Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. La présence militaire française au Tchad remonte à plus de 40 ans, alors qu’au jour d’aujourd’hui la France ne maintient qu’environ 950 soldats dispersés dans trois bases militaires, dont la base aérienne d’Adji Kossei dans la capitale N’Djamena, qui avait abrité la salle de commandement de l’Opération « Barkhane ».
Cette présence militaire est susceptible de s’accentuer, selon les médias français, après l’annonce du retrait des forces françaises du Niger, qui sont estimées entre 1.300 et 1.500 soldats français, qui y ont été transférés du Mali et du Burkina Faso, après avoir été expulsés par les autorités suite aux coups d’État survenus à la tête de ces pays.
Après que la France fût contrainte de quitter le Mali et le Burkina Faso et que sa présence au Niger est devenue impossible, il ne lui reste plus que deux pays dans l’alliance du G5 Sahel, notamment la Mauritanie et le Tchad qui, jusqu’à présent, n’ont pas encore exprimé (au niveau des autorités en place) une quelconque hostilité à l’égard de Paris.
La série de décisions d’expulsion successives reçues par les forces françaises des pays africains du Sahel se poursuit
Après le Mali et le Burkina Faso, les autorités militaires du Niger ont réussi à faire pression sur la France pour qu’elle évacue ses forces du territoire du pays. C’est ce qu’a annoncé dernièrement le président Emmanuel Macron : « Nous avons mis fin à notre coopération militaire avec les autorités de facto du Niger, car elles ne souhaitent plus lutter contre le terrorisme ».
Il n’échappe donc à personne que la France a des relations stratégiques très avancées avec le Tchad, et y dispose d’une base militaire. Ainsi, après sa sortie du Niger, il est très probable que Paris compte repositionner ses forces au Tchad.
C’est pourquoi, après avoir été expulsé du Niger, Paris devrait retirer ses forces vers le Tchad, son dernier point d’appui dans le Sahel africain. Néanmoins, face à cette réalité, la rue tchadienne a déjà commencé à bouillir comme de l’eau dans une cocotte-minute, exigeant l’évacuation de la France de son pays.
Pourtant, la France ne dispose plus que de quelques scénarios pour maintenir sa présence au Sahel. Parmi les plus marquants et les plus probables, selon les analystes, figure le retrait de ces forces vers leurs bases au Tchad, proche allié de Paris dans la région.
A noter que les parties civiles et politiques tchadiennes s’opposent à l’augmentation du nombre des forces françaises dans leur pays, ce qui les a incités à planifier un programme de lutte, qui comprend notamment un appel à de larges manifestations, pour faire avorter la décision qui pourrait être prise prochainement.
Ce n’est pas la première fois que ces acteurs agissent dans ce sens, puisque le Tchad a été témoin de manifestations en 2022 pour exiger le retrait de la France du pays.
Comprenons d’abord ce que signifie que la France retire ses forces du Niger vers le Tchad
Si ce scénario se réalise, la question demeure de savoir ce que signifie le retrait des forces françaises au Tchad, par rapport à la stratégie française en Afrique, ainsi que dans sa relation avec l’arène politique et sociale interne tchadienne.
Pour les spécialistes des affaires africaines, ce retrait « n’est rien d’autre qu’une extension d’un processus qui a eu lieu auparavant, lorsque Paris a retiré ses forces de la Centrafrique et que le Tchad en était le point d’accueil ».
Selon certains d’entre eux : « Il existerait une stratégie suivie par la France, qui consiste à maintenir ses forces stationnées en Centrafrique, et cette question est devenue claire lorsque la France s’est retirée du Mali vers le Niger et de la Centrafrique vers le Tchad ».
Les mêmes sources indiquent que : « Le Tchad fait partie des places fortes qui intéressent les Français, en raison de sa situation stratégique qui lui permet d’intervenir rapidement au Sahel, notamment au Niger et au Mali. Paris va donc s’accrocher au Tchad dans ce but, sachant que N’Djamena est considéré aussi comme un allié fort de Paris et ils ne peuvent pas y renoncer, d’autant plus que le régime au pouvoir au Tchad, depuis Idriss Deby jusqu’à aujourd’hui, a été effectivement un allié fiable et solide de la France ».
Tout ceci assure qu’il n’y a pas d’impact significatif de l’intervention française (dans le conflit interne pour le pouvoir au Tchad), hormis les informations des renseignements et les quelques frappes aériennes menées par des avions français contre des mouvements armés rebelles, comme le mouvement « Rassemblement des forces pour le changement », dirigé par Timan Erdimi.
Dans ce contexte, aujourd’hui, il importe de rappeler que la réconciliation avait bien été consommée avec Timan Erdimi, après la prise du pouvoir par Mahamat Idriss Deby, du fait qu’il est revenu au pouvoir et que lui et son mouvement tiennent désormais un ministère d’État au sein du gouvernement ».
Une présence française au Tchad qui rencontre un rejet populaire et des appels à manifester
La présence française au Tchad est considérée comme une extension de la présence occidentale dans son ensemble du côté du continent africain, et proche des pays qui ont commencé à tenter de se libérer de leurs liens avec la France, comme la Centrafrique et le Niger, et depuis la disparition d’Idriss Deby, les Tchadiens ne sont intervenus militairement nulle part. Même ces dernières semaines, lorsque les problèmes ont éclaté au Niger, ils ont refusé d’intervenir et ont soutenu le dialogue et les solutions diplomatiques.
Malgré ce bel accord entre Paris et les autorités tchadiennes, des sentiments de rejet de la présence militaire française dans le pays ont commencé à prendre de l’ampleur dans la rue tchadienne. Depuis 2022, le Tchad est devenu le théâtre de manifestations généralisées exigeant l’évacuation de l’ancien colonisateur, menées par des activistes civiles et politiques, à leur tête notamment le mouvement « Wakit Tama ».
Alors que l’on parle de plus en plus de la possibilité pour la France de déployer au Tchad ses forces retirées du Niger, les partis d’opposition se mobilisent de plus en plus pour barrer la route à cette solution, et le 28 septembre de cette année, ces partis ont signé une déclaration rejetant le fait que le Tchad devienne un camp pour davantage de forces françaises et exigeant l’évacuation des forces actuellement présentes dans le pays.
Un communiqué diffusé à l’occasion indique que les signataires ont accordé trois mois aux autorités tchadiennes pour mettre fin à la présence militaire française dans le pays, faute de quoi ce sera l’escalade et « des mesures et des manifestations à grande échelle seront prises dans tout le pays ».
Les accusations continuent de cibler la France
Wakit Tama aurait même confirmé, à travers l’un de ses membres, que : « L’armée française a joué un mauvais rôle en s’immisçant dans les affaires intérieures tchadiennes, et a contribué à déstabiliser les forces d’opposition à plusieurs reprises ».
En plus, le mouvement poursuit que : « Depuis le Tchad, l’armée française intervient régulièrement dans les pays africains et constitue une menace pour les forces populaires au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Les résultats de cette intervention ne sont pas positifs compte tenu des coûts et quant à l’insécurité qui augmente jusqu’à présent dans la région du Sahel ».
Il semble certain qu’un nouveau programme politique élaboré par Wakit Tama vise à lancer une large résistance populaire dans tout le pays contre la France et à expulser les armées occidentales.
Et dans ce contexte, toutes les parties civiles au Tchad auraient été rassemblées sous l’étendard d’une coalition unifiée, car, désormais, il s’agit d’un processus de mobilisation massive du peuple tchadien, notamment dans la capitale N’Djamena même.
Le piège africain de Macron
De son côté, Antoine Glaser – co-auteur du livre « Le piège africain de Macron » – estime que le style d’expression de Macron, « devenu de plus en plus dépourvu de diplomatie, révèle un agacement extrême. On remarque effectivement qu’il est dans le coin, et que la France est désormais tombée dans le piège du Sahel ».
Quant à Bakari Sambi, directeur de l’Institut Tombouctou de Dakar, a déclaré que « l’entêtement irréaliste de Macron, ainsi qu’un discours qui renforce l’impression de suivre une politique de tutelle, ont fait perdre la diplomatie française dans ce dossier ».
Il a ajouté : « La crainte de voir la situation au Niger affecter l’ensemble de la région a beaucoup pesé sur l’entêtement français. Malheureusement, la France se retrouve dans un cercle vicieux ».
Les mots de la fin
Pour conclure, on peut dire que face à l’incapacité des puissances régionales et internationales à dissuader les putschistes au Niger, les événements survenus à Niamey menacent d’avoir des répercussions qui pourraient inclure le Tchad voisin, devenu un refuge pour les forces françaises « exclues » de la région du Sahel africain, où Paris a considérablement décliné ces dernières années au profit de la Russie, qui utilise son bras militaire, « la société de sécurité privée Wagner », pour renforcer son influence.
Les spéculations se multiplient dans les milieux officiels tchadiens quant à la possibilité que la France demande le transfert de ses soldats qui comptent plus de 1.500 éléments au Niger vers le Tchad, compte tenu du sentiment croissant de colère populaire envers la présence française à Niamey, qui a incité les parlementaires de la capitale tchadienne, N’Djamena, à agir pour bloquer la voie à d’éventuels efforts français.
À la lumière des sentiments croissants de colère populaire et officielle à l’égard de la présence française dans la région, il n’est pas clair si cela conduira à l’effondrement des accords de défense franco-tchadiens, comme cela s’est produit au Mali et au Burkina Faso, où les forces françaises sont devenues parias de la région en échange de l’entrée en puissance de la société Wagner.
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