Africa-Press – Tchad. Élévation du niveau de la mer, intensification des cyclones, réchauffement des eaux océaniques, acidification de l’océan: les petites îles sont en première ligne des processus associés au changement climatique. Bien qu’elle soit encore trop rarement placée au cœur des débats, la pollution marine figure parmi les menaces majeures qui pèsent sur les systèmes insulaires.
Pollution locale: des infrastructures d’élimination de déchets insuffisantes ou absentes
La pollution marine la plus visible qui frappe de plein fouet les zones insulaires sont les déchets solides. L’insuffisance des systèmes de gestion des déchets terrestres des petites îles favorise des pratiques non contrôlées telles que les décharges sauvages, l’incinération à ciel ouvert et le déversement direct des déchets dans les cours d’eau. À Madagascar par exemple, seulement 6% des déchets et des ordures serait ramassés périodiquement, selon le PNUE, tandis que plus de la moitié de la population se débarrasserait de ses déchets « là où c’est commode ». À Curaçao, dans la mer des Caraïbes, les coûts élevés d’élimination des déchets entraînent une accumulation de plastiques sur terre pouvant être transportés vers les milieux marins, menaçant ainsi des centaines d’écosystèmes insulaires et d’eaux environnantes.
90% des eaux usagées des petits États insulaires des Caraïbes sont déversées dans l’océan
Au ramassage inapproprié des déchets solides s’ajoute le traitement inadéquat des eaux usées domestiques. 90% des eaux usagées des petits États insulaires des Caraïbes sont par exemple déversées dans l’océan sans avoir été préalablement traitées, selon la même source. La pollution des ressources en eaux est donc un problème avant tout régional dans les petites îles.
Les déchets menacent non seulement la santé publique, mais aussi les moyens de subsistance des petites îles, qui dépendent des revenus du tourisme et de la pêche, qui peut représenter jusqu’à la moitié de leur PIB dans le cas des Seychelles ou des Maldives. « La pollution est souvent la plus invisible, la plus sous-estimée, et pourtant la plus persistante et la plus insidieuse, mettant à mal notre résilience, nos économies et notre santé. La pollution n’est pas seulement une menace pour notre environnement, c’est un multiplicateur de menaces. Elle affaiblit notre sécurité alimentaire, met à rude épreuve nos systèmes de santé, contamine nos sources d’eau et nuit à nos secteurs clés tels que le tourisme et la pêche », alertait Mark Brown, Premier Ministre des îles Cook lors du Forum mondial des îles à l’UNOC.
Pollution extérieure: les petites îles portent le poids injuste des déchets des autres
En plus de la pollution locale, les petites îles sont particulièrement menacée par la pollution extérieure. Bouteilles en plastique, matériel de pêche échoué, pièces de voiture rouillées, appareils électroménagers… L’isolement des petites îles n’est plus garant de protection contre les sources océaniques de débris marins, qui deviennent les décharges à ciel ouvert du monde extérieur. « Nous, les îles, portons le poids des déchets que nous ne produisons pas. Dans les petites nations insulaires, les déchets ne sont pas quelque chose que l’on peut simplement renvoyer ou enterrer à l’abri des regards. Ce qui entre reste souvent, et ce qui reste s’accumule », atteste Mark Brown. « C’est la réalité quotidienne de la pollution dans beaucoup de nos îles. Avec des terres limitées, des infrastructures à bout de souffle et des réserves d’eau douce sensibles, même de petites quantités d’eaux de ruissellement toxiques peuvent empoisonner nos aquifères et tuer nos coraux. Pourtant, nous sommes parmi les moins responsables des déchets qui arrivent sur nos côtes », poursuit Brown.
La morphologie des îles joue un rôle sur l’accumulation de pollutions plastiques: le cas du lagon de Mayotte
Il y a une raison physique à cela. À l’UNOC, Sciences et Avenir a rencontré Cristèle Chevalier, océanographe côtière physicienne pour l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Cristèle Chevalier participe au projet PLASMA (pollution aux microplastiques du lagon de Mayotte) qui s’intéresse à l’impact de la pollution plastique sur le lagon de Mayotte. Elle a étudié le lien entre la morphologie des îles et la pollution plastique: « Les lagons sont délimités par une barrière récifale. Il a été montré que la circulation hydrodynamique est souvent forcée par la houle, qui arrive au niveau de la barrière récifale et qui déferle. Le récif de corail, jusqu’à un mètre au-dessous de la surface, délimite tout le lagon avec quelques ouvertures, que l’on appelle des « passes ». En arrivant au niveau du récif barrière, la houle entraîne une quantité d’eau à l’intérieur du lagon puis ressort par ces passes. En règle générale, cela représente entre 50 et 80% de l’eau présente dans les lagons. On le voit par exemple en Nouvelle-Calédonie, où le récif barrière protège le lagon du déferlement de grosses vagues, une lutte naturelle contre l’érosion très utile. Et donc l’eau qui arrive dans le lagon est de l’eau de surface, tandis que l’eau sortante provient de la colonne d’eau. Le plastique se trouvant en surface, l’eau sortante contient moins de plastique, ce qui crée un déséquilibre », explique-t-elle. Avant d’ajouter: « Il faut imaginer qu’il y a 30-40 centimètres d’eau à marée basse et peut-être au maximum deux mètres à marée haute dans les passes. Ces zones sont non seulement très peu profondes, mais la barrière récifale limite les courants et la dispersion des plastiques ».
En somme, la morphologie spécifique des petites îles et la dynamique de leurs courants favoriserait l’accumulation de plastique dans le lagon. Si dans cette étude, la barrière récifale a l’effet d’une accumulation de plastiques dans le lagon de Mayotte, il est indispensable de la préserver, avertit la chercheuse: elle héberge près d’un quart de la biodiversité marine qui est dans ce récif. Le problème qui se pose est bien plus celui de l’origine du plastique.
Le fléau des sargasses qui asphyxient les littoraux: étude de cas de la Guadeloupe
Un autre exemple de pollution qui menace les petites îles: les sargasses. « Sur cette année 2025, on parle de plusieurs vingtaines de millions de mètres cubes présents dans le bassin caribéen », alerte Sylvie Gustave-dit-Duflo, vice-présidente de la Région Guadeloupe lors du Forum mondial des îles. Depuis près de 14 ans, le bassin caribéen fait face à une invasion d’algues sargasses, qui s’échouent de manière massive sur les côtes caribéennes. En s’échouant sur les plages, elles se décomposent et libèrent des gaz toxiques et nauséabonds, notamment du sulfure d’hydrogène et de l’ammoniac.
Au-delà de la haute toxicité de ces algues, dont les gaz sont nocifs dans un rayon de deux kilomètres à la ronde, les sargasses sont un véritable désastre écologique et économique pour la Guadeloupe. « Elles asphyxient nos herbiers, nos récifs coralliens et également nos mangroves. Véritables éponges de mer, elles sont chargées en métaux lourds et elles nous ramènent tout ce qu’elles ont rencontré sur leur dérive marine. Et puis, autre problème, elles hyperconsomment l’arsenic. Donc lorsque nous les récoltons et que nous les épongeons pour les faire sécher, elles contaminent notre sol en métaux lourds, et particulièrement en arsenic ». En Guadeloupe, les algues sargasses ont trouvé des nutriments sur les côtes qui leur permettent de proliférer de manière exponentielle, explique-t-elle. Résultat: dans le bassin caribéen se sont créés de nouveaux réservoirs de production de ces algues de sargasses. Un cocktail explosif d’autant plus favorisé par les effets du réchauffement climatique, l’augmentation de la température de l’eau et l’acidification des océans.
Il faut « parler des sargasses » à l’international, insistait Sylvie Gustave Dit Duflot il y a quelques mois. Voyons si son appel sera entendu à l’UNOC lors de la déclaration finale avec tous les chefs d’Etats.
Le constat est sans appel. « Les petits États insulaires en développement doivent être présents à la table des négociations, non seulement en tant que parties effectives, mais aussi en tant qu’architectes des solutions. Cela signifie un financement ciblé, un transfert de technologie et des engagements juridiquement contraignants, et pas seulement des aspirations volontaires », presse Brown. Alors que la France et les Etats insulaires cherchent à mettre fin à la pollution plastique en négociant un traité international juridiquement contraignant sur le plastique qui se jouera à Genève en Suisse en août prochain, voyons si l’UNOC entendra l’urgence de ces appels à l’aide.
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