Tchad / Israël : un rapprochement diplomatique après prés d’un demi-siècle

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Tchad / Israël : un rapprochement diplomatique après prés d’un demi-siècle
Tchad / Israël : un rapprochement diplomatique après prés d’un demi-siècle

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. Le rétablissement des relations entre le Tchad et Israël vient d’être concrétisé le 1er Février 2023, notamment à travers la visite effectuée à Tel-Aviv par le Président de la Transition du Tchad (faisant fonction de Président de la république), Mahamat Idriss Deby, qui a inauguré officiellement l’ouverture de l’ambassade de son pays dans l’Etat hébreu.

Cette démarche intervient à un moment où les deux pays visent, depuis très longue date, à refléter une nouvelle phase de rapprochement tchado-israélien dans le cadre d’efforts conjoints visant à renforcer les relations bilatérales entre les deux pays, et ce, après une période d’interruption qui s’est prolongée pendant plusieurs décennies.

Il s’agit également de la première visite effectuée par Deby Jr. en Israël, depuis son ascension au pouvoir après avoir succédé à son père, Idris Deby Itno, mort au combat en mai 2021.

A noter que le Président tchadien a rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahu, le président israélien Isaac Herzog, le patron du Mossad, David Barnea, ainsi que le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant.

Mais il semble par contre qu’Israël n’a pas l’intention d’ouvrir de sitôt une ambassade à N’Djamena, du moins pour le moment, sachant que la partie israélienne a déjà nommé un ambassadeur non résident au Tchad, depuis mai 2022.

Retour sur une page de l’histoire


Siège de l’ambassade de la République du Tchad à Tel-Aviv

Pour bien analyser l’étendue et l’importance de cette « liaison », il importe de rappeler que l’Etat hébreu entretenait d’excellentes relations dans les années 60 avec de nombreux pays africains, à l’aube de la décolonisation et de l’indépendance de ces États, dont évidemment le Tchad.

Toutefois, ces relations avaient été interrompues au lendemain de la guerre des Six-Jours en 1967, sous l’influence des pays arabes nord-africains, et surtout à cause de la forte pression exercée par l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, sur la base d’une logique de solidarité africaine et tiers-mondiste.

Le Tchad avait donc suspendu ses relations en 1972, en raison du conflit israélo-arabe. Néanmoins, de son vivant, le président Idriss Deby s’était rendu dans la capitale israélienne dans le cadre de la première visite d’un chef d’État tchadien en Israël, un dimanche 25 novembre 2018, soit après 47 ans de rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.

Une fois arrivé en Israël, Idriss Deby avait rencontré à l’époque le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, qui avait qualifié la visite du dirigeant tchadien d’« historique », sachant qu’elle fût rendue possible après d’énormes efforts diplomatiques fournis par le chef du gouvernement israélien.

Pour sa part, le directeur du Centre des affaires publiques et de l’État (CAPE, gouvernemental israélien), Dore Gold, avait considéré que « le Tchad est un pays très important en Afrique, et en tant que force positive pour la stabilité dans la région ».

Pour beaucoup d’observateurs, d’experts et de diplomates internationaux, la visite de Deby père en novembre 2018 était considérée comme un tournant stratégique dans le cours des relations entre les deux parties, d’autant plus qu’elle a été suivie par la visite de Benjamin Netanyahu à N’Djamena, en janvier 2019, lors de laquelle il avait annoncé le rétablissement des relations diplomatiques bilatérales.

Selon des informations émanant de divers responsables tchadiens, la visite d’Idriss Deby « visait à discuter de questions essentiellement sécuritaires », et ceci a été confirmé par le journal israélien « Haaretz » qui avait écrit à cette époque que « Tel-Aviv aurait fourni des armes à l’armée tchadienne pour combattre les rebelles dans le nord du pays », au cours de l’année 2019.

Un peu plus tard, Netanyahu, pour mieux projeter son pays sur le continent africain, s’est attaché au slogan « Israël revient en Afrique…et l’Afrique revient en Israël », slogan que le Premier ministre israélien a utilisé durant sa campagne électorale.

La reprise


Les présidents tchadien et israélien : Deby Jr. Isaac Et Herzog

Aujourd’hui Kadhafi n’étant plus là, cela a permis ainsi aux relations de reprendre, et le Tchad a rétabli ses relations diplomatiques avec Israël dès 2019.

Ainsi, on peut affirmer qu’il s’agit de la deuxième visite d’un président tchadien en Israël au cours de plus d’un demi siècle, une visite placée aussi au niveau d’une étape hautement symbolique qui traduit une victoire diplomatique pour Israël à la lumière des efforts de la diplomatie israélienne, pour marquer des points positifs supplémentaires dans ses relations avec les pays africains à majorité musulmane, tel que le Tchad.

Le rapprochement tchado-israélien : Quels motifs ?

Pour comprendre les raisons du rapprochement stratégique entre le Tchad et Israël ces dernières années, ayant abouti à la visite de Mahamat Idriss Deby à Tel-Aviv, on se doit d’analyser diverses motivations des deux pays.

• Motifs tchadiens

On peut dire que les principaux motifs de rapprochement de N’Djamena avec Israël peuvent être mentionnés comme suit :

-/- Le maintien de Mahamat Deby au pouvoir

C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’ont poussé à rechercher l’appui et le soutien d’Israël pour renforcer son influence interne dans le pays, en prélude à son maintien au pouvoir après la tenue des élections présidentielles, une fois que la période de transition dans le pays ait pris fin. Avec les défis internes croissants auxquels l’autorité de transition au Tchad est confrontée au cours de la période récente, le pays sahélien pourrait bénéficier de l’expertise israélienne dans divers domaines.

Peut-être les plus importants d’entre eux sont : Le soutien à la phase de transition, l’expertise militaire et l’échange d’expériences, notamment dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et transnationale, ainsi que le soutien dans les domaines de l’économie, de la santé, de l’éducation, de l’innovation technologique, des technologies agricoles et de l’eau, aussi bien des énergies renouvelables.

-/- Le soutien américain au régime de Deby Jr., entre-autres

Cela devrait se faire en se basant sur Israël dans le rapprochement avec Washington, avec lequel elle est liée par une alliance stratégique, dans le but d’améliorer l’image du jeune régime Deby auprès des Etats-Unis, et de s’assurer que Washington ne s’oppose pas à son maintien au pouvoir après la fin de la période de transition, surtout à la lumière du déclin de l’influence française dans la région.

-/- Le Tchad : un point de transit pour consolider l’influence israélienne sur le continent

Il semble que le Tchad veuille se présenter à Israël comme un point de transit pour son incursion dans les profondeurs de l’Afrique, notamment dans la région sahélo-saharienne. En plus de rassurer Israël que le Tchad se tient à ses côtés sur la question de l’adhésion à l’Union africaine en tant qu’observateur, « projet » qui a été suspendu lors du sommet de l’Union africaine en février 2022, et ce après la division ressentie au sein des États membres. Il convient donc de noter que le Tchad a voté en faveur de l’adhésion d’Israël à l’Union africaine en tant que membre observateur en 2021.

-/- Renforcer la coopération dans divers domaines

N’Djamena souhaiterait bénéficier de l’expérience offerte par Israël aux pays africains, notamment en matière de coopération économique, sécuritaire et technologique, et attirer davantage d’entreprises israéliennes au Tchad, d’autant plus qu’Israël promeut sa possession d’une compétence de pointe dans les domaines de l’agriculture pour assurer la sécurité alimentaire et la technologie, sa force de créer des opportunités de développement pour les Africains, en plus de la sécurité afin de lutter contre le terrorisme pour assurer la paix régionale et la stabilité dans la région.

-/- Bénéficier de l’expérience israélienne en matière de sécurité

Il importe de noter que le régime au pouvoir au Tchad est convaincu de l’importance de renforcer la coopération en matière de sécurité et de renseignement avec Israël, qui a récemment pu, selon certaines informations publiées dans ce sens, découvrir des liens liant certaines parties internes au Tchad avec des éléments affiliés à l’Iran, le Hezbollah et le mouvement palestinien Hamas. Ceci est conforme au fait qu’Israël se présente comme un partenaire de sécurité important pour les pays africains, et valorise son expérience dans le domaine de la lutte contre le terrorisme tout en possédant des moyens technologiques d’écoute et de surveillance, en plus du rôle des sociétés de sécurité privées pour développer la performance de la garde présidentielle et les unités d’élite dans certains pays africains, dont évidemment le Tchad.

• Motifs israéliens

De l’autre côté, les principales raisons du rapprochement d’Israël avec le Tchad peuvent être traduites comme suit :

-/- La position stratégique du Tchad

Ce pays est situé au cœur de l’Afrique, et constitue une porte d’entrée importante, sinon un tremplin vers les profondeurs africaines au Sahel, en Afrique de l’Ouest et du Centre. Il représente également un point de contact stratégique avec certains pays arabes, en raison de son voisinage direct avec les États du Soudan et de la Libye, et indirectement avec les États de l’Égypte et de l’Algérie. Cela en fait donc une extension stratégique des intérêts stratégiques égyptiens et arabes.

-/- Renforcer la présence israélienne sur le continent

Il est certain qu’Israël cherche à étendre sa sphère d’influence en Afrique à la région du Sahel, et cherche également un point d’ancrage stratégique, pour tenter de combler le vide, surtout après le retrait progressif de la France de certains pays de la région au cours de la période récente, et l’escalade de la concurrence internationale et régionale dans ce pays.

Par conséquent, les démarches israéliennes visent à essayer de posséder des atouts de pression pour négocier avec certaines puissances actives dans la région, comme la Russie, sur un certain nombre de dossiers dans d’autres régions stratégiques, comme le Moyen-Orient.

-/- Elargir le cercle des relations avec les Africains

Israël estime aussi que la normalisation des relations avec le Tchad représentera une belle opportunité pour élargir le cercle des alliés africains qu’Israël pourra employer à l’avenir dans la défense de ses causes, et pour améliorer le bilan des Africains à voter sur des questions liées à Israël dans des forums internationaux tels que les Nations Unies et l’UNESCO, en plus d’ouvrir la voie au renouvellement de la demande d’adhésion d’observateur à l’Union africaine au cours de la période à venir. Dans le même temps, l’Etat hébreu espère réduire le soutien africain et briser le bloc électoral africain soutenant la cause palestinienne. A noter qu’en 2022, le Tchad était absent du vote de l’Assemblée générale des Nations Unies pour renvoyer le conflit palestino-israélien à la Cour internationale de Justice.

-/- Pénétration du bloc des pays de l’opposition en Afrique

Il semble qu’il y ait une nouvelle campagne israélienne de polarisation en Afrique, afin de pénétrer la résistance africaine de la part de certains pays africains à majorité musulmane pour normaliser avec eux, comme le Mali et le Niger.

-/- Réduction de l’influence iranienne dans la région

Israël cherche entre-autres à affronter l’Iran et ses armes étendues, en particulier le Hezbollah, dans la région du Sahel, en particulier après que des rapports des services de renseignement israéliens aient indiqué que des éléments du mouvement palestinien Hamas auraient coopéré avec des éléments de la communauté libanaise en Afrique avec le soutien de Téhéran et du Hezbollah, et a confirmé avoir des relations avec des partis arabes et islamiques à l’intérieur du Tchad, et cela menace les intérêts d’Israël dans la région. La visite de Deby Jr. en Israël a revêtu donc une importance particulière, d’autant plus qu’elle a coïncidé avec la visite du ministre iranien des Affaires étrangères en Mauritanie, qui témoigne de l’ampleur de la concurrence entre les deux camps sur la scène africaine.

-/- Larges perspectives de coopération économique

L’autre point qui ne manque guère d’importance, c’est le facteur économique qui représente un motif majeur de l’incursion israélienne au Tchad et dans la région du Sahel, compte tenu des efforts israéliens pour obtenir une part du pétrole tchadien en contribuant aux opérations d’exploration pétrolière et minière, et en assurant la logistique et assistance militaire aux forces tchadiennes qui protègent les champs pétrolifères, à la frontière avec le sud de la Libye. En plus de bénéficier des réserves d’uranium dont Israël a besoin pour poursuivre son programme nucléaire.

Elle cherche également à ouvrir des débouchés commerciaux et d’investissement dans certains domaines vitaux tels que la technologie agricole, l’élevage et l’aviation aérienne, dans le but de se rapprocher de la distance que parcourent les entreprises israéliennes d’El Al pour se rendre sur le continent sud-américain, alors qu’Israël voudrait ouvrir un large marché aux exportations d’armes israéliennes sur le continent africain, qui est en proie à de nombreux conflits et différends dans ses différentes régions.

-/-Renforcement de la coopération en matière de sécurité et de renseignement dans la région

L’Etat hébreu trouve au Tchad une position géostratégique qui lui permet de surveiller la contrebande d’armes de la Libye vers Gaza, selon les affirmations israéliennes, en plus des accusations contre Téhéran et le Hezbollah d’être impliqués dans la contrebande d’armes à certaines parties régionales de la région, comme le Front Polisario. Israël peut également jouer un rôle dans la lutte contre le terrorisme au Sahel pour se présenter comme un partenaire de sécurité important pour les pays de la région, renforçant ainsi son influence, notamment à la lumière de l’activité croissante des organisations terroristes dans ce pays.

-/- Créer une ceinture stratégique dans la région

Une ceinture qui relierait les régions stratégiques, à savoir l’Afrique de l’Est, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, à travers l’inauguration d’un réseau régional qui comprend les alliés stratégiques d’Israël tels que l’Éthiopie, le Soudan du Sud, le Soudan et le Tchad, au milieu des efforts israéliens pour élargir le cercle de ses alliances régionales dans la région au cours de la période à venir. Dans le but de limiter les rôles qui lui sont opposés, et d’encercler l’influence de certaines puissances régionales dans la région.

A propos des principaux axes de la coopération tchado-israélienne

A noter qu’en fait, c’est surtout Israël qui apporte une assistance au Tchad.

Dans le domaine de la Santé, l’Etat hébreu a déjà financé une unité de traumatologie dans le principal hôpital de N’Djamena, et les médecins israéliens continuent de former également les médecins tchadiens.

Il s’agit là d’une aide officielle mise en avant par Israël.

Dans le domaine sécuritaire, Israël compte développer des objectifs sur le Continent africain. De même, la coopération sécuritaire entre Israël et le Tchad reste tout de même un secret de polichinelle.

Dans ce contexte, on se doit de rappeler que Mahamat Deby Itno, lors de l’inauguration de l’ambassade tchadienne à Tel-Aviv, s’est entretenu avec le Chef du Mossad israélien ainsi que le Ministre israélien de la Défense.

Enregistrements vidéo :

Idée sur la visite du Président tchadien à Tel-Aviv

Idée sur la coopération tchado-israélienne :

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