
Africa-Press – Tchad. Malgré le black-out médiatique qui entoure le déroulement des travaux du « pré-dialogue » à Doha (Qatar), qui ont démarré le 13 mars 2022, entre le Gouvernement tchadien et des composantes de l’opposition armée, pour être suspendus la même journée et reprendre 72 heures après, puis reportés encore une fois pour 48h et qui n’ont pas toujours repris, les yeux d’une très grande frange de la population a les regards braqués sur la Capitale qatarie.
A noter que ces négociations consultatives entre le Comité du dialogue, qui comprenait des représentants du Conseil militaire de transition et des forces d’opposition représentées par certains mouvements armés tchadiens, menés par le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), se sont tenues d’abord à Khartoum avant que les parties ne se rencontrent de nouveau à Doha, en février dernier, avec l’objectif de s’accorder sur les modalités définitives du dialogue national global.
Pour rappel, à l’époque du président Deby (aujourd’hui disparu), les dirigeants de l’opposition tchadienne résidaient à Khartoum avant de s’installer à Doha, après un accord entre Khartoum et N’Djamena conformément à l’initiative de paix entre les deux pays engagée en 2009.
Il est probable que le report du dialogue par le président tchadien soit lié à la complexité de la situation politique interne résultant du conflit entre le Nord du pays, l’Est musulman et le Sud chrétien, en plus des complications ethniques, puisque plus de 200 ethnies différentes vivent au Tchad, parlant 100 dialectes locaux, avec les deux langues officielles, l’arabe et le français.
Mais il y a une ambiguïté autour de cette question qui peut accroître la gravité de la situation politique dans le pays, surtout s’il s’avère que ce report est une échappatoire de Mahamat Idriss Deby à ces enjeux au regard de ses positions qui semblent moins sévères et décisives que son père, alors que le Conseil militaire des officiers supérieurs, compagnons du règne de Deby père, lui assure la protection nécessaire et l’aide à prendre des décisions
Toutefois, bien que les forces tchadiennes sont soutenues par l’appui français, il semble que la situation indique la poursuite du conflit et de l’instabilité politique, ce qui rend probable l’échec du dialogue, d’autant plus que le gouvernement a attiré des groupes politiques qui lui sont alliés, et cela se fait au détriment de la représentation de l’ensemble des forces de l’opposition, car il était prévu que la participation au dialogue serait ouverte à environ 300 personnes, représentant le Conseil militaire de transition et les mouvements armés tchadiens.
L’enchevêtrement des éléments d’opposition

Le pré-dialogue tchadien entre le gouvernement et les groupes politico-militaires, qui a été reporté une deuxième fois pour 48 h, devait reprendre normalement le samedi 19 courant à Doha, mais jusqu’à ce jour les travaux restent suspendus pour maintes raisons, sachant que les participants continuent de travailler sur les délégués qu’ils vont proposer.
Logiquement, les travaux pourraient reprendre ce lundi, une fois que les nombreux points de discorde, dont les points inscrits à l’ordre du jour et la question du nombre de représentants des 52 mouvements* politico-militaires présents à Doha, soient clarifiés.
Le Qatar, quant à lui, censé assurer la médiation, leur a donné quelque temps pour désigner 10 délégués de part et d’autre par le gouvernement et les groupes armés, qui devront mener les négociations au cours de ce pré-dialogue, mais la date exacte n’est pas encore connue.
*N.B : Les représentants des 52 mouvements politico-militaires présents à Doha ont été répartis en deux groupes:
a) celui de « Rome », des 22 mouvements qui s’étaient déjà réunis sous l’égide de la communauté Sant Egidio avant de se rendre à Doha,
b) et celui du « groupe de Doha » regroupant une trentaine de mouvements.
A quoi les Tchadiens devraient s’attendre ?

On doit sûrement s’attend à ce que le dialogue qui se tiendra entre le Gouvernement tchadien et l’opposition révèle ce à quoi le pays pourrait aboutir :
• Soit à un dialogue réussi avec orientation de la transition vers la démocratie,
• Soit à l’échec du dialogue et le retour des forces de l’opposition à leurs activités politico-militaires, et ce sera l’occasion pour le conseil militaire de prolonger la période de transition.
Cette dernière possibilité permettrait à la junte militaire d’imposer une politique répressive supplémentaire d’où résulteraient de nombreuses répercussions.
Cependant, on voit mal comment Mahamat Idriss Deby et le Conseil militaire derrière lui pourraient gérer le pouvoir dans le pays, autrement qu’en faisant pression sur l’opposition et en ignorant ses revendications, dont la priorité est d’améliorer les conditions de vie. Néanmoins, le président tchadien a encore le temps de faire preuve de souplesse face à la complexité et à la diversité des éléments de l’opposition.
Certains partis politiques, et à leur tête l’Union nationale pour la démocratie et le Parti des libertés et du développement, avaient déjà mobilisé la rue et les organisations de la société civile et organisé un certain nombre de manifestations exigeant la démission du Conseil militaire de transition.
Pour revenir au pré-dialogue, il est important de noter que dès l’ouverture de ses travaux, le dimanche 13 mars 2022 à Doha, le Premier ministre du gouvernement de transition du Tchad, Albert Pahimi Padacké, a appelé les parties tchadiennes à déposer les armes, à cesser les combats, et à faire des concessions pour la paix.
« Nous devons déposer les armes, surmonter le désir de vengeance, abandonner les rancunes et faire preuve d’un véritable courage en baissant les armes au nom de la paix et s’élever au-dessus de tout ce qui nous divise au profit du Tchad, ce qui exige des concessions de tous », a-t-il indiqué.
Seulement, selon le statu quo, la recherche d’une solution par le dialogue dépend des garanties que peut apporter le Conseil militaire tchadien quant à la participation politique des forces de l’opposition. La situation exige également que ces forces fassent preuve d’un engagement à ne pas reprendre les combats.
A ne pas oublier qu’il existe également des calculs régionaux, du Soudan et de la Libye, qui ont tendance à préférer soit le maintien du conseil militaire de transition, soit la poursuite d’un dialogue qui pourrait conduire à un gouvernement civil de forces politiques bien connues ou à d’autres qui apparaîtraient avec les élections.
Conditions sine qua non posées par le leader du FACT Mahamat Mahdi Ali

Le leader du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), l’un des principaux groupes armés tchadiens, Mahamat Mahdi Ali, qui a évoqué la question de leurs prisonniers de guerre, des crimes de guerre, et du cessez-le-feu unilatéral, tout en évoquant le problème de la sécurité des leaders des groupes-politico militaires qui prennent part à ces négociations de Doha et à N’djamena en mai, a posé deux conditions :
• « Nous exigeons entres autres l’égalité entre le gouvernement de transition et les groupes politico-militaires dans les négociations pour le dialogue national inclusif (DNI) prévu en mai prochain »,
• « Le Qatar doit être un intermédiaire incontournable dans ces négociations de Doha et celles de mai prochain »,
Les parties tchadiennes vont-elles vers un « consensus » dans l’intérêt de leur pays, ou bien se dirigent-elles directement vers une « confrontation » musclée dans le désintérêt de leur peuple ?
Anouar CHENNOUFI
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