Succession politique de père en fils en Afrique : quand la République devient héréditaire

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Succession politique de père en fils en Afrique : quand la République devient héréditaire
Succession politique de père en fils en Afrique : quand la République devient héréditaire

Africa-PressTchad. Le 20 avril 2021, Mahamat Idriss Déby Itno succédait à son père, le président du Tchad Idriss Déby, quelques heures après l’annonce de son décès. Le fils, adoubé par un Conseil militaire, prenait la tête de l’État tchadien dans une sorte de transition monarchique qui ne dit pas son nom. Ce n’est pas la première fois qu’un fils de président succède à son père, chef de l’État en Afrique dans des conditions loin d’être démocratiques. Et ce n’est sans doute pas la dernière. Analyse

Les soubassements de ces successions de père en fils sont décryptés dans cette interview croisée, par les politologues Gilles Yabi et Christopher Fumunyoh. Le premier, docteur en économie du développement, est fondateur et président du think tank citoyen, Wathi, à Dakar. Le second est le directeur Afrique du National Democratic Institute (NDI), à Washington DC.
TV5 Monde : Mahamet Deby, fils d’Idriss, a été choisi pour diriger le Conseil militaire de transition au Tchad avec la “bénédiction” de la France. Dans le contexte actuel au Tchad (rébellion, sécurité au Sahel), la succession du père par le fils était-elle la meilleure solution selon vous ?

Gilles Yabi : Evidemment non ! C’est peut-être même la pire solution, à l’exception du scénario d’un affrontement violent pour la succession et du chaos. Je pense qu’il faut voir dans ce qui s’est passé au Tchad, deux problèmes. Le premier, c’est qu’on a une prise de pouvoir par un conseil militaire. On a donc de fait un coup d’État militaire puisque ce qui était prévu par la constitution, c’était une présidence intérimaire assurée par le président de l’Assemblée nationale. La thèse officielle est que ce dernier a renoncé à assumer cette responsabilité, mais cela ne justifiait pas la prise de pouvoir par les militaires, en dehors de tout cadre constitutionnel. Le deuxième problème, c’est qu’on a une prise de pouvoir, non seulement par les militaires, mais par aussi le fils du défunt président Déby, placé à la tête du conseil militaire. C’est une circonstance aggravante parce que cela donne le sentiment que, même parmi les généraux qui pouvaient prendre le pouvoir, c’est la filiation directe qui pouvait donner la plus forte légitimité. Avec son jeune âge (37 ans), et malgré son haut grade militaire, le fils d’Idriss Déby a forcément une expérience moins importante que celles d’autres généraux, membres du Conseil militaire de transition.

Je pense que cela pose un vrai problème, du double point de vue symbolique et politique. Le signal donné est celui d’un pouvoir qui s’hérite et on a vu que dans beaucoup de pays où on a assisté à ce scénario, les fils qui ont hérité du pouvoir – en bénéficiant de la hiérarchie militaire – se sont imposés ensuite par des élections manipulées et se sont installés pour longtemps. C’est le cas de Faure Gnassingbé au Togo qui est toujours au pouvoir, alors que son père avait passé 38 ans à la tête du pays. Je crois qu’il faut bien apprécier la portée et la gravité du signal politique qui est donné au Tchad avec cette succession de père en fils. Même une prise de pouvoir par un militaire autre que le fils, tout en étant indéfendable, aurait donné un signal quelque peu différent.Christopher Fumunyoh : Non. Certes, les défis auxquels le Tchad est confronté sont complexes, ce qui demande aussi des propositions de solution plus holistique qui tiennent compte non seulement de la dimension sécuritaire, mais aussi de l’État de droit, de la démocratie et des libertés des citoyens. On l’a vu lorsque l’ancien chef d’État centrafricain, Michel Djotodia est tombé en 2014, qu’un consensus a été vite trouvé pour une transition gérée par un civil, et de surcroît une dame en la personne de Mme Catherine Samba Panza. Et cela a permis au pays de connaître une stabilité et d’organiser des élections inclusives et crédibles. Cela été le cas aussi au Burkina Faso lorsque Blaise Compaoré est tombé en 2014 et au Mali après la chute du président Amadou Toumani Touré en 2012.
Tous ces pays étaient confrontés aux menaces sécuritaires multiformes, mais ce qui a permis de tenir, c’était non pas la transmission du pouvoir du père au fils, mais plutôt le consensus qui s’est développé pour que la transition soit gérée par une personnalité neutre, impartiale et surtout à même de faciliter l’enracinement de la démocratie et l’exercice des libertés.

 

Tchad : qui est Mahamat Idriss Déby Itno, nouvel homme fort du pays ? TV5 Monde : Justement, il y a Faure Gnassingbé (Togo), Ali Bongo (Gabon), avant Joseph-Désiré Kabila (RDC), et maintenant Deby. Est-ce si “facile” de succéder à un père président en Afrique ?

Gilles Yabi : « Facile ?» Je ne dirai pas. Si on considère l’ensemble des pays du continent, les fils de président devenus présidents restent très minoritaires. Restons toujours respectueux des faits et de la diversité politique du continent. Les cas connus sont bien ceux que vous citez : Ali Bongo (Gabon), (Faure) Gnassingbé (Togo) ou (Joseph-Désiré) Kabila (RD Congo), avec des nuances plus ou moins importantes dans l’histoire politique de ces pays. Les successions de père en fils se font dans le contexte de pays qui ne sont pas démocratiques dans leur fonctionnement réel, même lorsqu’ils le font formellement. Ce sont des pays où les pratiques politiques se caractérisent par une totale concentration du pouvoir dans les mains du président.

Cela implique que lorsque le président disparait, sa famille, son clan, détient tous les instruments, tous les moyens de conserver le pouvoir et accessoirement les ressources. Les successions de père en fils sont le reflet des pratiques politiques réelles caractérisées par l’absence de démocratie et d’État de droit. Dans les pays où, l’État de droit s’est un peu plus installé, où il y a quelques institutions indépendantes et un peu plus de respect pour la constitution, il est forcément beaucoup plus difficile d’avoir un fils qui devient président lorsque son père décède en dehors de tout processus démocratique.

Il faut voir aussi que dans certain cas, comme au Togo, il y a eu une forme de transition factice qui a permis au fils de devenir président à la suite d’élections qui se sont passées dans un contexte de violence. En réalité, c’est la concentration de pouvoir, la possibilité d’usage de la force, de répression, plus les moyens financiers, qui sont disproportionnées et sont dans les mains du groupe qui est au pouvoir. Ce sont toutes ces pratiques qui permettent d’imposer une succession familiale dans un certain nombre de pays. Teodorin Obiang (capture d’écran) / TV5MONDE

Christopher Fumunyoh : Malheureusement, les exemples que vous citez se trouvent être tous en Afrique francophone, ce qui devrait nous pousser à une interrogation plus aiguë par rapport à la pratique de la démocratie et au respect de la constitution dans ces pays-la. N’oublions pas que l’Afrique a aussi perdu des présidents en exercice au Nigeria, au Malawi et tout récemment en Tanzanie, et dans aucun de ces pays de tradition anglo-saxonne, les gens n’ont pensé aux fils pour remplacer leurs pères. La pratique de la démocratie, c’est plus que des slogans; ça passe par le respect mutuel de l’égalité des chances aux autres pour gérer la chose publique et donc l’État qui, en fin de compte, appartient à tous.

TV5 Monde : Aujourd’hui, en Afrique, il y a encore des pays où la tentation de succession monarchique se fait sentir…Gilles Yabi : Je ne travaille pas spécialement sur les familles présidentielles en Afrique pour pouvoir identifier avec précision les scénarios de succession monarchique envisageables. Mais si on regarde les présidents qui sont au pouvoir depuis très longtemps, on pense par exemple à la Guinée équatoriale où la gouvernance de Teodoro Obiang Nguema a toujours été clanique, voire familiale. On sait qu’un de ses fils (Teodorin Nguema Obiang Mangue) est déjà vice-président et protégé par son père, malgré les nombreuses controverses qu’il suscite par son train de vie. On voit mal un scénario de d’alternance démocratique en Guinée équatoriale dans les conditions politiques actuelles.

L’autre pays d’Afrique auquel on peut penser, toujours en Afrique centrale, c’est le Cameroun. Le président Paul Biya est au pouvoir depuis plusieurs décennies. Là aussi, on peut penser qu’un scénario de succession de père en fils ne soit pas impossible. Ces derniers mois, un des fils du président, Franck Biya, fait de plus en plus parler de lui. On ne peut pas exclure qu’il y ait cette tentation au Cameroun, mais ce sera à mon avis beaucoup plus difficile et plus risqué qu’en Guinée équatoriale par exemple. En République du Congo, Denis Christel Sassou Nguesso est député depuis 2012, a occupé des postes stratégiques dans le domaine du pétrole et ce ne serait point surprenant qu’il se positionne en successeur de son père qui cumule plus de trente ans au pouvoir. Au Gabon, le fils d’Ali Bongo, et petit-fils d’Omar Bongo, Nourredin Bongo, est actuellement coordinateur général des affaires présidentielles. On ne pourra reprocher à personne de considérer comme possible un éventuel plan de succession de père en fils.
En Afrique de l’Ouest et dans les autres régions du continent, il y a quand même moins de chances de voir ce type de succession monarchique, sauf dans les monarchies constitutionnelles formelles. Je pense que cela reflète les différences de traditions politiques, les différences dans les degrés de respect de l’État de droit et de la constitution. En Afrique de l’Ouest, il y a eu de nombreuses alternances démocratiques, et malgré les signaux de plus en plus inquiétants dans beaucoup de pays de la région, il est beaucoup plus difficile et risqué pour les chefs d’État de tenter d’imposer un de leur fils lorsqu’ils quittent le pouvoir. Cela n’a pas été un succès au Sénégal par exemple sous Abdoulaye Wade. Dans la région, des fils de président peuvent bien sûr s’engager en politique et prétendre comme tous les citoyens à la plus haute fonction mais la filiation est probablement davantage un handicap qu’un atout.
Christopher Fumunyoh : Je n’ose même pas imaginer que les personnes raisonnables vont continuer à faire prospérer des réflexions pareilles au sein de leur famille biologique et politique. Pour moi, c’est de la folie pure et simple. Et dans l’ère de la démocratie pluraliste actuelle en Afrique, cela ne passerait pas facilement sans casse. Chargement du lecteur…

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