité alimentaire généralisée, aux effets du changement climatique et à des conflits intercommunautaires.
Selon les Nations Unies, 6,9 millions de personnes, soit plus d’un tiers de la population tchadienne, ont besoin d’une aide humanitaire. Par ailleurs, avant même le récent afflux de réfugiés, le pays accueillait plus d’un million de personnes déracinées, dont 400.000 réfugiés soudanais dans l’est du pays.
« Nous allons continuer à fournir une aide humanitaire à la frontière et une fois que les réfugiés sont relocalisés », a ajouté Mme Lo Castro, tout en signalant que les populations d’accueil étant gravement touchées par la situation au Soudan, une certaine aide devra être apportée aux plus vulnérables d’entre elles.
Néanmoins, pour continuer à intensifier ses interventions, le HCR a besoin de 214 millions de dollars pour fournir une aide vitale aux personnes déplacées de force au Tchad, dont 72 millions de dollars sont nécessaires pour la réponse d’urgence aux réfugiés fuyant le conflit au Soudan.
Malheureusement, les besoins du HCR pour le Tchad ne sont actuellement financés qu’à hauteur de 16%, a détaillé le Haut-commissariat pour les réfugiés.
Ces Tchadiens qui résistent, qui ouvrent leurs portes et leur cœur aux réfugiés
Camp de réfugiés soudanais au Tchad
Les organisations onusiennes collaborent avec le gouvernement tchadien et ses partenaires pour assurer l’enregistrement des nouveaux arrivants et leur fournir l’assistance vitale qui a été acheminée par avion vers l’est du Tchad.
Il s’agit notamment de nattes de couchage, de moustiquaires, de savon et d’ustensiles de cuisine, en plus des services de protection tels que la prévention et la lutte contre la violence sexuelle et sexiste, l’identification des enfants les plus vulnérables et l’assistance aux personnes ayant des besoins spécifiques.
D’ailleurs, il a été constaté que beaucoup de Tchadiens ont ouvert leurs portes aux réfugiés soudanais, et ce malgré la précarité de leurs propres conditions de vie, et on note dans ce sens qu’une mère célibataire de cinq enfants, âgée de 44 ans, a confié avoir accueilli une cinquantaine de personnes chez elle, dans le village de Koufroune, au cours des dernières semaines.
Toutefois, en plus de fournir une aide d’urgence, le HCR et le gouvernement ont commencé à transférer les réfugiés vers un camp de réfugiés existant, situé à environ 50 kilomètres de la frontière, en prévision de l’arrivée prochaine de la saison des pluies.
Dernière rencontre de Raouf Mazou avec le Président de transition au Tchad
Le Haut Commissaire Assistant en Charge des Opérations du HCR, le Congolais Raouf Mazou, qui fût reçu en audience le 21 mai 2023 par le Président de Transition, Mahamat Idriss Deby Itno, a présenté ses remerciements et gratitudes au président de transition pour l’accueil et la solidarité envers les réfugiés soudanais qui ont trouvé refuge dans l’Est du pays.
Il a déclaré à l’issue de cette rencontre que « Le Tchad est un des pays du monde qui reçoit le plus grand nombre des réfugiés, notamment 600 000 personnes avant la crise du Soudan, et le chef de l’Etat nous a rassuré que cette politique de porte ouverte vis-à-vis des réfugiés va se poursuivre ».
D’après Raouf Mazou, les chiffres des réfugiés Soudanais dans le pays augmente rapidement et malheureusement il risque d’être dépassé.
Quand les réfugiés perdent l’espoir de retourner chez-eux au Soudan
Des enfants soudanais réfugiés pris en charge pour leur scolarité au Tchad
La guerre qui n’a pas l’air de se terminer, et les conséquences des affrontements qui ont causé beaucoup de dégâts et réduit en cendres des milliers de demeures, laissent un terrible pincement au cœur de ces Soudanais qui ont trouvé refuge au Tchad, et quelque part ailleurs, et qui n’ont plus aucun espoir de retourner chez-eux de sitôt.
« Le conflit n’est pas terminé, il n’y a aucune réconciliation en vue et les gens ont peur de rentrer chez eux », a témoigné une réfugiée. « Je demande à Dieu de faire régner l’entente entre les gens afin que ceux qui veulent rentrer chez eux puissent le faire dans le futur. »
Appui médiatique
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