Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. La visite de trois jours effectuée au Tchad du 15 au 17 mars 2025, par Marine Le Pen, leader du Rassemblement national français (RN), s’inscrit dans sa stratégie électorale et vise à renforcer son image internationale de chef d’Etat à l’approche de la prochaine élection présidentielle de 2027.
La présidente du RN français n’avait pas programmé cette visite, mais elle a répondu objectivement à l’invitation du président tchadien Mahamat Idriss Deby Itno, et la rencontre s’est déroulée dans la ville d’Amdjarass, fief de la famille Deby, où Marine Le Pen a marqué sa deuxième visite dans cette ville.
Pour l’occasion, un accueil chaleureux fût réservé à Mme Le Pen par le président Deby, qui avait mis à sa disposition un avion présidentiel privé pour la transporter jusqu’à Amdjarass, à plus de 1.000 kilomètres de la capitale, et après un passage à l’Assemblée Nationale et au Sénat à N’Djamena, elle a finalement rencontré le président Mahamat Idriss Deby dans sa résidence privée.
Selon un communiqué rendu public par la présidence tchadienne, lors de sa rencontre avec le président tchadien, Marine Le Pen a déclaré que: « Les relations entre Paris et N’Djamena ont connu une vague de tension, mais c’est le début de la mise en place des bases de relations égalitaires qui bénéficieront aux deux peuples frères, la France et le Tchad ».
À son tour, le président Deby a souligné que: « La fin de l’accord militaire avec la France ne signifie pas nécessairement la rupture des relations franco-tchadiennes, mais plutôt que cette étape est importante pour parvenir à la souveraineté et à l’autodétermination pour le développement du Tchad ».
Des observateurs estiment que l’invitation de Marine Le Pen n’était pas une coïncidence, malgré le « racisme » de son parti, le Rassemblement national, et d’Extrême droite, qui appelle systématiquement à la fin de l’immigration africaine, à l’annulation des accords de coopération et à des politiques plus dures envers les Africains vivant en France.
Pourtant, la candidate aux prochaines élections présidentielles de 2027 a été accueillie au Tchad comme si ses idées « racistes et xénophobes » n’avaient jamais existé, selon les observateurs.
• Sous couvert diplomatique et motivations électorales, Le Pen exploite le revers de Macron au Tchad
Pour elle, il s’agit de sa deuxième visite au Tchad, depuis mars 2017, où elle avait rencontré le défunt président Idriss Deby, alors allié de la France, mais elle n’avait pas été bien accueillie par le président François Hollande et son entourage à l’Élysée.
Depuis, elle a effectué de nombreux déplacements, notamment au Sénégal en 2023, et a souligné sa volonté de revoir les relations avec ses partenaires africains.
Vers la fin de 2018, le président Deby (père) avait ordonné le retrait des troupes françaises du pays, après une présence quasi continue depuis l’indépendance. L’accueil par N’Djamena d’une candidate à la récente élection présidentielle (et à la prochaine de 2027) a été une manière de confirmer son manque de confiance envers le président Emmanuel Macron.
C’est bien pour cette raison que Marine Le Pen entend profiter du climat tendu entre les deux pays en proposant une relation renouvelée basée sur le respect mutuel et la coopération économique plutôt que militaire.
Marine Le Pen, accueillie par Aziz Mahamat Saleh, le Secrétaire général du Mouvement du salut national tchadien, semble également vouloir jouer le rôle d’une diplomate alternative, dans un contexte où Paris a perdu beaucoup de terrain sur le continent africain, tout en ayant une autre ambitions celle de renforcer les relations avec les pays francophones, où la politique africaine de Macron a été vivement critiquée par son entourage, et cette rhétorique a trouvé un écho à N’Djamena, du fait que le président Deby cherche à diversifier ses alliances.
• La délégation française et ses ambitions
Selon des informations circulant au Tchad, la délégation qui a accompagné la présidente du Rassemblement national, aurait réussi à rencontrer durant son séjour à N’Djamena le président de la République démocratique du Congo (le plus grand pays francophone du monde), Félix Tshisekedi.
Il importe de noter que le parti du Rassemblement national se tient aux côtés de la République démocratique du Congo contre les intentions du président rwandais, Paul Kagame, accusé de soutenir les rebelles du M23 dans leur invasion de l’est du Congo. Les députés du parti sont parmi les plus agressifs à l’Assemblée nationale et au Parlement européen pour demander des sanctions contre Kigali.
A noter que les proches collaborateurs de Marine Le Pen, les parlementaires européens Thierry Mariani, Philippe Olivier et Virginie Joron, s’étaient rendus à Kinshasa du 6 au 9 mars pour préparer la réunion et avaient eu des entretiens approfondis avec le président congolais.
• Quand Mahamat Idriss Deby « mise » sur l’avenir politique de Marine Le Pen
Cela s’explique par la volonté d’Idriss Deby de s’assurer le soutien de la France, quel qu’en soit le prix, compte tenu de son pouvoir et de son image affaiblis. Il s’efforce de cultiver des liens étroits avec ceux qui pourraient demain influencer la politique française en sa faveur.
La fin de l’accord militaire avec la France, en vigueur depuis plus de six décennies, reflète bien la volonté du Tchad de remodeler sa politique de défense, loin de la tutelle française.
Dans ce contexte, le ministre tchadien des Affaires étrangères, Abderaman Koulamallah, a souligné que cette décision vise à renforcer la souveraineté du pays et à construire une armée plus indépendante, ce qui implique de repositionner le Tchad dans le paysage géopolitique en mutation du Sahel.
Il va sûrement de soi, puisqu’en raison de sa position anti-Macron et de sa politique sur le continent, la dirigeante du parti d’extrême droite a gagné en popularité au sein des cercles politiques au pouvoir au Tchad, car elle partage leur point de vue sur le manque d’intérêt de Macron pour l’Afrique.
Le Pen estime que la politique de Macron a provoqué la colère du monde entier envers Paris, a conduit au rejet des bases militaires françaises dans la région, et à l’émergence de Moscou comme un allié alternatif respecté et accepté par les peuples et les gouvernements africains.
• Si l’on décortiquait la personnalité de « Marine Le Pen » ?
Marine Le Pen est connue pour ses positions souverainistes et critiques envers certaines politiques internationales, notamment en matière d’immigration et de relations avec l’Union européenne. Cependant, il n’y a aucune indication ou proposition de sa part suggérant qu’elle ramènerait la France au Tchad, un pays avec lequel la France a des liens historiques complexes, notamment en raison de son passé colonial.
La politique étrangère de Le Pen se concentre davantage sur la réaffirmation de la souveraineté nationale et la réduction de l’influence de l’Union européenne, plutôt que sur un retour à des interventions directes dans des anciennes colonies. Si elle devait accéder à la présidence, il est peu probable qu’elle chercherait à rétablir une présence française au Tchad, d’autant plus que les relations entre la France et le Tchad ont évolué vers une coopération plus équilibrée et indépendante.
En résumé, rien ne laisse penser que Marine Le Pen aurait l’intention de ramener la France au Tchad dans un contexte de domination ou d’intervention directe. Les priorités de sa politique étrangère semblent orientées vers d’autres enjeux.
Du point de vue « influence », et malgré les controverses, Marine Le Pen a réussi à ancrer le Rassemblement National comme une force majeure de la politique française, attirant un électorat diversifié, notamment dans les zones rurales et parmi les ouvriers.
En 2025, si elle est élue présidente de la République, sa politique étrangère et intérieure pourrait marquer un tournant significatif pour la France, avec des implications majeures pour l’Union européenne et les relations internationales.
Le Pen a des chances réelles de remporter la présidentielle de 2027, mais cela dépendra de sa capacité à surmonter les obstacles historiques et politiques qui se dressent devant elle, car du point de vue de sa dynamique électorale, Marine a atteint le second tour des élections présidentielles en 2017 et 2022, montrant une progression constante de son score (34 % en 2017 et 41,5 % en 2022).
Cette tendance suggère qu’elle pourrait continuer à gagner du terrain, surtout que du point vue « diabolisation du Rassemblement national », et depuis qu’elle a pris la tête du parti en 2011, Marine Le Pen a cherché à « dé-diaboliser » le RN en modérant son discours et en élargissant ses thématiques (économie, pouvoir d’achat, services publics).
Cela a permis au parti, en quelque sorte, d’attirer un électorat plus large, au-delà de son noyau traditionnel.
• La rencontre « Mahamat Deby / Marine Le Pen » pourrait-elle être bénéfique au Tchad ?
D’abord, il faut se mettre à l’évidence que la visite de Marine Le Pen revêt une dimension intérieure en France, où elle cherche à se présenter comme une dirigeante capable de remodeler les relations franco-africaines selon une vision nationaliste radicale.
Dans ce contexte, on peut dire que son discours sur la « souveraineté des États » peut trouver un écho auprès de certains dirigeants africains, mais il suscite également de vives critiques en raison des positions extrémistes de son parti sur l’immigration, notamment en provenance du continent africain.
De l’autre côté, cette visite place le Tchad dans une position délicate, car il cherche à se libérer de l’influence traditionnelle française, mais en même temps il accueille une personnalité politique dont la rhétorique a longtemps été associée à l’hostilité aux intérêts africains en France.
Toutefois, la question qui demeure est la suivante:
« Le Tchad cherche-t-il à diversifier ses partenaires, ou ce rapprochement reflète-t-il une évolution de sa relation avec la France fondée sur de nouveaux calculs ? »
Par ailleurs, la visite de Marine Le Pen au Tchad pourrait potentiellement être bénéfique pour Mahamat Idriss Deby à plusieurs égards, mais cela dépend des objectifs et des résultats concrets de cette visite.
De facto, plusieurs points sont à considérer, dont ce qui suit:
1. Légitimité internationale
Une rencontre avec une figure politique de premier plan comme Marine Le Pen, bien que controversée, pourrait renforcer la visibilité internationale de Mahamat Idriss Deby, et cela pourrait être perçu comme une forme de reconnaissance, surtout lorsque la visite est suffisamment médiatisée.
2. Soutien politique
Si Marine Le Pen exprime un « soutien public à Mahamat Idriss Deby », cela pourrait renforcer sa position sur la scène politique tchadienne, notamment en lui apportant un soutien symbolique de la part d’un parti politique influent en France.
3. Relations bilatérales
L’action entreprise par la Cheffe du Rassemblement national pourrait également ouvrir des discussions sur les relations entre la France et le Tchad, notamment en ce qui concerne la coopération sécuritaire, économique ou migratoire. Si des accords ou des promesses de coopération sont annoncés, cela pourrait renforcer la position du président Deby.
4. Controverses et risques
Cependant, Marine Le Pen est une figure polarisante en France et en Europe. Son soutien pourrait également susciter des critiques, notamment de la part des opposants politiques de Deby ou des acteurs internationaux qui ne voient pas d’un bon œil l’association avec le Rassemblement National, et cela pourrait nuire à l’image de Deby sur la scène internationale.
5. Contexte interne au Tchad
Au niveau national, la visite pourrait être utilisée par Deby pour montrer qu’il est reconnu par des leaders internationaux, renforçant ainsi son autorité dans son pays. Cependant, cela pourrait aussi alimenter des critiques de la part de l’opposition, qui pourrait accuser le président tchadien de s’associer à des figures controversées.
Néanmoins, l’arrivée de Marine Le Pen au Tchad, en cette période, pourrait être bénéfique pour Mahamat Idriss Deby en termes de « visibilité et de légitimité », mais elle comporte également des risques liés à la polarisation et aux controverses associées à la dirigeante française.
L’impact réel dépendra de la manière dont la visite est perçue et des résultats concrets qui en découleraient.
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