Ecobank, année zéro

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Ecobank, année zéro
Ecobank, année zéro

Africa-Press – Tchad. Debout aux premiers rangs de la salle des fêtes de l’hôtel Ivoire d’Abidjan, Emmanuel Ikazoboh tente de convaincre ses anciens collègues. « Ne renoncez pas au Nigeria à cause des défis de ce marché », faites-en un « projet spécial » pour trouver des solutions, presse l’ex-président du conseil d’administration (PCA) d’Ecobank (ETI).

En face, le directeur général, Ade Ayeyemi surfe sur les éléments de langage. « Notre engagement envers le Nigeria est inébranlable. Le marché dispose d’innombrables opportunités et d’un énorme potentiel de croissance », insiste celui qui participe, ce 25 mai, à sa dernière AG ordinaire. Que la place du Nigeria dans le dispositif du groupe ait besoin d’être défendue marque la singulière transformation de la banque panafricaine depuis septembre 2015.

Elle est loin l’époque – était-ce il y a seulement dix ans ? – où cette filiale représentait 40 % des revenus, des actifs et des effectifs. L’acquisition d’Oceanic Bank, en 2011, avait boosté de deux tiers le bilan du groupe, mais s’est révélée extrêmement coûteuse. Les prêts au secteur des hydrocarbures, mal évalués et sans garanties suffisantes, ont été un désastre après le retournement des cours du pétrole, et la chute du naira face au dollar.

NOUS NOUS ATTENDONS À CE QUE LA RENTABILITÉ D’ECOBANK NIGERIA RESTE RELATIVEMENT MODESTE

À sa prise de fonction, Ayeyemi tranche. En moins d’un an, 40 % de l’équipe de direction à Lagos est remerciée. Plusieurs centaines de chauffeurs employés par la filiale sont aidés pour l’acquisition de leur véhicule et du statut d’auto-entrepreneur en partenariat avec Uber. Peu enclin aux tergiversations, le vétéran de Citi, dont il dirigeait les activités subsahariennes avant de rejoindre Ecobank, acte la dévaluation d’environ 900 millions de dollars de prêts en souffrance au Nigeria, dont la valeur comptable nette est réduite de deux tiers, et qui sont confiés à une structure externe chargée de leur recouvrement.

« L’exposition d’Ecobank au Nigeria continue à poser des problèmes au groupe, mais le profil de crédit global, le ratio de capital réglementaire et la liquidité en devises étrangères se sont améliorés. Néanmoins, nous nous attendons à ce que la rentabilité d’Ecobank Nigeria reste relativement modeste, en raison de la pression exercée par un environnement local difficile et de l’importance des réserves de trésorerie obligatoires », explique Mik Kabeya, analyste chez Moody’s.

Investissements massifs dans la technologie
Résultat des choix stratégiques d’Ayeyemi – et de la chute du naira –, la valeur des actifs d’Ecobank Nigeria a fondu d’un tiers, à 6 milliards de dollars, entre 2015 et 2021. Celle de l’Afrique de l’Ouest francophone croît de 7,1 milliards à 10,1 milliards de dollars, et le reste de la région, hors Nigeria (zone AWA – Afrique de l’Ouest anglophone), progresse de 60 %, à 4,8 milliards de dollars. En une demi-douzaine d’années, Ade Ayeyemi a fait basculer les centres de revenus et de profits du groupe en dehors de la république fédérale, où le nombre d’employés a été divisé de moitié contre un tiers à l’échelle du groupe.

Le manager nigérian a également revu de fond en comble l’organisation de la banque panafricaine – qui ne comptait pas moins d’une dizaine de directions géographiques et commerciales transversales –, installé un directeur des risques aux pouvoirs étendus et, surtout, a investi massivement dans la technologie à tel point qu’aujourd’hui 7 % à peine des transactions se déroulent en agence, contre 70 % en 2015, quand près de la moitié s’effectuent via les canaux numériques.

QU’ADVIENDRA-T-IL DE LA STRATÉGIE D’ETI LORSQUE ADE AYEYEMI PRENDRA SA RETRAITE ?

Fruit de ces efforts, en 2021, le bénéfice net grimpe à 262 millions de dollars, et un dividende de 40 millions de dollars est versé, le premier depuis l’exercice 2015, l’un des plus élevés en quinze ans. Le groupe peut même se permettre de mettre 164 millions de dollars de côté – « une provision au titre des risques économiques ».

Un CEO avec un profil différent aurait-il su mener la transformation éclair de cette banque ? Plus encore, un dirigeant autre que Nigérian aurait-il pu orchestrer la bascule du centre d’équilibre du groupe sans provoquer la fureur des autorités de Lagos ? Qu’adviendra-t-il de la stratégie d’ETI lorsque Ade Ayeyemi prendra sa retraite dans les prochains mois ?

Deux styles différents, une même audace
Commentant les missions du nouveau CEO de la banque, Alain Nkontchou, PCA d’Ecobank et dont le groupe Enko Capital est depuis quelques mois l’un des dix premiers actionnaires, avait pointé, entre autres, l’utilisation de l’empreinte géographique du groupe et de la technologie pour accroître l’offre à la clientèle et consolider sa présence. Dans une large mesure, c’est ce à quoi Jeremy Awori s’est consacré à Nairobi, ces dernières années.

Si une différence de style – plus distant pour le sortant, plus emphatique pour l’entrant – est à anticiper, le contraste entre les deux leaders pourrait s’arrêter là, tant Jeremy Awori s’est montré tout aussi audacieux dans la stratégie numérique, attentif aux coûts et aux critères de prêts que son aîné nigérian. Comme lui, il tranche dans les effectifs et le réseau. En neuf ans chez Absa Bank au Kenya, le nombre d’agences est réduit d’un quart, et 1 850 emplois sont supprimés (48 % du total).

DEPUIS L’ARRIVÉE AUX COMMANDES DE JEREMY AWORI, LE BILAN D’ABSA BANK KENYA A DOUBLÉ

En 2018, avec son plan stratégique quinquennal « Croissance, transformation et rendements », il lance de lourds investissements dans les infrastructures digitales (14 millions de dollars pour la seule année 2021) et le développement de nouveaux produits. Timiza, la plateforme de banque digitale d’Absa Kenya revendique 4,5 millions de clients pour 36,4 milliards de shillings (305 millions d’euros) décaissés depuis son lancement en mars 2018.

Nombreux nouveaux marchés et gain de notoriété
En quelques années, il propulse la banque kényane sur nombre de nouveaux marchés, notamment la bancassurance, où elle occupe désormais le troisième rang national, mais également dans le courtage, la gestion des risques et la gestion d’actifs – segment dont est pourtant sortie sa maison-mère sud-africaine l’an dernier. Jeremy Awori a aussi traversé son épreuve du feu : la sortie du capital de Barclays et le risque réputationnel autant que commercial du « rebranding » en 2020 d’un établissement connu des Kényans depuis un siècle. En deux ans, la notoriété de la nouvelle marque Absa a pourtant triplé, à 92 %.

L’an dernier, il a lancé de nouvelles offres commerciales pour les PME ainsi qu’une initiative – « Absa She Business Account » – visant à accompagner 1 million d’entrepreneuses en cinq ans. Une initiative similaire à « Ellever » déployée par Ecobank à la fin de 2020. Début septembre, Awori, qui a également triplé à 90% la part des transactions réalisées via les plateformes numériques d’Absa Kenya, se montrait intarissable au sujet des possibilités offertes par le digital et l’analyse des données massives du client pour accorder des prêts directement en ligne y compris dans un domaine aussi strict que l’immobilier…

Le bilan d’Absa Bank Kenya a doublé à 207 milliards de shillings kényans, et le chiffre d’affaires annuel a augmenté de 8 milliards de shillings à 36,3 milliards l’an dernier, depuis l’arrivée aux commandes de Jeremy Awori, qui a systématiquement appliqué l’une des politiques de dividendes les plus généreuses de Nairobi. Un signe qui a dû plaire aux actionnaires d’Ecobank, soumis au régime sec sous Ayeyemi.

Poudre sèche
Outre la plateforme de banque digitale et les produits développés depuis 2016 sous sa houlette, Ade Ayeyemi a laissé une autre arme à son successeur. En poursuivant une stratégie de croissance économe en capital, la part des revenus hors intérêts du groupe atteint 45,8 % au premier semestre 2022, un niveau qui « se compare favorablement à la moyenne du secteur bancaire mondial et à plusieurs pairs africains », selon Mik Kabeya.

Conséquence, le groupe affiche un ratio crédits/dépôts extrêmement bas de 52 %. La banque panafricaine dispose d’une part considérable d’actifs – dry powder (poudre sèche) dans le language du métier – qui peuvent être désormais mobilisés pour développer et proposer de nouvelles offres à la clientèle. Il s’agit « d’un atout dans un environnement de hausse des taux », selon Ade Ayeyemi. À bon entendeur.

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