Dette africaine : les trois défis de 2024

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Dette africaine : les trois défis de 2024
Dette africaine : les trois défis de 2024

Farah Sadallah

Africa-Press – Tchad. Plusieurs pays africains ont vu leur dette augmenter de 30 % ces dix dernières années, selon le FMI. Certains, comme le Kenya, devront faire face à des échéances de paiement en 2024, 2025 et 2026. Quelles solutions sont envisagées pour éviter les défauts ? JA fait le point.

The Economist Intelligence Unit estime que 12 pays africains vont figurer parmi les 20 économies qui devraient enregistrer les plus forts taux de croissance en 2024. « C’est plus de la moitié, ça veut dire que leur croissance est stable, il devrait y avoir des conditions d’emprunt plus favorables », affirme Carlos Lopes, professeur à la Mandela School of Public Governance au Cap. Pourtant en 2023, aucun emprunt obligataire sur le marché international ne leur a été accordé, à part pour l’Égypte en début d’année.

Pour refinancer leur dette, les pays doivent donc emprunter sur le marché régional, ou encore auprès des banques multilatérales de développement. Mais les taux d’intérêt sont trop élevés. « Sur la dette commerciale, se sont les plus élevés au monde. L’économie africaine est considérée à haut risque », justifie Carlos Lopes.

Ainsi, selon un porte-parole du FMI, le ratio médian des intérêts par rapport aux revenus est d’environ 10,5 % en Afrique subsaharienne, soit plus de trois fois celui des économies avancées. Pourtant, la dette des pays africains n’atteint pour certains que 50% de leur PIB et ne dépasse en tout cas pas les 100 %. A l’inverse, en 2021, la dette publique des pays de l’OCDE atteignait en moyenne 121 % du PIB.

Les États africains connaîtraient donc davantage une crise des liquidités qu’une crise de la dette. De quoi poser plusieurs défis pour l’année qui vient.

Comment en est-on arrivé là ?

« L’année 2023 a été la plus dure depuis le début du siècle », estime Carlos Lopes, qui a été secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (2012-2016). En guise de rappel, il aime à souligner que cette situation est le résultat d’une accumulation de différents chocs exogènes tels que la crise financière de 2008, la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine (qui a fait grimper les prix des matières premières), la guerre commerciale et technologique entre la Chine et les États-Unis.

Cet enchaînement d’événements a entraîné une crise sociale sérieuse sur le continent africain. « C’est une crise silencieuse du développement. Les budgets se sont détériorés, le cycle économique est à la baisse, il y a beaucoup d’inflation, les taxes ont augmenté, les taux de croissance ont chuté, la pauvreté est en hausse, les taux d’investissement ont chuté de 10 points », illustre quant à lui Ishac Diwan, directeur de recherche au sein du Finance for Development Lab à Paris.

Dans ces conditions, quelles solutions peut-on envisager pour éviter des défauts sur le continent ?

1 – Transformer l’économie interne des États et renforcer la gestion de leur dette

Des efforts domestiques doivent donc s’enclencher pour sortir de cette « crise silencieuse » du développement afin de connaître une reprise de l’économie et soulager la dette. « Il faut consommer moins, taxer mieux, mieux dépenser, mieux importer », résume Ishac Diwan. Selon lui, les modèles de croissance des pays africains doivent changer pour s’orienter davantage vers « le digital et les énergies renouvelables ».

La production de biens manufacturés, qui peine à prendre son envol, doit continuer d’être une priorité. Selon Carlos Lopes, 35 pays africains sur les 54 du continent dépendent encore trop de leurs matières premières en tant que ressources principales de leur économie.

L’autre front – ouvert depuis plusieurs années lui aussi – sera celui d’une meilleure perception de l’impôt. « De nombreux pays de la région reconnaissent la nécessité de faire face aux défis de la dette par le biais de la consolidation fiscale, soutient un porte-parole du FMI. Avoir un solide cadre fiscal à moyen terme peut améliorer la confiance des prêteurs et réduire les primes de risque ».

À titre d’exemple, le bailleur de fonds conseille aux pays africains de s’assurer que « la trajectoire du déficit est ancrée par un objectif de dette viable », comme le prolongement de la maturité des prêts, et de veiller à ce que les remboursements ne soient pas regroupés. Le FMI propose également de mieux communiquer avec le public pour « surmonter la résistance aux réformes difficiles », en soulignant les avantages à long terme » des réformes et les coûts (souvent croissants) de l’inaction ».

2 – Le choix des financements climatiques

Rediriger les investissements vers des projets pour une économie plus verte offre également de nouvelles perspectives de financements. « Ces instruments existent sous différentes formes depuis des décennies, et de plus en plus de pays les envisagent », indique le FMI dans une publication datant de décembre 2022. « Les créanciers accordent un allègement de la dette en échange de l’engagement du gouvernement à, par exemple, décarboner l’économie, investir dans des infrastructures résilientes au climat ou protéger les forêts ou les récifs”, déclare le FMI. Depuis août 2023, le Gabon fait partie des pionniers de ce type de mécanisme.

Les financements réunis dans le cadre du Fonds pour la résilience et la durabilité du FMI permettent de racheter une dette coûteuse dans les cas où cela réduirait de manière significative le fardeau du service de la dette, indique l’institution. Le Rwanda, le Maroc et le Sénégal ont déjà pu bénéficier de ce fonds.

Le Fonds pour les pertes et dommages adopté lors de la COP28 qui s’est tenue à Dubaï en novembre 2023 fait partie de la palette d’outils à disposition des États. Ce nouveau dispositif vise à venir en aide aux pays ayant connu des dégâts provoqués par le dérèglement climatique. Hébergé pendant quatre ans par la Banque mondiale, ce système n’impose pas de montant aux pays développés. Leur contribution se fera donc sur la base du volontariat.

La Banque mondiale a également décidé de se consacrer au changement climatique. En plus du Fonds pertes et dommages, elle a assuré dans une publication, au moment de la COP28, accorder 45 % de ses financements annuels à des projets liés au climat pour l’exercice « allant du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 ». « Cette ambition permet de mettre à contribution plus de 40 milliards de dollars, soit environ 9 milliards de dollars de plus que ce qui avait été programmé précédemment », affirme le bailleur de fonds.

Une stratégie que la Banque africaine de développement a déjà adoptée en 2019, lors du One Planet Summit à Nairobi, au Kenya, en 2019. Elle a annoncé doubler ses ressources pour le financement de projets climatiques au cours de la période 2020-2025 pour atteindre 25 milliards de dollars. « L’année 2024 pourrait être une année charnière et favorable grâce à ces financements », conclut alors Carlos Lopes.

3 – Repenser la restructuration de la dette

La Zambie, l’Éthiopie et le Ghana ont opté pour ce dispositif en 2020, 2021 et 2022 après avoir fait défaut. Mais leur restructuration est toujours en cours aujourd’hui. Pour Carlos Lopes, cet outil n’est pourtant pas pertinent: « Ceux qui ont essayé n’ont pas obtenu de résultats probants. […] Ils n’ont pas reçu de nouveaux prêts après la restructuration et connaissent encore des difficultés considérables. » Selon lui, ces restructurations ont été mal perçues par les acteurs économiques qui avaient des engagements avec eux. « Ils se sont sentis pénalisés, ils avaient peur de ne pas être remboursés », poursuit le professeur.

Pour la Zambie par exemple, aucun accord n’a été signé avec les créanciers privés. Le Ghana s’est retrouvé dans la même situation à partir de décembre 2022.

Un cadre plus favorable semble néanmoins possible pour inverser la tendance, selon Ishac Diwan. « Notre centre de recherche propose une restructuration plus légère de la dette en rééchelonnant les remboursements », explique-t-il. L’idée leur est venue du président du Kenya, William Ruto, qui propose que les pays soient autorisés à reporter le paiement de leur dette arrivant à échéance, afin de créer l’espace budgétaire nécessaire à de nouvelles politiques et réformes de « croissance verte ».

Le Kenya va devoir rembourser des obligations s’élevant à 2 milliards de dollars en 2024. « Ils n’ont pas assez de fonds, ils ne pourront pas payer. Il faut étaler le paiement sur 10 ans par exemple », affirme Ishac Diwan. Pour rappel, la dette publique du Kenya en 2023 est estimée à 66,6 % seulement du PIB par le FMI.

Source: JeuneAfrique

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