Le temps zéro de l’Univers

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Le temps zéro de l'Univers
Le temps zéro de l'Univers

Africa-Press – Tchad. 10-43 seconde ou le temps zéro de l’Univers. L’Univers nous échappe. Pas seulement par sa complexité, mais aussi parce qu’il est en fuite: à chaque instant il s’étend davantage. S’il est ainsi en expansion, une question se pose: que se passe-t-il si l’on rembobine son histoire ? S’il se dilate aujourd’hui, alors, par le passé, il a dû être moins étendu. Et, par conséquent, plus dense et plus chaud. C’est l’idée derrière la théorie du Big Bang, le modèle cosmologique qui tente de décrire l’évolution de l’Univers au cours du temps.

Si l’on veut regarder loin dans son passé, il faut regarder loin dans l’espace, puisque la lumière met du temps à nous parvenir. Les télescopes spatiaux comme le James Webb font des prouesses, mais les galaxies les plus lointaines qu’ils observent se sont formées lorsque l’Univers avait déjà quelques centaines de millions d’années. Le fond diffus cosmologique (CMB), qui correspond au rayonnement émis lorsque les premiers photons ont été libres de se mouvoir, lui, nous montre l’Univers tel qu’il était à 380.000 ans. Mais l’astronomie traditionnelle ne nous mènera pas plus loin.

Pour repousser les frontières du visible et du temps, il faut se tourner vers la théorie. Et faire parler les équations pour sonder les premiers instants de l’Univers, il y a 13,8 milliards d’années, un âge estimé grâce à des données du CMB récoltées, entre autres, par les télescopes spatiaux Planck et WMAP. La théorie a permis de découvrir la nucléosynthèse primordiale. “C’est un processus durant lequel ont été forgés les noyaux d’hydrogène et d’hélium, rappelle Marc Lachièze-Rey, cosmologiste à l’Université Paris Cité. Il s’est produit après seulement trois minutes. La quantité de ces noyaux a donc d’abord été prédite par le calcul, sur la base de la théorie du Big Bang. ”

Par la suite, ces prédictions ont pu être testées observationnellement: “Et les deux coïncident !, applaudit Yves Sirois, physicien au laboratoire Leprince-Ringuet, à Paris. C’est une démonstration merveilleuse du modèle du Big Bang. ” Forts de ce succès, confiants en la théorie du Big Bang et en la capacité de leurs équations à faire des prédictions, les scientifiques ont alors décidé d’appliquer la même recette pour s’aventurer au plus près de la première seconde de l’histoire de l’Univers, jusqu’à finalement… se heurter à un mur ! “Un mur conceptuel “, sourit Patrick Peter, astrophysicien à l’Institut d’astrophysique de Paris. Érigé alors que l’Univers n’avait que 10-43 à 10-44 seconde, ce mur dit mur de Planck – en hommage à Max Planck (1858-1947), père de la théorie quantique – marque la limite au-delà de laquelle nos théories physiques ne nous sont plus d’aucune aide.

Pour le comprendre, rappelons qu’à mesure que l’on remonte dans le passé, l’Univers est plus dense et plus chaud. Au niveau du mur de Planck, sa taille est de l’ordre de 10-35 mètre, son énergie est d’environ 1019 gigaélectronvolts (GeV) et sa température de l’ordre de 1032°C. L’énergie de Planck est ainsi 1 million de milliards de fois plus élevée que l’énergie maximale que peut atteindre le LHC, l’accélérateur de particules du Cern à Genève, à ce jour le plus puissant du monde ; et la température de Planck est 100.000 milliards de milliards de milliards de fois supérieure à la température actuelle de l’Univers, qui n’est que de -270 °C… Aucune théorie physique ne peut décrire la matière et l’énergie sous ces conditions infernales.

“Ce temps de Planck marque en quelque sorte le ‘temps zéro’ de l’Univers “, précise Yves Sirois. Ce qui ne veut pas dire que l’Univers, sous une forme ou une autre, ne préexistait pas au temps de Planck. Mais puisque le temps de Planck est la plus petite échelle de temps imaginable, “parler de temps plus petit n’a pas vraiment de sens, poursuit le chercheur. Des gens comme Stephen Hawking [1942-2018] disent même qu’en s’approchant du temps de Planck, le temps disparaît pour devenir une coordonnée d’espace.” Contrairement à une idée tenace et longtemps admise, l’Univers n’a donc pas de début, de temps initial. Et la théorie du Big Bang ne dit pas non plus qu’en remontant le temps, tout l’Univers était concentré en un point de densité et de températures infinies, duquel tout serait parti.

Des tentatives d’incursion hardies

Peut-on espérer, un jour, briser le mur de Planck ? “Pour y parvenir, on pense qu’il faudrait aboutir à une théorie de la gravitation quantique “, rapporte Patrick Peter. À ce jour, deux grandes théories permettent de décrire le vaste terrain de jeu sur lequel s’applique la physique. D’un côté, il y a la relativité générale, une théorie de la gravitation qui s’attelle à décrire le monde de l’infiniment grand. De l’autre, la théorie quantique qui, elle, sonde ce qu’il se passe au plus profond de la matière, dans le monde des particules. Et si ces deux théories prises séparément ont été vérifiées avec un grand degré de précision, les fusionner en une seule et grande théorie de la gravitation quantique, où toutes les forces seraient unifiées, rencontre bien moins de succès. “C’est essentiellement lié au fait que la théorie quantique est une théorie qui est ‘dans’ l’espace-temps, tandis que la relativité générale est une théorie ‘de’ l’espace-temps, expose Patrick Peter. Ainsi, une théorie de la gravitation quantique appelle à ce que l’espace-temps lui-même soit quantifié. Et on n’a pas de cadre théorique pour ça. ”

Et ce, même à nos échelles. “On ne connaît pas l’influence gravitationnelle d’un simple électron en laboratoire, dévoile Marc Lachièze-Rey. Car la théorie quantique nous dit qu’un électron est décrit par une fonction d’onde non locale, et qu’ainsi sa présence est à la fois ici, là-bas, et peut-être dans tout l’espace-temps. ” Auquel cas, où l’électron peut-il bien exercer son influence gravitationnelle ? Dans tout l’Univers ? En plusieurs endroits de celui-ci ? Ou seulement en un seul ? “Même ça, on ne le sait pas, admet le physicien. C’est pourtant la question la plus simple que l’on puisse se poser, car dans un laboratoire, la gravité est très faible. Alors, avant le mur de Planck, où elle est incommensurablement plus forte, c’est impensable. ” Pas de quoi empêcher quelques physiciens d’entreprendre des tentatives d’incursion à travers ce mur. Parmi les plus hardies théories qui s’efforcent de réconcilier gravitation et quantique, on peut citer la théorie des cordes et la gravitation quantique à boucles. “Mais aucune n’est réellement satisfaisante “, convient Patrick Peter. Percer le mur de Planck est pour l’heure hors de notre portée.

L'”ère de grande unification”

Après 10-43 seconde, on quitte donc l’ère de Planck, et on s’aventure dans ce que l’on appelle l'”ère de grande unification”. À l’amorce de cette nouvelle phase, la gravitation prend son envol et se dissocie. Ainsi, une théorie de la gravitation quantique n’est plus nécessaire pour décrire l’Univers. Les conditions qui y règnent n’en restent pas moins dantesques. Dans un tel environnement, on pense que le cosmos aurait pu être régi par deux forces: la gravitation, donc, et une force unifiant les trois autres interactions fondamentales, les interactions forte, faible et électromagnétique (d’où le nom d’ère de grande unification). “C’est une idée qu’Einstein avait déjà “, rappelle Marc Lachièze-Rey. S’il n’est pas certain que la grande unification ait bien eu lieu, “il y a de bons arguments en faveur de son existence “, pose Patrick Peter.

Déjà, la “puissance” des interactions forte, faible et électromagnétique évolue avec l’énergie, et toutes semblent converger lorsque l’on atteint des énergies comme celles qui existaient à cette époque. “Aussi, on a déjà réalisé l’unification de certaines forces, rappelle Julien Baglio, physicien théoricien anciennement rattaché au Cern. D’abord au 19e siècle, avec l’unification des forces électrique et magnétique en une force électromagnétique. Puis, au cours du 21e siècle, on a partiellement unifié les interactions faible et électromagnétique en une force dite électrofaible.”

Cependant, aussi séduisante soit-elle, la grande unification ne marche pas si l’on s’en tient au seul cadre du modèle standard, cette théorie qui décrit les particules élémentaires et leurs interactions. Les forces ne se rencontrent pas exactement. “Ce qui laisse penser qu’il aurait pu y avoir une symétrie plus grande, qui unifiait toutes ces forces “, pointe Patrick Peter. Cette symétrie plus grande pourrait être ce que l’on appelle la supersymétrie. “Dans ce cadre-là, on a une unification beaucoup plus précise “, appuie Julien Baglio. Qu’est-ce que cela implique pour l’Univers ?

En fait, beaucoup de choses. “La supersymétrie est une symétrie de l’espace-temps, c’est une extension de l’espace-temps ordinaire, poursuit le chercheur. Il existerait donc comme un superespace, fait de nouvelles coordonnées. ” De plus, la supersymétrie permet de relier entre elles des particules de types différents: les fermions et les bosons. Les fermions, ce sont les particules de matière, comme l’électron, le proton ou le neutron. Les bosons, eux, correspondent aux particules vectrices des interactions, comme le photon dans le cas de l’électromagnétisme. Relier par supersymétrie les fermions et bosons connus ne fonctionne pas. “La seule manière de faire, c’est de relier les bosons qu’on connaît à des fermions qu’on ne connaît pas, et inversement. Ces particules inconnues, ce sont les superpartenaires “, décrit Pierre Fayet, physicien à l’École normale supérieure à Paris, qui a théorisé l’existence des superpartenaires.

Autrement dit, l’ère de grande unification, si tant est qu’elle soit telle qu’on le pense, nous révèle que l’Univers pourrait être empli de particules jamais observées, si massives que même les collisionneurs de particules comme le LHC, qui tentent de s’approcher des conditions du Big Bang, n’ont pu les mettre au jour. Et ce n’est pas le seul chamboulement d’ampleur de l’ère de grande unification. Car durant cette période, l’Univers a aussi été sujet à un phénomène difficilement concevable: l’inflation cosmique.

“Au LHC, nous explorons l’Univers 10-12 seconde après sa naissance”

Yves Sirois est physicien au laboratoire Leprince-Ringuet, à Paris.

Sciences et Avenir: Le LHC, l’accélérateur de particules du Cern, à Genève, permet-il de remonter jusqu’au début de l’histoire de l’Univers ?

Yves Sirois: Non. Le LHC permet d’étudier la physique dans les conditions qu’avait l’Univers 10-12 seconde après sa naissance. Cet instant de 10-12 seconde est toutefois critique dans l’histoire de l’Univers, car il correspond au moment où sont apparues la matière et les interactions. Il est aujourd’hui mieux compris grâce au LHC avec notamment la découverte du boson de Higgs qu’il a permise. Le LHC a également pu démontrer que les particules de matière, les fermions, acquièrent leur masse en interagissant avec ce champ de Higgs dans le vide.

Pourquoi ne peut-il pas remonter jusqu’au temps de Planck ?

L’échelle d’énergie ultime pour la physique, l’échelle de Planck, est de 1019 gigaélectronvolts (GeV). La découverte du Higgs s’est faite autour de 100 GeV. Nous avons pu gagner encore un facteur 10 en énergie. Mais nous sommes encore très loin. Maintenant, on a des indications qui montrent que la théorie actuelle du modèle standard de la physique des particules pourrait montrer des faiblesses bien en deçà de l’échelle de Planck…

Est-ce qu’il nous permettrait tout de même de tester certaines hypothèses de la “première seconde”, comme la supersymétrie ?

Oui. Si la supersymétrie existe, elle est de telle sorte que les particules supersymétriques (les superpartenaires) ont des masses élevées. De plus, la particule supersymétrique neutre la plus légère pourrait être stable à des échelles de temps cosmologiques et constituer un excellent candidat à la matière noire. Et ce n’est pas tout: il est également impossible de construire une théorie supersymétrique sans qu’il y ait au moins cinq “bosons de Higgs” – trois neutres et deux chargés -, et pour l’heure on n’en a découvert qu’un. Ces bosons de Higgs et les superpartenaires sont donc activement recherchés au LHC, car ils sont un enjeu majeur pour la physique des hautes énergies.

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