Deviner la couleur par l’observation cérébrale

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Deviner la couleur par l'observation cérébrale
Deviner la couleur par l'observation cérébrale

Africa-Press – Tchad. Tu vois ce que je vois? » Cette question, vous l’avez certainement déjà posée, et les chercheurs aussi. À chaque étude sur le fonctionnement de l’œil humain, c’est la même énigme, jamais vraiment résolue: voyons-nous tous de la même manière? Et si d’aucuns diraient que non face à la (longue) liste des différentes corrections ophtalmiques disponibles, la question reste pourtant en suspens. Car si l’œil humain a son nombre de défauts, qu’en est-il de notre cerveau? Traitons-nous tous les informations visuelles de la même façon?

Si cette question est encore nébuleuse, une nouvelle étude de l’université de Tübingen (Allemagne) publiée dans The Journal of Neuroscience semble avoir levé une partie du voile en réussissant à déterminer quelle couleur un volontaire était en train de regarder grâce à la seule activité de son cerveau.

« Nous avons utilisé une technique d’imagerie qui peut permettre de prédire ce qu’une personne regarde à partir de données cérébrales communes », explique auprès de Sciences et Avenir le Docteur Michael Bannert, post-doctorant de l’Université de Tübingen. Il s’agit d’utiliser la réponse cérébrale d’un groupe de sujets pour entraîner un modèle de prédiction, puis d’utiliser ce même modèle pour essayer de prédire ce qu’observent les membres d’un autre groupe à partir de leur activité cérébrale, sans que leurs données aient été utilisées avant. »

Un résultat qui sous-entend que si la perception des couleurs est bien l’affaire de chacun, leur traitement par le cerveau est quant à lui un phénomène commun.

Des prédictions faites sur un échiquier

Pour pouvoir entraîner leur modèle, ou « classifieur », les chercheurs ont dans un premier temps utilisé les réponses cérébrales d’une quinzaine de volontaires à des stimuli… totalement incolores.

Placés dans un scanner et mis face à un motif d’échiquier, ces derniers devaient localiser un point à différents endroits, afin de permettre au classifieur de modéliser un « espace visuel partagé », commun à tous les cerveaux observés. Une fois obtenue, l’activité de l’espace partagé a ensuite été observée alors que les volontaires regardaient un stimulus coloré.

« Ce sont des cercles concentriques plus ou moins gros, un peu comme s’ils avançaient dans un tunnel, explique le Dr. Bannert. Ils nous permettent de déterminer quelle zone du cerveau réagit à quelle couleur dans quelles zones du champ de vision. »

Ces mêmes stimuli ont ensuite été présentés à des volontaires différents, dont le classifieur devait observer l’activité cérébrale et la comparer avec son propre espace visuel partagé pour déterminer à quelle couleur elle correspond.

« Pour effectuer sa prédiction, le modèle va tenter de trouver un alignement entre le cerveau qu’il observe et ceux sur lesquels il a été entraîné, résume le chercheur. Il va prendre la réponse du cerveau observé à une couleur, la comparer à celles de l’espace visuel partagé sur lequel il a été entraîné, et de là, déterminer à quelle couleur l’activité observée correspond. »

Une méthode commune à tous les cerveaux

Si des études similaires avaient déjà été effectuées, l’étude du Docteur Bannert se distingue par la séparation des groupes d’entraînement et de prédiction. Une séparation qui permet de confirmer la nature commune des processus de traitement des couleurs.

« Les travaux précédents entraînent leurs classifieurs sur un cerveau unique. L’approche typique était d’utiliser la première partie des tests pour entraîner le modèle, puis de tester ses prédictions sur le même sujet, au cours du même test, explique le chercheur. Cela permettait notamment de caractériser le rôle de différentes régions, mais pas de voir s’il y avait une similarité entre cerveaux. »

« Notre méthode nous a permis, en croisant les données entre individus, de confirmer que les mêmes informations étaient traitées de la même manière d’un sujet à l’autre », poursuit-il.

Autre nouveauté, l’utilisation de couleurs uniques permet d’obtenir une meilleure définition du traitement des données par le cerveau. En effet, si nos connaissances actuelles nous permettent de savoir quelles aires du cerveau traitent les images selon qu’elles soient en couleur ou non, ces données restent encore très généralisées.

« Jusqu’à maintenant, on s’est surtout intéressé à des images dans leur ensemble, ou encore à la reconnaissance de certains motifs, tels que les visages, mais la distinction des régions permettant la distinction des couleurs entre elles n’avait encore jamais été faite », s’enthousiasme le Docteur Bannert.

Effectuée sur un groupe de personnes sans problème de vision, l’étude ouvre également la porte sur les possibles différences de traitement des couleurs chez les personnes possédant divers problèmes de vue.

V1, V2, V3, V4…

A l’instar de beaucoup de parties de notre corps, le champ de vision a son lot de représentations cérébrales ; des groupes de neurones servant de « carte » à notre cerveau, symbolisant chaque partie de notre corps. Pour le champ de vision, la cartographie est encore plus importante, et se répète dans plusieurs zones aptement nommées V1, V2, V3, V4, etc. (voir le schéma ci-dessous).

Zones de la vision.

“On commence tout juste à comprendre le rôle de ces différentes zones, explique Michael Bannert. Le fait que notre technique fonctionne signifie qu’il y a bien une relation entre ces différentes représentations cérébrales et la manière dont le cerveau traite la couleur et que cette façon de traiter l’information est similaire d’un cerveau à l’autre.”

Lorsqu’une information visuelle entre dans le cerveau, elle passe tout d’abord par la zone V1, ou cortex visuel primaire. Elle est ensuite envoyée, après un premier traitement, entre les différentes zones.

“Deux zones proches dans notre champ de vision seront traitées par deux zones proches de V1, mais aussi de V2, ajoute le chercheur. Chaque aire possède sa propre carte visuelle de manière assez consistante, c‘est une propriété fondamentale de l’organisation du cerveau.”

En plus de permettre la prédiction des couleurs observées, l’étude permet aussi de nous renseigner un peu plus sur les fonctions de ces zones du cerveau.

“Ultimement, la façon dont nous percevons les couleurs est extrêmement personnelle et cette étude ne fait que déplacer la question sur le terrain de la neurologie, conclut le Docteur Bannert. Nos cerveaux traitent apparemment les couleurs de façon assez similaire pour que nous puissions prédire les couleurs observées. Mais pour ce qui est de savoir comment les gens “ressentent” les couleurs, ça, c’est de la science-fiction !”

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