Afrique subsaharienne : vers un ralentissement de la croissance à 3,6% en 2022

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Afrique subsaharienne : vers un ralentissement de la croissance à 3,6% en 2022
Afrique subsaharienne : vers un ralentissement de la croissance à 3,6% en 2022

Africa-Press – Tchad. Inflation galopante, perturbation des chaînes d’approvisionnement, chocs climatiques… Les nouvelles ne sont a priori pas rassurantes. La Banque mondiale prévoit un ralentissement de la croissance pour 2022 en Afrique subsaharienne, où de nombreux pays, pas encore tout à fait remis du choc économique du Covid-19, sont confrontés aux conséquences de la guerre en Ukraine.

Dans son rapport semestriel sur les perspectives macroéconomiques du continent publié mercredi 13 avril, l’institution fournit des prévisions globales pour l’ensemble du continent africain d’une part, des études par région d’autre part. Pour l’Afrique subsaharienne, les analystes prévoient une croissance de 3,6 % pour 2022, en baisse par rapport aux 4 % enregistrés en 2021.

Une reprise inégale incomplète et à géométrie variable

Ce qu’il faut retenir dans les grandes lignes est que l’Afrique subit une fois encore les contrecoups de la conjoncture internationale. « La montée des cours mondiaux des matières premières, qui s’est accélérée depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, vient s’ajouter aux autres défis économiques de la région », expliquent les auteurs du rapport. « Principaux exportateurs mondiaux de denrées alimentaires, la Russie – qui est aussi le plus grand exportateur d’engrais au monde – et l’Ukraine représentent une part importante des importations de blé, de maïs et d’huile de graines, et celles-ci pourraient s’interrompre en cas de poursuite du conflit », alerte l’institution de Bretton Woods. La flambée des prix du pétrole, du gaz et des denrées alimentaires de base risque surtout d’affecter les populations les plus pauvres des zones urbaines, prévient-elle. Une grande majorité d’États de la région posent le même diagnostic.

En effet, dans le sillage général, l’Afrique a renoué avec la croissance en 2021, mais la reprise a été moins forte que dans le reste du monde, inégale, incomplète et à géométrie variable à travers la région pour effacer l’effet de la crise pandémique. La situation était donc déjà très fragile en début d’année, en comptant les résurgences de variants tels Omicron découverts en Afrique du Sud, et les risques sécuritaires.

Quelques chiffres pour comprendre

Quatre mois plus tard, les économies régionales connaissent des réalités toujours aussi contrastées. Si le niveau élevé des cours du pétrole soutiendra la croissance au Nigeria ou de l’Angola, et que la reprise en Afrique du Sud bénéficie des cours élevés des matières premières, celle-ci est freinée par le resserrement de la politique monétaire et des problèmes structurels, notamment les pénuries d’électricité. En résumé : « les pays riches en ressources, en particulier dans le secteur extractif, enregistreront une meilleure performance économique du fait de la guerre en Ukraine, tandis que les pays ne disposant pas de ressources naturelles abondantes connaîtront un ralentissement de leur activité économique. »

Si on regarde par région, l’Afrique de l’Est et australe qui a affiché une reprise soutenue après la récession, avec 4,1 % en 2021, devrait connaître une baisse à 3,1 % en 2022 et se situer aux alentours de 3,8 % en 2024. À court et moyen terme, la République démocratique du Congo et la Zambie devraient bénéficier de la montée du prix des métaux et profiter de la transition vers les combustibles non fossiles sur le long terme. Quant au Rwanda et aux Seychelles, ces deux pays devraient connaître la plus forte contraction en 2022, avec une baisse de respectivement 4,1 % et 3,3 %.

En Afrique de l’Ouest et centrale, on s’attend à une croissance de 4,2 % en 2022, et de 4,6 % pour 2023. Si l’on excepte le Nigeria, la sous-région devrait croître de 4,8 % en 2022, et de 5,6 % en 2023. L’évolution de la croissance pour le Cameroun, dont l’économie est relativement diversifiée, affiche de solides performances dans la durée, pour atteindre 4,4 % en 2024. Au Ghana, l’économie devrait connaître une croissance accélérée en 2022, pour atteindre 5,5 % avant de ralentir progressivement à 5 % en 2024, toujours en retrait par rapport aux 7 % de croissance d’avant la pandémie.

Des troubles civils et des marges de manœuvre réduites

Pour la Banque mondiale, l’impact le plus important du conflit « pourrait être une probabilité plus élevée de troubles civils qui résulteraient d’une inflation des prix alimentaires et énergétiques dans le contexte d’une instabilité politique accrue ». Alors qu’ils sont confrontés à des « marges budgétaires limitées, les décideurs doivent se tourner vers des options innovantes comme la baisse ou la suppression temporaire des droits à l’importation sur les denrées alimentaires de base, pour venir en aide à leurs concitoyens », préconise Albert Zeufack, économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique.

Face à l’urgence de la situation, de la Côte d’Ivoire au Sénégal en passant par le Kenya, les États ont déjà pris des mesures fortes pour juguler l’impact des prix alimentaires et énergétiques, notamment à l’endroit des ménages africains les plus pauvres. Mais cela reste encore très insuffisant. En Éthiopie, 20 millions de personnes touchées par la sécheresse et un conflit ont besoin d’aide alimentaire. Le Kenya, troisième économie d’Afrique subsaharienne, importe habituellement un cinquième de ses céréales de Russie et 10 % d’Ukraine, selon les chiffres officiels. Et déjà, les prix augmentent. Un sac de 50 kg d’engrais coûte désormais 6 500 shillings kényans (52 euros) contre 4 000 shillings l’année dernière (32 euros). En Ouganda, les prix du savon, du sucre, du sel, de l’huile de cuisson et du carburant flambent, selon le gouvernement.

Vers une crise de la dette ?

Même s’ils prennent des mesures assez fortes, le risque de crise financière est réel pour nombre de pays de la région. Il paraît inévitable qu’ils vont devoir, comme durant la crise du Covid, se tourner vers l’aide de la communauté internationale et peut-être bénéficier de nouveaux prêts à des conditions concessionnelles. D’après le Fonds monétaire international (FMI), plus de la moitié des pays d’Afrique subsaharienne sont en situation de surendettement ou présentent un « risque élevé » de surendettement. La part des pays présentant un risque élevé de surendettement est passée de 52,6 % en 2020 à 60,5 % en 2021, révèle la dernière édition du rapport Africa’s Pulse. Quand certains pays comme le Ghana, très endetté, devront faire face à des coûts d’emprunt plus élevés. « Des améliorations sont plus que nécessaires pour éviter une grande vague de crise de la dette parmi les pays en développement, en particulier les pays d’Afrique subsaharienne. »

Au-delà des gouvernements, les banques centrales d’Afrique subsaharienne se retrouvent également en premières lignes, confrontées au dilemme suivant : « soutenir la faiblesse de l’économie (au prix d’une inflation plus élevée) ou lutter contre l’inflation (au prix du déclenchement d’une baisse de l’activité économique) ». Les autorités monétaires de la région semblent avoir choisi la seconde option. Inquiète de l’inflation alimentée par la guerre russe en Ukraine, la banque centrale mauricienne a relevé son taux directeur à 2 %, une première depuis 2011. « Il est regrettable qu’au moment où le ciel se dégage après le Covid-19, d’autres nuages soient apparus », a déclaré le Premier ministre mauricien Pravind Kumar Jugnauth lors d’une allocution télévisée.

S’armer contre les chocs futurs

Depuis deux ans, la Banque mondiale insiste sur l’importance pour les pays de la région de développer des programmes de protection sociale « au-delà des filets de protection sociale », précisent les experts, pour renforcer la résilience économique et la capacité de ces États à faire face aux chocs, en particulier pour les ménages pauvres et vulnérables.

Pour éviter les erreurs du passé, il semble inévitable pour les décideurs africains de mettre en œuvre « des politiques qui accélèrent la transformation structurelle de leurs économies par une croissance qui favorise la productivité », estime la Banque mondiale. Les experts donnent des pistes de solutions concrètes comme « le renforcement de la résilience de l’agriculture », qui « stimulera la productivité des agriculteurs africains, notamment celle des cultures vivrières, et réduira les risques d’insécurité alimentaire ». Le chemin de la résilience passera aussi par des « politiques qui favorisent la compétitivité des marchés alimentaires et la participation aux chaînes de valeur agricoles ». Et la création d’emplois – en particulier dans le secteur formel – reste en tête des priorités politiques, « car elle est la meilleure forme de protection sociale pour la population, notamment ses segments vulnérables ». Face au risque croissant d’exposition aux chocs, le rapport Africa’s Pulse a le mérite de sonner l’alerte.

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