Tchad / Soudan : Des tensions frontalières pouvant déterrer à tout instant la hache de guerre

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Tchad / Soudan : Des tensions frontalières pouvant déterrer à tout instant la hache de guerre
Abdel Fattah al-Burhan recevant Mahamat Idriss Deby à Khartoum

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. L’état de la frontière entre le Soudan et le Tchad, et les conflits qui s’y déroulent, reflètent les relations des deux pays ; elles sont donc en harmonie si un état de coexistence pacifique prévaut entre les tribus à la frontière commune, et entrent dans un état d’agitation quand il est aussi facile à se superposer entre eux en cas de crise, et les opposants à l’État recourent à résider dans le pays voisin de l’autre côté de ces frontières faciles à pénétrer, où ils trouvent quelqu’un pour les abriter et contenir leur opposition avec leurs armes et équipements.

Au vu de cette situation, il est pratiquement clair que tous les problèmes entre les deux pays sont causés par ces frontières poreuses de part et d’autre, en raison de la division des tribus et de leur répartition entre les deux pays tout le long de la ligne frontalière.

Avec cette description synonyme de la nature des événements aux frontières de la coexistence et de la tension, nous constatons qu’il existe plusieurs facteurs qui ont contribué à la tension et à l’attraction dans les relations, et ces facteurs sont :

• des facteurs de sécurité représentés pour contenir l’opposition des deux pays,

• des facteurs économiques représentés dans le différend sur la propriété des terres agricoles qui se chevauchent,

• des facteurs sociaux représentés dans la présence des tribus et la lutte qui surgit entre elles pour la survie et le conglomérat tribal.

Ainsi, l’Etat du Tchad devient, pour les Soudanais, comme s’il était centré sur la ligne frontalière de la région du Darfour, tout comme l’ensemble du Soudan est réduit aux Tchadiens de la région constituant le district du Darfour.

Il importe de rappeler que les efforts de réforme politique entre les deux pays ont été suivis d’une convergence sécuritaire représentée par la signature du protocole de sécurité des frontières entre le Soudan et le Tchad en 2010, et outre l’accord d’arrêter tout soutien aux mouvements rebelles, le Soudan et le Tchad ont fixé un calendrier pour la formation de forces conjointes des deux pays pour sécuriser leurs frontières, en échangeant la direction des forces tous les six mois depuis le quartier général de ces forces dans la ville d’El Geneina, au Darfour occidental.

A noter que l’accord de sécurité était principalement entre le Soudan et le Tchad, en vertu duquel les deux pays ont déployé des forces conjointes pour empêcher toute force s’opposant à chacun des deux régimes de franchir la frontière entre les deux pays.

Ainsi, le Soudan et le Tchad ont établi des forces conjointes à partir de leur armée après avoir signé le protocole de sécurité en 2010. Ces forces conjointes comprennent 5 000 soldats et plus de 350 membres des forces de police, et leur direction alternera entre les deux pays tous les 6 mois, à condition que leur mission se limite :

• au maintien de la sécurité aux frontières,

• à la fin de la présence de groupes armés,

• l’arrêt de la contrebande d’armes,

• la lutte contre l’immigration clandestine

• et la traite des êtres humains et la limitation des conflits tribaux.

Toutefois, malgré les succès qu’elles ont remportés depuis plus de 12 ans, les tribus soudanaises frontalières ne cessent d’exprimer des réserves sur la nature de la formation des forces conjointes, et estiment que la composante tchadienne au sein des forces conjointes comprend des éléments tribaux qui s’alignent souvent sur leurs composantes au moment des conflits tribaux, et n’effectuent donc pas leur mission avec professionnalisme et impartialité.

Néanmoins, le plus étrange est que les raisons qui perturbent les relations entre les deux pays existent toujours, à savoir la crise permanente et les accusations constantes selon lesquelles chaque pays abrite les rebelles de l’autre.

La crise du Darfour au centre du conflit frontalier

Déplacés

Déplacés Certes, la crise du Darfour, qui a commencé en 2003, a été au centre du conflit, et la crise a pris différentes étapes avec l’échange d’accusations entre le Soudan et le Tchad depuis lors.

A titre d’exemple, en 2005, le gouvernement tchadien a déclaré « l’état de guerre » avec le Soudan, et les rebelles ont tenté en 2006 et 2008 de s’emparer de la capitale tchadienne par la force, avec leur échec dans les deux cas.

D’après les observateurs, la plupart des accusations mutuelles entre les deux parties étaient centrées sur la tentative de saper la souveraineté en manipulant la région pour atteindre un intérêt spécifique.

Par exemple, le Tchad a accusé le Soudan en 2006 de soutenir la rébellion qui a tenté de s’emparer de la capitale tchadienne, mais le Soudan a nié l’allégation sans hésiter de blâmer le Tchad en disant qu’il soutient un groupe différent de rebelles au Darfour, dans l’ouest du Soudan.

Par ailleurs, les Tchadiens ont blâmé également la France, l’ancienne puissance coloniale du Tchad, l’accusant d’être impliquée en s’ingérant dans les affaires tchadiennes et en soutenant la tyrannie.

La dynamique de la crise frontalière tchado-soudanaise peut également être comprise à partir d’autres pays voisins qui y ont été impliqués, telles que l’Érythrée et la Libye qui ont été accusées de soutenir les rebelles du Darfour.

Cela s’ajoute aux divers groupes armés comme le « Front uni pour le changement démocratique » et les Arabes appelés « Janjawid » ainsi que « l’Alliance des forces révolutionnaires pour le Soudan occidental ».

Il est à noter que le district du Darfour a signé un accord de paix en 2020 avec les principaux rebelles, et que le chef du Conseil militaire de transition au Tchad, Mahamat Idriss Deby, s’était rendu dans au Soudan en 2021, déclarant dans un communiqué que : « Les deux pays ont adhéré à l’intégration, à la concertation et à la coopération conjointe avec l’Union africaine dans le domaine de la sécurité des frontières, de la lutte contre le terrorisme et des violations transfrontalières de la sécurité.

Cependant, des affrontements continuent d’éclater au sujet des terres, du bétail et de l’accès à l’eau et aux pâturages. On relève qu’en avril 2022, plus de 200 personnes ont été tuées dans des affrontements entre les « Janjawids » et des groupes non arabes au Darfour occidental.

Une situation explosive

L’armée tchadienne sur le pied de guerre ?

La tension continue de monter à la frontière soudano-tchadienne suite à la mort, au mois d’août 2022, de plus d’une vingtaine de personnes lors d’affrontements tribaux survenus à la frontière entre l’État du Darfour occidental (l’extrême ouest du Soudan), impliquant un groupe de tribus arabes du côté soudanais, et un groupe de la tribu des Zaghawa du côté tchadien.

On constate que ces dernières années, des affrontements ont éclaté entre les deux voisins sur les frontières séparant les deux pays. Le dernier de ces affrontements a eu lieu également au mois d’août dernier, suite à un échange d’accusations de vol de bétail, au cours duquel 18 personnes des tribus arabes ont été tuées, et 6 des Zaghawa au Tchad, et 15 autres ont été blessées du côté soudanais.

Ce jour-là, des milices de la frontière tchadienne auraient tué 18 bergers et nomades à Bir Sulaibeh, au nord d’El Geneina, et en ont blessé 15 autres, en plus les milices auraient pillé environ 80 chameaux.

Pour sa part, le député du Conseil de souveraineté soudanais, Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, qui a participé aux funérailles des victimes, a déclaré : « Nous avons demandé une réunion d’urgence du Conseil soudanais de sécurité et de défense, en raison des attaques du Tchad à nos frontières », ajoutant que le Soudan prendra des décisions fatidiques pour assurer la sécurité de ses frontières avec le Tchad.

Ce massacre intervient après que le vice-président du Conseil de souveraineté, Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, ait eu jeudi des entretiens éclairs avec le président tchadien Mahamat Idriss Deby à N’Djamena, arrivé du Darfour occidental à la tête d’une délégation de sécurité, après une journée de consultations qui a eu lieu à Khartoum entre le ministre tchadien de la Défense et le chef du Conseil de souveraineté, précédé d’une rencontre avec le gouverneur de la région du Darfour, Minni Arko Minnawi , avec le président tchadien à N’Djamena.

Violation de la souveraineté du Soudan ?

Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedtia considéré que le massacre commis aux frontières du Tchad était une violation de la souveraineté du Soudan.

C’est pourquoi la situation tendue à la frontière soudano-tchadienne, adjacente au Darfour occidental, nécessite sérieusement une intervention au niveau des dirigeants du deux pays, sinon cela aura des répercussions dangereuses sur les relations soudano-tchadiennes et sur la situation sécuritaire globale à la frontière.

Surtout que le cas le plus dangereux est que les groupes tribaux en conflit possèdent de nombreuses armes lourdes, ce qui rend la situation susceptible d’exploser à tout moment.

Commentant ce qui se passe dans cette région, l’analyste politique soudanais, Abdullah Adam Khater, estime que ce qui s’est passé aux frontières soudano-tchadiennes n’est pas isolé de la fièvre des combats et des multiples polarisations associées à la phase post-conflit armé, expliquant dans ce contexte qu’il y a une ruée vers la richesse entre des groupes qui possèdent des liens régionaux et internationaux étroits.

Tout cela est similaire à ce qui se passe également dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, où les États-Unis, la France et la Russie se font concurrence pour mettre la main sur de précieuses ressources minérales, sachant que le Soudan ne sera pas en mesure de relever le défi de toutes les complexités sécuritaires et de la féroce compétition régionale et internationale, sauf par la transformation démocratique et la formation d’un gouvernement civil.

Il importe de noter que les relations tchado-soudanaises, avant et après le récent incident, sont soumises à de nombreuses épreuves qui pourraient provoquer leur effondrement.

D’où vient le danger ?

Avec la recrudescence des affrontements et des tensions au Tchad, notamment entre l’armée tchadienne et les groupes armés, en particulier dans le nord du pays, les relations soudano-tchadiennes se trouvent confrontées à une nouvelle épreuve, qui pourrait mettre fin aux progrès que les deux parties ont construit dans les années précédentes. Les événements au Tchad font planer une ombre sur les relations entre les deux pays voisin, et ce en raison de plusieurs facteurs, auxquels s’ajoutent les chevauchements tribaux et le manque de confiance.

Des médias locaux de la région du Tibesti, frontalière de la Libye et du Niger dans le nord du Tchad, ont annoncé que des groupes armés (rebelles de l’opposition) tels que le « Conseil de commandement militaire pour le salut de la République », ont attaqué l’armée tchadienne, vers la fin du mois d’août 2022, tuant 10 de ses membres et en capturant 8 autres.

C’est le bilan confirmé dans un communiqué par le groupe qui avait refusé de signer un accord de paix avec le gouvernement, tout en déclarant que l’armée tchadienne avait lancé une attaque contre ses éléments dans le Tibesti.

Ceci a contribué à soulever des questions parmi les tribus arabes, qui ont publié une déclaration dans laquelle elles considéraient tout ce qui s’était passé comme faisant partie des tentatives de contrôle unilatéral de la région du Darfour et de ses composantes sociales, commerciales sécuritaires.

Le communiqué dénonce également la survenance du crime à seulement trois kilomètres du stationnement des forces conjointes tchadiennes-soudanaises, indiquant que cela dément l’élan des réconciliations et les discours sur l’imposition du prestige de l’Etat.

Toutefois, à la lumière de l’incertitude entourant les relations soudano-tchadiennes ces jours-ci, la diplomatie des deux pays cherche à contenir les répercussions de tout problème. A plus d’une occasion, des émissaires soudanais se sont rendus dans la capitale, N’Djamena, et de l’autre côté, des émissaires tchadiens se sont rendus également à Khartoum, dont le dernier en date est l’émissaire Abakar Adoum Manany, arrivé dernièrement dans la capitale soudanaise, porteur d’un message du président tchadien Mahamat Idriss Deby au président du Conseil de souveraineté, Abdel Fattah al-Burhan.

Autres raisons du conflit frontalier soudano-tchadien

Il importe de noter, dans ce contexte, que les développements militaires dans le nord du Tchad, qui durent depuis plus de deux mois, relèvent de multiples axes sécuritaires, et prennent entre-autres une dimension tribale.

En plus, l’instabilité au Darfour a engendré une grande complexité régionale et impliquant notamment des conséquences de l’autre côté de la frontière, à l’intérieur du Tchad, dans l’Est du pays.

Cette instabilité sécuritaire a obligé les populations à se déplacer et des centaines de milliers de personnes sont venues se réfugier de part et d’autre, membres de tribus tchadiennes, nomades et semi-nomades.

Il faut comprendre que la frontière entre le Tchad et le Soudan, qui s’étend sur plus de 1 300 km est une zone où transitent à la fois des commerçants, des nomades ainsi que des groupes armés de différentes ethnies et tendances politiques, constituant un espace particulièrement sensible en terme de conflits qu’aucun accord n’est encore parvenu à stopper.

Rebelles arrêtés dans les zones frontalières

Ces développements ont également une dimension économique, car la région est devenue un lieu de conflits, du fait de l’existence de gisements d’or, sachant que des groupes soudanais, libyens et mauritaniens y sont entrés pour fouilles et explorations.

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