Abderaman Koulamallah, un homme de parole(s)

135
Abderaman Koulamallah, un homme de parole(s)
Abderaman Koulamallah, un homme de parole(s)

Africa-Press – Tchad. À N’Djamena, tout le monde connaît Koulamallah. « Il y a Allah dans son nom », ironise l’un de ses proches. Il est vrai que, depuis le 2 mai 2021, Abderaman Koulamallah est chargé du portefeuille de la Communication, mais aussi de porter la (bonne) parole du gouvernement de transition. Chantre du consensus, il a fait partie des premières équipes du Conseil national de transition (CNT), qui, à la mi-mars 2022, ont été envoyées à Doha, au Qatar, pour engager le pré-dialogue inclusif avec les éternels rebelles en exil, en Libye ou ailleurs.

« J’ai encore beaucoup d’amis parmi les politico-militaires. On s’appelle régulièrement. Je n’ai aucun problème avec personne. Le dialogue inclusif et souverain est une chance de réconciliation définitive entre Tchadiens, au-delà des querelles ethniques », précise celui que certains considèrent comme l’un des acteurs clés d’une paix durable au Tchad. Quelques jours après l’annonce par le gouvernement malien que le pays se retirait du G5 Sahel, c’est aussi lui que Mahamat Idriss Déby Itno a choisi, le 20 mai, pour être son émissaire et rencontrer Assimi Goïta à Bamako.

L’image de la transition
Abderaman Koulamallah, 67 ans, était sans aucun doute l’un des hommes de la situation, après la mort du maréchal Déby Itno en avril 2021, pour transformer l’image « autoritaire » du régime et celle de la nouvelle génération de militaires aux commandes de la transition.

« Le jeune président Mahamat Déby Itno a très vite voulu redonner un espace de liberté aux Tchadiens, avec le retour du dialogue, une presse libre, le respect du droit des citoyens… La preuve : toutes les grandes figures de l’opposition soutiennent aujourd’hui la transition, souligne Abderaman Koulamallah. On se dit tout, on ne cache rien, pas même les scandales de malversations qui éclaboussent le régime. Mais attention, le Tchad est un pays souverain ! On ne peut pas faire n’importe quoi ici. Si on manifeste sans autorisation et qu’on casse tout, qui plus est avec des consignes venant de l’extérieur, il est normal d’être arrêté et jugé. »

Les images de répression de certaines manifestations ne lui donnent pas forcément raison. Comme les incidents survenus en marge de la marche organisée le 14 mai dernier à N’Djamena, à l’appel de la plateforme Wakit-Tama, pour manifester contre la France, accusée de soutenir le Conseil militaire de transition (CMT). Cinq responsables de Wakit-Tama ont été arrêtés et inculpés pour « attroupement ayant causé des troubles à l’ordre public ». Ils seront jugés et libérés quelques semaines plus tard.
Sur Twitter, le ministre perd parfois son calme et n’hésite pas à répondre vigoureusement à ceux qui le provoquent ou critiquent son pays, notamment depuis la France. « Moi, je les accepte et je facilite l’entrée sur notre territoire aux journalistes du monde entier. Le Tchad doit les laisser faire leur travail. Mais les journalistes militants de LFI [La France insoumise] qui nous insultent depuis Paris ne sont pas les bienvenus. Surtout si c’est pour me donner des leçons de marxisme, à moi, homme de gauche ! »

Du militant révolutionnaire au rebelle nordiste
Il est vrai que Koulamallah a eu une jeunesse révolutionnaire, profondément marquée par les discours radicaux d’Amílcar Cabral, le fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). Militant révolutionnaire panafricain actif dès son enfance, évidemment influencé par son père, Ahmed Koulamallah, dirigeant du Mouvement socialiste africain (MSA), puis chef des nordistes tchadiens, le jeune Abderaman est arrêté dès l’âge de 15 ans, en plein cours, au Lycée Félix-Éboué de N’Djamena.

En exil forcé au Cameroun, il se forgera une réputation de combattant farouche et obstiné. « Au lycée, à Garoua, on me surveillait car on me considérait comme un élève rebelle. J’avais heureusement des professeurs français de gauche qui comprenaient mon combat et me protégeaient… On m’appelait alors “Souslov”, comme le théoricien du Parti communiste de l’Union soviétique. »

La voix des groupes armés
Opposé à la présidence de François Tombalbaye – « trop proche des Américains » -, il combat dans les rangs du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat). Dans les années 1980, il se serait rapproché brièvement de Hissène Habré, avant de prendre ses distances et de rejoindre Idriss Déby, qui prend le pouvoir en décembre 1990. Cette année-là, Koulamallah fonde son propre parti, l’Union démocratique tchadienne (UDT, légalisé en 1992), et, en 1996, il se lance dans la campagne présidentielle, avant d’en être écarté en raison des origines soudanaises de sa mère. Ahmed Koulamallah occupe alors plusieurs postes de ministre et de conseiller à la présidence de la République.
Mais, en 2007, il entre à nouveau en rébellion. Il devient le porte-parole de la coalition qui prendra N’Djamena en février 2008 (avant de battre en retraite) et, l’année suivante, il intègre l’Union des forces de la résistance (UFR), coalition de plusieurs factions armées opposées au président Idriss Déby Itno et dont il assure, là encore, le porte-parolat.

Finalement, à la suite d’un accord avec le gouvernement tchadien, Koulamallah abandonne définitivement la kalachnikov et l’exil (en France) pour rentrer à N’Djamena en juin 2011. Il est aussitôt emprisonné, après une condamnation par contumace à la perpétuité pour « atteintes aux institutions républicaines, destruction de biens publics, intelligence avec l’ennemi, atteinte à la sûreté de l’État », avant d’être gracié, dix-sept jours plus tard, par le président Déby Itno. « J’ai combattu Déby les armes à la main, avant de devenir son conseiller à la présidence », résume-t-il aujourd’hui en souriant.

Comme au cinéma…
Réconcilié avec l’exécutif, Ahmed Koulamallah reprend alors la tête de son parti, l’UDT – 1 élu à l’Assemblée – et devient un rouage essentiel du palais, en tant que conseiller chargé de mission du président Idriss Déby Itno, de 2018 à 2021. « Je lui ai été loyal jusqu’à sa mort. On me considère aujourd’hui comme un homme de parole. »

Le ministre de la Communication n’a décidément pas la langue dans sa poche. À la limite de l’imprudence parfois, notamment quand il s’agit de recadrer certains ministres. C’est sa marque de fabrique. « C’est le meilleur, c’est le ‘tonton national’ ! » s’enthousiasme Oumar Adoudou Zaid, président de l’association Alraid pour la solidarité et le développement, un mouvement issu de la société civile plutôt proche du pouvoir. « Il est connecté avec tous les jeunes. Il est respecté pour son charisme, son franc-parler, son passé de militant révolutionnaire, sa force de connexion, aussi, chez les politico-militaires. Il connaît tout le monde et il a réponse à tout. »
Cultivé, maniant l’humour pince-sans-rire, auteur (en 2015, il a publié La Bataille de N’Djamena, 2 février 2008, éd. L’Harmattan), mais aussi diplômé de l’École supérieure d’études cinématographiques (ESEC) de Paris, l’ancien rebelle rêvait de devenir cinéaste. « Ça me tient depuis tout petit, j’aimais tout particulièrement les films de Hitchcock. « Son parcours ressemble d’ailleurs à un film de Claude Lelouch – une autre de ses idoles –, avec plusieurs vies, quelques flash-back, des réussites et des échecs.

Il sourit, l’air fatigué. « C’est le palu, j’ai régulièrement des crises, je suis habitué. Que voulez-vous, ça ne va pas m’empêcher de vivre. » Dans l’ascenseur de verre de l’immense building ultramoderne de l’Office national des médias audiovisuels (Onama), sa silhouette donne l’impression de flotter au-dessus de la capitale tchadienne. « La vue est belle, non ? On voit tout d’ici ». Son prochain livre, autobiographique, s’intitulera Itinéraire d’un enfant rebelle, clin d’œil au célèbre film de Lelouch interprété par Jean-Paul Belmondo. Si Ahmed Koulamallah n’est pas « l’homme de Rio » des années 1960, il est bien l’un des hommes de N’Djamena aujourd’hui.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Tchad, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here