
Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. Dans prés de deux mois, les Tchadiens devront se diriger vers les centres électoraux pour choisir leur nouveau président de la république.
Bien que la date des élections présidentielles au Tchad, prévues pour l’année en cours, 2024, n’ait pas été définitivement fixée, l’atmosphère des débuts de la course présidentielle a déjà commencé avec la nomination par le Mouvement national pour la rédemption (le parti au pouvoir sous l’ancien président Idriss Deby) du Chef de l’autorité militaire de transition, le général Mahamat Idriss Deby, pour les prochaines élections.
Notre article tentera de mettre en lumière l’ambiance dans laquelle se dérouleront les prochaines élections présidentielles au Tchad et explorer les chances de succès de l’actuel président, Mahamat Idriss Deby, et la position de ses concurrents potentiels.
• Une transition parsemée d’entraves
En raison des moyens anticonstitutionnels par lesquels il est arrivé au pouvoir, Mahamat Idriss Deby s’est retrouvé confronté à un déficit de légitimité persistant. Après avoir accédé au pouvoir exécutif, il avait promis d’organiser des élections démocratiques dans 18 mois, mais, au lieu de maintenir cet engagement, il a organisé un dialogue national étroitement contrôlé par les loyalistes. Le dialogue a produit le résultat prévisible: la période de transition devrait être prolongée de deux ans supplémentaires et les dirigeants de la junte militaire seraient éligibles pour rejoindre le gouvernement civil ultérieur, ce qu’ils avaient initialement juré de faire.
Marquant la fin du mandat de 18 mois de la junte, les partis d’opposition, les dirigeants de la société civile et les Tchadiens ordinaires déterminés à se démocratiser et à revenir à l’ordre constitutionnel avaient organisé des manifestations le 20 octobre 2022, poussant l’armée tchadienne à réprimer violemment des manifestants non armés, tuant environ 300 personnes et en arrêtant des centaines d’autres.
Cependant, la junte a poursuivi sa transition autonome et ignoré les boycotts de l’opposition, organisant le référendum de décembre 2023 qui a adopté une nouvelle constitution, approuvé la participation des membres de la junte à un gouvernement élu et fixé des élections durant 2024. Cela faisait suite à une amnistie générale pour toutes les personnes responsables des violences d’octobre 2022 contre les manifestants. Le Tchad a largement reçu l’approbation de certains partenaires occidentaux pour mettre en œuvre de véritables réformes démocratiques, compte tenu du rôle notable du Tchad dans la stabilisation du Sahel. Parallèlement, les principaux acteurs africains craignent que l’instabilité au Tchad n’ait des répercussions sur ses six voisins. Un exemple clair de cela est que la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, dont le Tchad est membre, a exprimé des attentes modérées quant au respect des normes démocratiques par le Tchad.
Parmi les événements qui ont précédé l’année électorale, il y a eu la nomination de l’éminent leader de l’opposition, Succès Masra, au poste de Premier ministre de la junte. Masra, leader populaire du Parti réformateur du Développement et principal organisateur des manifestations d’octobre 2022, avait fui le Tchad après une violente répression de l’armée. De nombreux membres de son mouvement ont été tués ou arrêtés. La junte militaire a ensuite émis un mandat d’arrêt international contre Masra. Dans le cadre d’un accord négocié pour lui permettre de revenir d’exil, le mandat d’arrêt a été annulé et 72 membres de partis d’opposition détenus ont été libérés.
• Contexte général de ces élections
Il faut noter qu’après le référendum constitutionnel du 17 décembre 2023 et son large succès (près de 85 % de taux d’acceptation), les préparatifs pratiques et effectives des élections présidentielles prévues cette année ont commencé, sachant qu’elles se tiendront très probablement au cours des mois d’avril ou de mai 2024, c’est-à-dire , avant la saison des pluies, ce qui empêche le bon déroulement du vote dans certaines régions du pays.
Même si l’opposition avait précédemment exigé qu’aucun des membres du Conseil militaire de transition ne se présente, cependant la nouvelle constitution a ôté toutes les barrières devant le général Mahamat Deby pour se présenter aux prochaines élections. C’est ainsi que, le 13 janvier dernier, le parti du Mouvement national pour la rédemption a annoncé son soutien à ce dernier, pour être son candidat pour les prochaines élections présidentielles.
Néanmoins, le président Mahamat Idriss Déby n’a pas encore dévoilé ses intentions, ni son acceptation de ce soutien, toutefois tout laisse à croire qu’il répondra positivement à cette initiative, même s’il est prévu qu’il bénéficiera du soutien d’autres partis et formations politiques, de sorte qu’il ne se manifestera pas en tant que le seul candidat de l’ancien régime.
Dans ce contexte, et à l’approche de la date des élections, les autorités de transition s’efforceront sûrement d’établir des mécanismes de régulation de la course à la présidentielle, notamment en nommant les membres de l’Agence nationale de gestion des élections, qui est l’organe administratif indépendant chargé d’organiser les élections et d’en garantir la transparence et l’intégrité, et en nommant également, selon ses nouvelles normes, les membres du Conseil Constitutionnel, qui est l’arbitre de tous les litiges électoraux, outre l’Institution du Médiateur de la République et le Conseil Supérieur des Groupements Indépendants et des Chekhs Traditionnels.
Par ailleurs, l’Observatoire des organismes de supervision des élections, comprenant des associations civiles et des organisations de la société civile, a appelé à l’éloignement de toutes les personnalités politiques et partisanes de l’agence de gestion des élections et à la nomination de personnes indépendantes capables d’assurer la crédibilité des futures élections.
Il ne fait donc aucun doute que les prochaines élections présidentielles constitueront un moment de changement qualitatif dans le cours de la crise politique tchadienne et une étape importante sur le chemin de la reconstruction constitutionnelle et institutionnelle, entamée après l’assassinat de l’ancien président Idriss Deby (le 20 avril 2021).
• Candidats potentiels
Bien qu’il soit trop tôt pour dresser un schéma relatif aux candidatures pour les prochaines élections présidentielles, il est probable que quatre personnalités qui ont récemment dominé la scène politique tchadienne se présenteront aux prochaines élections:
-Mahamat Idriss Deby, 40 ans.
Deby fils a été choisi pour succéder à son père, Idriss Deby, au mois d’avril 2021, à la tête d’un conseil militaire de transition, en « violation flagrante » des dispositions de la Constitution qui prévoient un statut transitoire dirigé par le président du Sénat.
Immédiatement après son investiture, il a entamé la dissolution du Parlement et du Gouvernement, la suspension de la Constitution et la nomination des membres du Conseil de transition en septembre 2021.
Un an plus tard, précisément en août 2022, un dialogue politique global a débuté à Doha pour se poursuivre après à N’Djamena, concluant une prolongation de la phase de transition de deux ans tout en permettant aux membres du Conseil de transition de se présenter au pouvoir.
Descendant de la tribu Zaghawa du côté de son père et de la tribu Qaraan du côté de sa mère, deux tribus guerrières très répandues également au Soudan et en Libye, Deby fils est marié à la fille de l’ancien président tchadien Goukouni Weddeye.
-Albert Pahimi Padacké, 57 ans.
Il était le Premier ministre sous le règne du président Idriss Deby Itno (2016-2018) et Premier ministre désigné par le Conseil militaire de transition en mai 2021. Il a participé à plusieurs reprises aux gouvernements de l’ancien président Idriss Deby avant de passer à l’opposition. Leader du parti « Rassemblement national pour la démocratie au Tchad – la Conscience », il a participé aux dernières élections présidentielles, en dernier lieu aux élections de 2021 auxquelles il est arrivé en deuxième position. Il a appelé au boycott du récent référendum constitutionnel, mais il n’est pas improbable qu’il participe aux prochaines élections présidentielles.
-Saleh Kebzabo, 76 ans.
C’est un journaliste de renom et chef du parti de l’« Union nationale pour la démocratie et le renouveau ». Il a été nommé plusieurs fois ministre dans les gouvernements d’Idriss Deby et assumé le ministère des Affaires étrangères, il a participé à plusieurs élections présidentielles et est arrivé deuxième aux élections de 2016. Kebzabo était considéré comme le leader de l’opposition dans les dernières années du règne du président assassiné.
En octobre 2022, il fût nommé Premier ministre du Conseil militaire de transition et adopte un vote positif sur la nouvelle constitution.
-Succès Masra, 40 ans.
Masra est un économiste et un homme politique de grande renommée, qui a fondé en avril 2018 son mouvement actif « Les Transformateurs », et s’est fermement opposé à la candidature de l’ancien président Idriss Deby en 2021.
Il a dirigé le mouvement de protestation contre le Conseil militaire de transition et a exigé sa dissolution.
Lui et ses alliés de la coalition « Wakit Tama » ont boycotté les séances du dialogue national, et ses partisans ont subi une répression féroce en octobre 2022. Après ces événements, il a quitté le Tchad et un mandat d’arrêt international a été émis contre lui, mais il est revenu dans le pays en novembre 2023 suite à une médiation réussie du président congolais Félix Tshisekedi.
Masra a appelé à la ratification de la nouvelle constitution et a été nommé Premier ministre début janvier 2024 (poste qu’il occupe à ce jour).
-Idée sur les prévisions et les attentes
Devant toutes ces situations ainsi que les divers scénarios possibles ou imprévisibles, il semblerait que les chances de succès de Mahamat Idriss Deby aux prochaines élections soient grandes, compte tenu de la présence d’une large base populaire et politique qui le soutient, sans compter le soutien de l’Institution militaire dont il fait partie.
Par ailleurs, les milieux français, qui ont une forte influence sur l’équation interne tchadienne, seront probablement favorables à son maintien au pouvoir. On s’attend d’ailleurs à ce qu’il remporte un peu plus que 50% des voix dans ces élections présidentielles, malgré les futurs défis et difficultés que cette victoire engendrera, face à l’activité de protestation des forces politiques internes et des mouvements armés externes.
S’il est difficile de déterminer les positions des autres candidats, les chances de l’actuel Premier ministre Succès Masra d’obtenir la deuxième position semblent fortes, et les élections pourraient conduire au maintien de la coalition actuelle dans le cadre d’un gouvernement national élargi qui s’efforce de compléter le dialogue national interne et de convaincre les partis d’opposition radicale.
Evidemment, le jour « J » sera décisif et rendra le verdict final. Nous y reviendrons bien entendu sur les résultats du scrutin.
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