Un « Emirat Daéchite » serait sur le point d’être mis en place à « Ménaka » dans le Sahel africain ?

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Un « Emirat Daéchite » serait sur le point d’être mis en place à « Ménaka » dans le Sahel africain ?
Un « Emirat Daéchite » serait sur le point d’être mis en place à « Ménaka » dans le Sahel africain ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. Un vieil adage dit : « Il n’y a point de ‘rêve’ qui ne soit réalisé, si la ‘volonté’ n’y est pas » ! Et dans la situation que nous évoquons dans cet article, nous constaterons bien que le souhait et le rêve de l’organisation Daech de mettre sur pied un Emirat y sont toujours d’actualité.

Bien que l’annonce d’un « éventuel émirat Daéchite à Ménaka » n’ait pas encore eu lieu, les données sur le terrain montrent que ce projet semble être devenu une réalité de facto, et qu’il s’agirait simplement du timing.

Selon les informations relayées par certaines parties, un certain nombre d’anciens chefs militaires de l’organisation en Irak et en Syrie ont afflué dans la région et ont commencé à former des éléments de combat aux techniques de guerre, à la fabrication d’explosifs et à la gestion des systèmes de communication.

L’organisation aurait également une large portée régionale qui s’étendrait sur des zones contiguës le long des frontières communes entre les trois pays sahéliens, qui sont des zones riches en ressources naturelles. Parmi les méthodes adoptées par l’organisation Daech figure la fermeture de villages et de grandes villes pour couper leur lien avec les gouvernements centraux, tandis que l’organisation gère l’économie de la contrebande et du crime organisé, impose des redevances sur le commerce du bétail, supervise le commerce des armes et établit de grands camps pour le travail de recrutement et de propagande.

On peut donc affirmer que, face à l’incapacité des gouvernements centraux à étendre les services de développement à ces régions éloignées et instables, l’organisation terroriste chercherait à combler le vide en supervisant les opérations d’aide et de protection, de manière à renforcer sa présence effective dans ces régions qui ont pratiquement échappé au contrôle de l’État. Dès lors, nous nous rendons compte que la région du Sahel est susceptible d’être le nouveau centre de l’État de « Daech » après la défaite de son aile orientale.

Quelques indicateurs de l’émergence d’un Émirat de Daech dans le Sahel africain

• Tout laisse à croire que le gouvernement malien aurait effectivement et récemment libéré un certain nombre de dirigeants de « Daech »

Cette décision semble faire partie d’un accord majeur avec l’organisation dans le but de permettre une trêve entre les deux parties, leur permettant d’éliminer, ensemble, le groupe « Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM) » et les autres groupes armés implantés dans la région de l’Azawad.

• Tout d’abord, à la lumière de l’expansion du contrôle de Daech sur de vastes zones du nord-est du Mali, les indicateurs du succès de l’organisation dans l’établissement de son nouvel émirat dans la région de Ménaka augmentent, notamment avec l’arrivée dans la région d’un certain nombre d’anciens chefs militaires de l’organisation en Irak et en Syrie.

• En plus, la région du Sahel est devenue susceptible d’être le nouveau centre de l’État de « Daech » après la défaite de son aile orientale en Syrie et en Irak, ce qui nécessite une position internationale décisive et proactive pour faire face à ce danger, dont les effets futurs vont au-delà de la région du Sahel africain.

• Et enfin avec l’escalade de la vague d’attaques lancées par les groupes armés au Mali et au Burkina Faso, et l’apparition de menaces sécuritaires dans les pays du golfe de Guinée et d’Afrique centrale, de nombreux indices semblent confirmer l’existence d’un tel « accord » entre le gouvernement militaire au Mali et « Daech dans le Grand Sahara » qui pourrait aboutir à la création d’un émirat daéchite dans le nord-est du Mali, aux frontières communes avec le Burkina Faso et le Niger.

Retour sur la libération par les autorités maliennes des dirigeants de Daech

On peut donc dire que le gouvernement militaire du Mali a surpris le monde, ces derniers jours, en libérant certains dirigeants de l’organisation Daech, et à leur tête :

• « Youssef Ould Shuaib », l’ancien commandant des opérations militaires dans le nord, et Juge Communautaire dans tout l’Etat de Ménaka.

• « Umayyah Ag al-Bakai », le chef des opérations militaires du groupe dans la région d’Arbanda de “Tisi” et “Intelt” dans l’Etat de Gawa. Il a été arrêté par les forces françaises de Barkhane le 12 juin 2023. Il a été remis au Niger et le Niger l’a remis au Mali. Cependant, il a été libéré fin juin 2023 dans le cadre d’un accord secret entre le Mali et Daech (qui n’a pas encore été divulgué, mais des sources informées indiquent qu’une Agence de secours international a peut-être joué un rôle dans l’accord qui a conduit à la libération de l’assistante sociale française “Sophie” Petronin).

• « Dadi Ould Shuaib », surnommé « Abu Dardar », le frère de Youssef Ould Shuaib, l’émir de l’organisation Daech dans le Grand Sahara. Il a été arrêté par les forces françaises de Barkhan lors d’une opération conjointe des armées nigérienne et française menée le 15 juin 2021 dans la zone d’In Araben près de Ménaka lancée contre Daech au Sahel. Les services de renseignements maliens l’ont libéré le dimanche 2 juillet 2023.

• Andin Ag Al-Munir, surnommé (Abu Hurairah) : d’origine touareg, il a travaillé comme berger dans la région de Tissi à la frontière avec le Niger, puis a rejoint les groupes terroristes en 2017 et est devenu un haut gradé dans l’organisation en raison de sa connaissance de la région et de la population et est connu pour ses bonnes relations avec les habitants car il est originaire de la région.

Ces dirigeants ont été précédemment arrêtés par les forces françaises stationnées dans le nord du Mali, et ils sont responsables d’opérations violentes et sanglantes qui ont fait des milliers de morts.

S’agit-il réellement d’une victoire politique pour Daech ?

Dans ce contexte, l’experte américaine spécialisée dans les affaires internationales et stratégiques, Irina Zuckerman, a confié à certains médias à ce propos, que :

1-L’accord de libération des dirigeants de Daech intervient dans le contexte de la demande du Mali du retrait de 12 000 casques bleus de l’ONU, après 10 ans de présence dans la lutte contre les groupes terroristes, dont l’organisation Daech.

2-La libération de ces dirigeants, quelles que soient ses conditions, est considérée comme une victoire politique majeure pour Daech, qui sera désireux d’utiliser cet acquis pour étendre ses efforts de recrutement.

3-Le Mali, ainsi que d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, souffrirait :

• d’un manque de transparence et de responsabilité gouvernementale,

• de corruption,

• de la faiblesse des forces de l’ordre et de sécurité,

• d’un faible indice de développement économique,

• d’inégalités sociales,

• de divisions tribales et sectaires,

• et d’un manque de jeunes et d’opportunités éducatives.

4-Daech et d’autres groupes ont profité de ces réalités sociales et politiques pour reconstruire une présence détruite par les efforts des alliés en Irak et en Syrie, et l’organisation recrute déjà avec succès parmi les populations privées de leurs droits.

5-Le retrait décidé des Casques bleus de l’ONU du Mali et l’accord de libération des dirigeants de Daech représentent, dans ce contexte, un aveu de défaite par le gouvernement malien et des efforts pour réintégrer les « extrémistes » dans le tissu social et politique en faisant ces concessions. Cela alimente également le sentiment antioccidental et une mentalité postcoloniale, ainsi que les échecs perçus au fil du temps des Français et d’autres à endiguer la propagation des idéologies extrémistes ou à obtenir des gains décisifs contre eux.

Pour sa part, l’analyste politique italien Daniele Ruvinetti a déclaré à son tour :

1-Nous avons déjà vu à maintes reprises les choix pragmatiques faits par des gouvernements ou des groupes de pouvoir (comme la junte militaire au Mali).

2-Rien d’étonnant à ce qui se passe dans ce type de contexte car la situation sécuritaire est critique et, en même temps, cruciale pour la stabilité. Il ne serait pas étonnant que cette dynamique soit un aspect des coulisses de Bamako. Cependant, il faut bien préciser qu’il s’agit de spéculation. Nous n’avons effectivement rien « d’officiel ».

3-Cependant, tout ce qui se passe, y compris les rumeurs et les activités d’information connexes, illustre la complexité de la situation au Mali et au Sahel en général.

4-Daech dans le Grand Sahara est désormais un acteur majeur dans la région. Personne ne pouvait réellement le contenir. L’escalade de l’organisation et d’autres groupes armés a conduit à une déstabilisation interne aux niveaux politique, social, économique et institutionnel.

5-Si cela en arrive à ce point, peut-être que « nous, Européens, devrions nous interroger davantage sur ce qui a mal tourné avec nos interventions et la fin de la mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali ‘Minusma’ », laissant l’armée et une petite force du groupe Wagner affronter les éléments liés aux groupes d’al-Qaïda et de Daech.

Pourquoi la situation en est-elle arrivée là ?

Il importe de noter que la vague d’opérations armées s’est intensifiée dans la région du Sahel africain, et a notamment ciblé fin juin et début juillet 2023 l’Etat du Burkina Faso. Selon le Rapport 2023 « Terrorism Indicators » publié par l’Institute for Economics and Peace en Australie, le nombre des victimes imputées aux groupes armés au Sahel aurait augmenté de 2 000 % au cours des quinze dernières années, et le Burkina Faso serait en tête de tous les pays africains en termes de nombre de victimes (c’est le deuxième pays au monde de ce point de vue après l’Afghanistan). Alors que le nombre de victimes du terrorisme au Sahel entre 2007 et 2022 était estimé à 22074, le nombre de Burkinabés parmi ces victimes était de 8564.

Les opérations récentes se sont concentrées dans le nord et l’ouest du Burkina Faso, dont la plus récente est l’attaque simultanée qui a eu lieu début juillet dans la région du centre-nord et dans l’ouest, et le nombre de morts a dépassé la vingtaine dans ces attaques, tandis que des marchés et des maisons ont été incendiés, des habitants ont été déplacés et des milliers de véhicules et de vélos ont été détruits.

Les 26 et 27 juin derniers, des opérations similaires ont eu lieu dans le village de Tia à l’ouest, et dans la région de Noaka au centre nord, et 75 personnes ont été tuées, dont 39 militaires et 36 volontaires armés.

Par ailleurs, outre la poursuite des attaques des groupes armés au Mali et au Niger, le danger a commencé à s’étendre aux pays du côté atlantiques, comme le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire.

C’est ainsi qu’au moment où les opérations terroristes se multiplient dans la région du Sahel et se concentrent sur le front du Burkina Faso, le conflit s’intensifie entre l’organisation « Daech » le groupe d’Al-Nusra affilié à Al-Qaïda dans la région, tandis que les signes d’un accord sans précédent émergent entre le gouvernement militaire malien et l’organisation « Daech au Grand Sahara ».

Donc, si le nouvel émirat daéchite dans le nord-est du Mali n’a pas encore été officiellement annoncé, il est déjà devenu une réalité, ce qui nécessite une attitude décisive et proactive pour faire face à ce danger, dont les effets futurs s’étendraient sûrement au-delà de la région du Sahel africain.

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