Afrique : « L’industrialisation est aussi un contrat social »

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Afrique : « L’industrialisation est aussi un contrat social »
Afrique : « L’industrialisation est aussi un contrat social »

Africa-Press – Tchad. « Si l’industrie se définit comme une production de biens, l’industrialisation est une dynamique plus entraînante et plus englobante qui dépasse la production de biens et met en exergue d’autres dimensions : la vision politique, la souveraineté, la planification, le marché, l’innovation, la cohabitation polytechnique, le renversement des modes de vie, le capital humain et l’intelligence économique, pour ne citer que ceux-ci. Il est donc clair que l’industrialisation n’est pas qu’une affaire de machines. C’est aussi un contrat social. » Tel est le soubassement à partir duquel des cadres africains de la diaspora, cette sixième région de l’Afrique, ont décidé d’apporter leur contribution. Regroupés au sein d’une association dont l’objectif est de « rassembler et fédérer les énergies et les compétences autour d’une vision et d’un idéal, la promotion de l’excellence académique et professionnelle au service du développement industriel de l’Afrique », ils avancent dix postulats qui sont, à leurs yeux, non seulement des piliers de (leur) vision pour une industrialisation inclusive, diversifiée et durable de l’Afrique, mais aussi un recueil de propositions concrètes et immédiates pouvant participer aux débats stratégiques sur l’industrialisation du continent. Les voici :

Refondre le modèle éducatif sur le continent

Il faut inverser le paradigme et tendre vers une formation technique et scientifique à 80 % contre 20 % d’enseignement général dans les programmes scolaires à l’horizon 2063. En plus des programmes étatiques, l’innovation portée par les PME peut accélérer la professionnalisation du système éducatif en créant des cartographies précises et dynamiques pouvant aider à la prise de décision. La diffusion de la culture industrielle, la création de lycées spécialisés dans les métiers industriels sont autant de solutions.

Travailler à un pacte énergétique africain

Cela s’explique par le fait que l’industrialisation n’est pas possible sans énergie. De fait, un pacte doit être mis en place et reposer, pour être efficace, sur quatre piliers : une planification à l’échelle nationale et régionale, une mutualisation pour consolider la solidarité énergétique, une priorisation de l’innovation pour les énergies renouvelables et, enfin, la mise en œuvre d’une taxonomie et d’un agenda de décarbonation qui tiennent compte des réalités africaines.

Bâtir un pacte agro-industriel africain

Cette initiative s’impose dans la mesure où elle est la clé pour aller vers l’autosuffisance alimentaire. Cela nécessite de planifier et de construire des projets agro-industriels régionaux d’envergure à forte intégration car tenant compte des spécificités agricoles locales.

Réfléchir à une vraie stratégie africaine autour de l’acier

L’explication vient du fait que l’acier est le matériau de la construction, de l’industrialisation et de la transition écologique. C’est d’autant plus nécessaire que l’Afrique ne pèse que 1 % de la production mondiale d’acier malgré ses énormes réserves en mines entrant dans la fabrication de l’acier. L’Afrique doit donc impérativement organiser des pôles sidérurgiques forts. C’est possible en Afrique australe, mais aussi dans le golfe de Guinée et au Maghreb. La dynamique souhaitée à travers la zone de libre-échange africaine (Zlecaf) peut ainsi aider à bâtir un secteur sidérurgique capable de soutenir de manière harmonisée les chantiers des infrastructures du continent.

Insérer le numérique dans la politique d’industrialisation

Cette démarche pourrait reposer sur deux piliers. D’abord, sur celui de la partie visible du numérique, à savoir la digitalisation, l’éclosion des PME spécialisées et des industries créatives.

Ensuite, sur celui de la face non visible du numérique, mais ô combien porteuse de valeur ajoutée, à savoir la fabrication des semi-conducteurs et des composants électroniques.

Organiser la résistance industrielle du continent

Pour ce faire, un vrai travail doit être effectué autour de la manière dont l’Afrique doit se protéger, dont elle doit se mettre en capacité de décrypter les environnements actuels et futurs pour anticiper les futurs défis, la manière d’organiser sa sécurité industrielle et aussi sa restructuration en la matière. Protection, intelligence économique, sécurité et refonte structurelle se justifient dans la mesure où, objet de toutes les convoitises, l’Afrique doit trouver les moyens de se consolider sur plusieurs plans. Pour ce faire, elle devra s’appuyer sur tous ses enfants, ceux présents sur le continent, et ceux vivant hors du continent, en l’occurrence ceux de la diaspora. Cela passe par des initiatives fortes autour du développement des capacités de financement des projets mais aussi de la lutte contre la corruption dans une dynamique d’amélioration du climat des affaires et de la gouvernance institutionnelle, économique et sécuritaire.

Encourager des champions nationaux

Au regard de sa dimension stratégique, le secteur industriel africain doit s’organiser pour aider ses entreprises à atteindre une taille critique qui leur donne à la fois de l’envergure et de l’impact. C’est d’autant plus important que celles-ci peuvent être les murs porteurs d’un écosystème où des PME seraient inscrites dans les chaînes de valeur endogènes participant de la souveraineté industrielle des pays.

Se donner les moyens de financer l’industrialisation

Aucune industrialisation de l’Afrique ne sera possible sans la mobilisation financière des Africains eux-mêmes. Cela appelle à la nécessité d’accroître la part de capitaux africains dans le financement des industries sur le continent. Si cela a bien été compris par les chefs d’État et les institutions financières qui se sont récemment retrouvés à Niamey (du 20 au 25 novembre) pour le sommet de l’industrialisation et de la diversité économique de l’Afrique, et qui en ont pris l’engagement, il apparaît qu’il convient de combiner plusieurs éléments : d’abord, favoriser des projets portés par des acteurs africains ; ensuite, inciter fiscalement les champions nationaux à investir davantage dans des projets industriels locaux à fort potentiel ; puis trouver le moyen de capter un maximum d’épargne et de l’orienter vers des projets industriels stratégiques ; enfin, faire du financement de l’innovation et de la recherche une priorité.

Prendre conscience que la culture peut être une industrie

On ne le dit pas assez, mais la culture peut dépasser sa dimension artisanale et épouser une autre dimension à travers les industries culturelles. Il convient donc d’étudier comment mettre en œuvre une valorisation des éléments de culture africaine. L’enjeu est de taille car porteur de plusieurs défis autour desquels les populations, notamment les jeunes, peuvent se mobiliser. Ainsi de l’inclusion, de la solidarité, de l’éthique, de l’équité et de la résilience au service d’une créativité libérée de tout complexe et porteuse de diversité. Pour se convaincre de la marge de progression énorme en la matière, il n’y a qu’à voir l’impact actuel d’éléments culturels africains sur le monde alors même que l’Afrique n’a pas de stratégie coordonnée d’influence en direction des populations des autres continents.

Inclure la diaspora dans toutes les stratégies industrielles

Au regard des challenges à affronter, c’est peu de dire que l’Afrique a besoin de toutes ses forces, et la nécessité d’inclure celles de la diaspora s’impose d’emblée. Celle-ci peut en effet lui apporter un important socle de compétences et d’expériences engrangées grâce aux formations reçues dans les meilleurs établissements du monde mais aussi dans des entreprises en vue dans les pays développés. Il faut donc travailler à créer un cadre de coopération et d’échanges facilitant la coconstruction et la co-innovation entre la diaspora et tous les acteurs locaux, que ceux-ci soient politiques, économiques, financiers, sociaux et culturels.

Dix postulats ont été posés pour inscrire l’Afrique sur une orbite d’industrialisation. Ils ne sont pas exhaustifs, encore moins limitatifs. Ils traduisent une approche qui veut que l’Afrique soit en situation de relever les défis qui vont se présenter à elle dans les décennies à venir alors que la géopolitique et la géoéconomie mondiales donnent l’impression d’évoluer dans des sables mouvants. Dans ce contexte, l’Afrique doit se donner un cap et cingler avec toute l’énergie d’un continent déterminé à être un acteur important dans ce XXIe siècle où le changement climatique multipliera les fronts et obstacles sur le chemin d’un développement inclusif et durable.

* Mohamed Cissouma, président de l’association Elit, créée en 2021 à Achères, en région parisienne, est ingénieur et expert naval. Il a signé cette tribune avec Cyrille Balegel Bell, le Dr Jean-Philippe Akpoue, Chris Deh, Ibrahim Gbané, Yeli Sidibe et Wilfried Dah.

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