Chine-Afrique : Pékin ne prête plus qu’au compte-gouttes

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Chine-Afrique : Pékin ne prête plus qu’au compte-gouttes
Chine-Afrique : Pékin ne prête plus qu’au compte-gouttes

Africa-Press – Tchad. Le continent n’est pas l’eldorado financier tant espéré par l’empire du Milieu. Conséquence : ce dernier y regarde désormais à deux fois avant de prêter ses milliards de dollars à une région pourtant en mal d’investissements.

Il y a eu les années 2010 un peu folles où, désireuse de séduire les dirigeants des pays en développement du monde entier, la Chine vantait ses nouvelles « Routes de la soie », alias « Belt and Road Initiative » (BRI). Un cadre dans lequel elle proposait à ces États de financer, sans qu’ils regardent de trop près leur gouvernance et leur respect des droit humains, des ouvertures de mines ou la construction d’infrastructures (ports, routes, barrages, lignes électriques, voies ferrées, gazoducs, aéroports).

De telles opérations « clé en main » ne se refusaient pas, d’autant que, à la différence des bailleurs multilatéraux et des donateurs bilatéraux, l’Exim Bank of China ou la China Development Bank débloquaient sans barguigner les fonds nécessaires à des chantiers qui glorifiaient les gouvernants africains signataires des contrats. Ceux-ci n’ont découvert que lentement les inconvénients de cette générosité qui les dotait, sans bourse délier, d’outils nécessaires à leur développement.

Personne ne calculait vraiment la rentabilité et l’équilibre à long terme des projets

La Chine prenait tout en charge : les études préalables financières et techniques comme la fourniture des engins ou encore l’envoi et la rémunération d’une main d’œuvre nombreuse et qualifiée. À vrai dire, personne ne calculait vraiment la rentabilité et l’équilibre à long terme des projets. Ni les promoteurs publics et privés chinois fascinés par les gains possibles ni les dirigeants africains appâtés par les bienfaits attendus du chantier.

L’endettement s’est ainsi mis à grimper sur le continent. Selon Johns Hopkins, SAIC et China Research Initiative, les prêts consentis au continent par les institutions financières chinoises de 2007 à 2018 ont concerné plus de 5 000 projets et dépassé les 207 milliards de dollars. Officiellement. Les véritables montants pourraient en réalité être encore plus importants, en raison de ce qu’on appelle la « dette cachée ».

Clauses confidentielles extraordinaires

En effet, pour contourner les règles prudentielles du Fonds monétaire international (FMI) et ne pas effrayer les marchés, les Chinois et leurs obligés africains ont signé des clauses confidentielles, selon le rapport « How China Lends », publié en mars par le Peterson Institute for International Economics, AidData, le Center for Global Development et le Kiel Institute.

Il s’agit bien « de contrats de prêts léonins », assure un spécialiste qui s’est penché sur ce rapport. Depuis 2015, tous les contrats de l’Exim Bank of China comportent des clauses de confidentialité extraordinaires. 75 % des prêts de la China Development Bank sont sécurisés par des collatéraux (adossement à des biens physiques ou à des fonds bloqués dans un compte spécial sans libre disposition des sommes). 81 % des contrats de l’Exim Bank excluent la possibilité de restructurer le prêt, c’est-à-dire d’allonger sa durée de remboursement ou de réduire le capital restant dû, comme le fait le Club de Paris pour les débiteurs en difficulté.

Communiste quand ça l’arrange

Les efforts de deux activistes kényans, Wanjiru Gikonyo et Khelef Khalifa, illustrent le changement de mentalité de la société africaine par rapport aux pratiques chinoises. En juin 2021, ils pensent que le Kenya est dans l’incapacité de rembourser le chemin de fer Nairobi-Mombasa que le géant asiatique lui a livré en 2017. Ils demandent donc à consulter les études et les contrats relatifs à la construction et à l’exploitation du projet, pour s’assurer que le port de Mombasa ne sera pas utilisé comme garantie en cas de défaut kényan. Après avoir laissé planer le doute, le président Kenyatta fait machine arrière. Un autre pays à emboîté le pas au Kenya : la Zambie, où la transparence des contrats de prêts est aussi devenue une revendication essentielle de la société civile.

On retrouve là une forme de double jeu souvent reproché à Pékin

Avec la multiplication des défauts, les levées de boucliers dans l’opinion publique et la dénonciation par l’Occident de son comportement « impérialiste », l’empire du Milieu a compris qu’il lui fallait changer sa façon de prêter. Il a accepté de rejoindre le Club de Paris, qui entend organiser les restructurations des dettes souveraines, tout en prévenant que la majorité des prêteurs chinois sont bien « privés », ce qui exclut une restructuration de leurs créances.

Autrement dit, Exim Bank est publique, mais pas la China Development Bank, qui tient à récupérer ses créances. On retrouve là une forme de double jeu souvent reproché à Pékin, communiste quand ça l’arrange, mais adepte des règles du marché quand cela lui est profitable. La Chine a un pied dans le multilatéral, mais fait tout pour négocier des arrangements financiers en bilatéral avec ses débiteurs à la peine.

Pour comprendre la complexité des interventions chinoises en Afrique, il faut savoir que les acteurs sont très divers. « Certains sont compétents et bien organisés, analyse Benoît Chervalier, enseignant à Science Po et à l’Essec. À l’évidence, Pékin a voulu remettre de l’ordre dans le monde du BTP et dans celui des transports. La Banque centrale et le ministère des Finances ont tiré la sonnette d’alarme devant certains excès. La prudence est de mise car les moyens pour mener à bien des projets pharaoniques n’existent plus. La crise sanitaire a rendu tout le monde plus raisonnable. »

Tout le monde plus raisonnable… Et les Chinois, moins intéressés par les Routes de la soie : celles-ci sont dix fois moins citées depuis deux ans dans les médias de l’empire du Milieu, note un spécialiste des investissements chinois sur le continent. Ce recentrage en matière de financement du développement africain a été manifeste lors du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) de Dakar, les 28, 29 et 30 novembre. Pas de promesses mirifiques comme en 2018 dans la bouche de Xi Jinping. « Le président chinois est resté dans le vague, promettant 10 milliards de dollars d’investissements privés dans le secteur productif au cours des prochaines années et une multitude de doses de vaccin, commente Jean-Pierre Cabestan, directeur de recherche au CNRS. Il a annoncé que son pays effacerait la dette des pays les plus pauvres, ce qui ne devrait pas excéder quelques dizaines de millions de dollars. Un geste qui reste de l’ordre du symbole. »

À l’évidence, cette offre déçoit les Africains. Il y a ceux qui ne demandent pas de prêts, mais des fonds propres infiniment moins coûteux, comme Amadou Hott, le ministre sénégalais de l’Économie. Le président congolais Tshisekedi et son homologue sud-africain Ramaphosa voudraient, eux, que la Chine renforce son aide. Quant au président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, il souhaite que les financements des futurs travaux d’infrastructures soient mieux encadrés. Au moment où la Chine met le pied sur la pédale de frein concernant les prêts, l’Afrique lui demande de faire plus… et mieux.

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